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Lacedemone au trait suivant seulement. Je crois, avec par toute la ville, que tous s'accordent à dire Corsini, qu'il faut traduire « sur le combat de l'orateur, la même chose, que c'est tout ce qui se raconte

du combat (9), et qu'il y a eu un grand carnage. Il ajoute qu'il a lu cet évènement sur le visage de ceux qui gouvernent (10); qu'il y a un homme caché chez l'un de ces magistrats de

« c'est-à-dire de Démosthène, arrivé sous Aristophon. »

C'est la famense discussion sur la couronne que Démosthène croyoit mériter, et qu'Eschine lui disputoit. Ce combat, qui rassembla toute la Grèce à Athènes, étoit un sujet de conversation au moins aussi intéressant pour un

habitant de cette ville, que la bataille d'Arbelles, et il fut puis cinq jours entiers, qui revient de la Macé

livré précisément sous l'archontat d'Aristophon.

doine, qui a tout vu, et qui lui a tout dit. Ensuite, interrompant le fil de sa narration: Que pensez-vous de ce succès? demande-t-il à ceux qui l'écoutent (11). Pauvre Cassandre! malheureux prince! s'écrie-t-il d'une manière touchante: voyez ce que c'est que la fortune; car

(7) Il étoit plus ancien que la bataille d'Arbelles, mais trivial et su de tout le peuple. (La Bruyère.) C'est la bataille qui finit par la prise d'Athènes, et qui termina la

guerre du Péloponèse, l'an 4 de la quatre-vingt-treizième olympiade.

(8) Le grec dit simplement, « Il vous empêche de jouir enfin Cassandre étoit puissant, et il avoit avec lui du spectacle. » de grandes forces (12). Ce que je vous dis, pourl'em-suit-il, est un secret qu'il faut garder pour vous seul, pendant qu'il court par toute la ville le débiter à qui le veut entendre. Je vous avoue que ces diseurs de nouvelles me donnent de l'admiration (15), et que je ne conçois pas quelle est la fin qu'ils se proposent : car, pour ne rien dire de la bassesse qu'il y a à toujours mentir, je ne vois pas qu'ils puissent recueillir le moindre fruit de cette pratique; au contraire, il est arrivé à quelques uns de se laisser voler leurs habits dans un bain public, pendant qu'ils ne songeoient qu'à rassembler autour d'eux une foule de peuple, et à lui conter des nouvelles. Quelques autres, après avoir vaincu sur mer et sur terre dans le Portique (14), ont payé l'amende pour n'avoir pas comparu à une cause appelée. Enfin il s'en est trouvé qui, le jour même qu'ils ont pris une ville, du moins par leurs beaux discours, ont manqué de dîner (15). Je ne crois pas qu'il y ait rien de si misérable que la condition de ces personnes : car quelle est la boutique, quel est le portique, quel est l'endroit d'un marché public où ils ne passent tout le jour à rendre sourds ceux qui les écoutent, ou à les fatiguer par leurs mensonges?

(9) Le texte porte, « Et il permet que ses enfants « pêchent de se livrer au sommeil, en le priant de leur << raconter quelque chose pour les endormir. »

D

CHAPITRE VIII.

Du débit des nouvelles (1).

Un nouvelliste, ou un conteur de fables, est un homme qui arrange, selon son caprice, des discours et des faits remplis de fausseté; qui, lorsqu'il rencontre l'un de ses amis, compose son visage, et lui souriant : D'où venez-vous ainsi? lui dit-il; que nous direz-vous de bon? n'y a-t-il rien de nouveau? Et continuant de l'interroger: Quoi donc ! n'y a-t-il aucune nouvelle (2)? cependant il y a des choses étonnantes à raconter. Et sans lui donner le loisir de lui répondre: Que dites-vous donc? poursuit-il; n'avez-vous rien entendu par la ville? Je vois bien que vous ne savez rien, et que je vais vous régaler de grandes nouveautés. Alors, ou c'est un soldat, ou le fils d'Astée le joueur de flûte (3), ou Lycon l'ingénieur, tous gens qui arrivent fraîchement de l'armée (4), de qui il sait toutes choses; car il allègue pour témoins de ce qu'il avance des homines obscurs qu'on ne peut trouver pour le convaincre de fausseté (5): il assure donc que ces personnes lui ont dit que le roi (6) et Polysperchon (7) ont gagné la bataille, et que Cassandre, leur ennemi, est tombé vif entre leurs mains (8). Et, lorsque quelqu'un lui dit: Mais en vérité cela est-il croyable? il lui réplique que cette nouvelle se crie et se répand

NOTES.

(1) Théophraste désigne ici par un seul mot l'habitudc de forger de fausses nouvelles. M. Barthélemy a imité une partie de ce Caractère à la suite de ceux sur lesquels j'ai

déja fait la même remarque.

(2) Littéralement : « Et il l'interrompra en lui deman«dant: Comment! on ne dit donc rien de plus nouveau? »

(3) L'usage de la flûte, très ancien dans les troupes. (La Bruyère.)

(4) Le grec porte : « Qui arrivent de la bataille même. »

(5) Je crois avec M. Coray qu'il faut traduire : « Car « il a soin de choisir des autorités que personne ne puisse

« récuser. »

CHAPITRE IX.

De l'effronterie causée par l'avarice (1).

Pour faire connoître ce vice, il faut dire que c'est un mépris de l'honneur dans la vue d'un vil intérêt. Un homme que l'avarice rend ef

(7) Capitaine du même Alexandre. (La Bruyère.)

(8) C'étoit un faux bruit ; et Cassandre, fils d'Antipater, disputant à Arrhidée et à Polysperchon la tutèle des enfants d'Alexandre, avoit eu de l'avantage sur eux. (La Bruyère. ) D'après le titre et l'esprit de ce Caractère, il n'y est pas question de faux bruits, mais de nouvelles fabriquées à plaisir par celui qui les débite.

(6) Arrhidée, frère d'Alexandre-le-Grand. (La Bruyère.) fronté ose emprunter une somme d'argent à celui à qui il en doit déja, et qu'il lui retient avec injustice (2). Le jour même qu'il aura sacrifié aux dieux, au lieu de manger religieusement chez soi une partie des viandes consacrées (3), il les fait saler pour lui servir dans plusieurs repas, et va souper chez l'un de ses amis; et là, à table, à la vue de tout le monde, il appelle son valet, qu'il veut encore nourrir aux dépens de son hôte; et lui coupant un morceau de viande qu'il met sur un quartier de pain: Tenez, mon ami, lui dit-il, faites bonne chère (4). Il va lui-même au marché acheter des viandes cuites (5), et, avant que de convenir du prix, pour avoir une meilleure composition du marchand, il le fait ressouvenir qu'il lui a au

(9) Plus littéralement : « Que le bruit s'en est répandu << dans toute la ville, qu'il prend de la consistance, que << tout s'accorde, et que tout le monde donne les mêmes

« détails sur le combat. »

(10) Le texte ajoute: «Qui en sont tout changés. »

Cassandre favorisoit le gouvernement aristocratique établi à Athènes par son père; Polysperchon protégeoit le parti démocratique. (Voyez la note 17 du Discours sur Théo-trefois rendu service. Il fait ensuite peser ces phraste.)

:

viandes, et il en entasse le plus qu'il peut s'il en est empêché par celui qui les lui vend, il jette du moins quelques os dans la balance: si elle peut tout contenir, il est satisfait; sinon, il ramasse sur la table des morceaux de rebut, comme pour se dédommager, sourit, et s'en va. Une autre fois, sur l'argent qu'il aura reçu de quelques étrangers pour leur louer des places au théâtre, il trouve le secret d'avoir sa part franche du spectacle, et d'y envoyer (6) le lendemain ses enfants et leur précepteur (7). Tout lui fait envie ; il veut profiter des bons marchés, et demande hardiment au premier venu une chose qu'il ne vient que d'acheter. Se trouvet-il dans une maison étrangère, il emprunte jusqu'à l'orge et à la paille (8); encore faut-il que celui qui les lui prête fasse les frais de les faire porter jusque chez lui. Cet effronté, en un

(15) « M'étonnent. »

(14) Voyez le chapitre de la Flatterie. (La Bruyère, mot, entre sans payer dans un bain public, et chap. 11, note 1.)

là, en présence du baigneur, qui crie inutilement contre lui, prenant le premier vase qu'il rencontre, il le plonge dans une cuve d'airain qui est remplie d'eau, se la répand sur tout le corps (9) Me voilà lavé, ajoute-t-il, autant <que j'en ai besoin, et sans en avoir obligation

(11) Au lieu de, « Ensuite, etc., » le grec porte, « Et, « ce qui est à peine croyable, en racontant tout cela, il << fait les lamentations les plus naturelles et les plus per

<< suasives. >

(12) La réflexion, « car enfin, etc., » est tirée de quelques mots grecs dont on n'a pas encore donné une explication satisfaisante, et qui me paroissent signifier tout autre chose. Le nouvelliste a débité jusqu'à présent son conte comme un bruit public, et dans la phrase suivante

il en fait un secret : cette variation a besoin d'une transi

tion; et il me paroît que ce passage, qui signifie littérale

ment << mais alors étant devenu fort, » est relatif au conteur, et veut dire, « mais ayant fini par se faire croire. » On sait qu'en grec le verbe dérivé de l'adjectif qu'emploie ici Théophraste signifie au propre je m'efforce, et au figuré j'assure, j'atteste.

(15) Plus littéralement, « Qui ont manqué leur dîner <«< en prenant quelques villes d'assaut, » c'est-à-dire qui, pour avoir fait de ces contes, sont venus trop tard au diner

auquel ils devoient se rendre.

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NOTES.

(1) Le mot grec ne signifie proprement que l'impudence, et Aristote ne lui donne pas d'autre sens; mais Platon le définit comme Théophraste. (Voyez les notes de Casaubon.)

CHAPITRE X.

De l'épargne sordide.

Cette espèce d'avarice est dans les hommes une passion de vouloir ménager les plus petites choses sans aucune fin honnête (1). C'est dans cet esprit que quelques uns, recevant tous les mois le loyer de leur maison, ne négligent pas

(3) C'étoit la coutume des Grecs. Voyez le chapitre du d'aller eux-mêmes demander la moitié d'une

Contre-temps. (La Bruyère.) On verra dans le chapitre XII, note 4, que non seulement « on mangeoit chez soi une << partie des viandes consacrées,» mots que La Bruyère a insérés dans le texte, mais qu'il étoit même d'usage d'inviter ce jour-là ses amis, ou de leur envoyer une portion de la victime.

obole qui manquoit au dernier paiement qu'on leur a fait (2); que d'autres, faisant l'effort de donner à manger chez eux (3), ne sont occupés, pendant le repas, qu'à compter le nombre de fois que chacun des conviés demande à boire. Ce sont eux encore dont la portion des prémices (4) des viandes que l'on envoie sur l'autel de Diane est toujours la plus petite. Ils apprécient les de choses au-dessous de ce qu'elles valent; et, quelque bon marché qu'un autre, en leur rendant compte, veuille se prévaloir, ils lui soutiennent toujours qu'il a acheté trop cher. Implacables à l'égard d'un valet qui aura laisse tomber un pot de terre, ou cassé par malheur quelque vase d'argile, ils lui déduisent cette perte sur sa nourriture; mais si leurs femmes ont perdu seulement un denier (5), il faut alors renverser toute une maison, déranger les lits, transporter des coffres, et chercher dans les recoins les plus cachés. Lorsqu'ils vendent, ils n'ont que cette unique chose en vue, qu'il n'y ait qu'à perdre pour celui qui achète. Il n'est permis à personne de cueillir une figue dans leur jardin, de passer au travers de leur champ,. de ramasser une petite branche de palmier (6), ou quelques olives qui seront tombées de l'arbre. Ils vont tous les jours se promener sur leurs terres, en remarquent les bornes, voient si l'on n'y a rien changé, et si elles sont toujours les mèmes. Ils tirent intérêt de l'intérêt mème, et ce n'est qu'à cette condition qu'ils donnent du temps à leurs créanciers. S'ils ont invité à dîner quelques uns de leurs amis, et qui ne sont que des personnes du peuple (7), ils ne feignent

(8) Plus littéralement : «II va dans une maison étran

« gère pour emprunter de l'orge ou de la paille, et force point de leur faire servir un simple hachis; et

« encore ceux qui lui prêtent ces objets à les porter chez « lui. »

on les a vus souvent aller eux-mêmes au marché pour ce repas, y trouver tout trop cher, et en

(2) On pourroit traduire plus exactement « à celui au« quel il en a déja fait perdre, » ou, d'après la traduction de M. Levesque, « à celui qu'il a déja trompé. »

(4) Dans le temps du luxe excessif de Rome, la conduite que Théophraste traite ici d'impudence auroit été très modeste; car alors, dans les grands dîners, on faisoit emporter beaucoup de choses par son esclave, soit sur les instances du maître, soit aussi sans en être prié. Mais les savants qui ont cru voir cette coutume dans notre auteur me paroissent avoir confondu les temps et les lieux. Du temps d'Aristophane, c'est-à-dire environ un siècle avant Théophraste, c'étoient même les convives qui apportoient

la plus grande partie des mets avec eux; et celui qui don

noit le repas ne fournissoit que le local, les ornements et les hors-d'œuvres, et faisoit venir des courtisanes. (Voyez Aristoph., Acharn., v. 1085 et suiv., et le Scol.)

(9) Les plus pauvres se lavoient ainsi pour payer moins. (La Bruyère.)

(5) Comme le menu peuple, qui achetoit son souper chez le charcutier. (La Bruyère.) Le grec ne dit pas des viandes cuites, et la satire ne porte que sur la conduite ridicule que tient cet homme envers son boucher.

(6) Le grec dit, d'y conduire.

(7) Leur pédagogue. C'étoit, comme dit M. Barthé lemy, chapitre xxvi, un esclave de confiance chargé de suivre l'enfant en tous lieux, et sur-tout chez ses différents maitres. On peut voir aussi à ce sujet le bas-relief représentant la mort de Niobé et de ses enfants au Musée Pio Clementino, tome iv, planche 17, et l'explication que M. Visconti en a donnée.

Les spectacles n'avoient lieu à Athènes qu'aux trois fêtes de Bacchus, et sur-tout aux grandes Dionysiaques, où des curieux de toute la Grèce affluoient à Athènes; et l'on sait qu'anciennement les étrangers logeoient ordinairement chez des particuliers avec lesquels ils avoient quelque liai

son d'affaires ou d'amitié.

revenir sans rien acheter. Ne prenez pas l'habi- | lemy me paroît avoir fait une application trop générale de ce passage dans son chap. xxv du Voyage du jeune Anacharsis.

tude, disent-ils à leurs femmes, de prêter votre sel, votre orge, votre farine, ni même du cumin (8), de la marjolaine (9), des gâteaux pour l'autel (10), du coton (11), de la laine (12); car ces petits détails ne laissent pas de monter, à la fin d'une année, à une grosse somme. Ces avares, en un mot, ont des trousseaux de clefs rouillées dont ils ne se servent point, des cassettes où leur argent est en dépôt, qu'ils n'ouvrent jamais, et qu'ils laissent moisir dans un coin de leur cabinet; ils portent des habits qui leur sont trop courts et trop étroits; les plus petites fioles contiennent plus d'huile qu'il n'en faut pour les oindre (13): ils ont la tête rasée jusqu'au cuir (14), se déchaussent vers le milieu du jour (15) pour épargner leurs souliers; vont trouver les foulons pour obtenir d'eux de ne pas épargner la craie dans la laine qu'ils leur ont donnée à préparer, afin, disent-ils, que leur étoffe se tache moins (16).

NOTES.

(1) Le texte grec porte simplement, « La lésine est une « épargne outrée, ou déplacée, de la dépense. »

(2) Littéralement, « Un avare est capable d'aller chez « quelqu'un au bout d'un mois pour réclamer une demi<< obole. » Théophraste n'ajoute pas quelle étoit la cause et la nature de cette créance, dont le peu d'importance fait précisément le sel de ce trait; elle n'est que de six

liards.

(3) Dans le texte il n'est point question d'un repas que donne l'avare, mais d'un festin auquel il assiste; et le mot grec s'applique particulièrement à ces repas de confrérie que les membres d'une même curie, c'est-à-dire de la troisième partie de l'une des dix tribus, faisoient régulièrement ensemble, soit chez un des membres de cette association, soit dans des maisons publiques destinées à cet usage. (Voyez la note de M. Coray sur le chap. 1 de cet ouvrage; Pollux, liv. VI, segm. 7 et 8, et Anacharsis, chap. XXVI et LVI.)

(4) Les Grecs commençoient par ces offrandes leurs repas publics. (La Bruyère.) Les anciens regardoient en général comme une impiété de manger ou de boire sans avoir offert des prémices ou des libations à Cérès ou à Bacchus. Mais il doit y avoir quelque raison particulière pour laquelle ici les prémices sont adressées à Diane; et c'étoit peut-être l'usage des repas de curies, puisqu'on sacrifioit aussi à cette déesse en inscrivant les enfants dans ce corps, et cela au moment où on leur coupoit les cheveux. (Voyez Hesychius, in voce Kureotis.) M. Barthé

(5) Je crois qu'il faut préférer la leçon suivie par Politien, qui traduit, « Un peigne. » Voyez Suidas, cité par

Needham.

(6) « Une datte. »

(7) La Bruyère a rendu ce passage fort inexactement. Il faut traduire : « S'il traite les citoyens de sa bourgade. «< il coupera par petits morceaux les viandes qu'il leur «sert.» Les bourgades étoient une autre division de l'At

tique que celle en tribus ; il y en avoit cent soixante-qua-
torze. Les repas communs de ces différentes associations
étoient d'obligation, et les collectes pour en faire les frais
étoient ordonnées par les lois. Il paroît, par ce passage et
par le chapitre suivant, note 14, que, dans ces festins,
celui chez lequel ou au nom duquel ils se donnoient étoit
chargé de l'achat et de la distribution des aliments, mais

qu'il étoit surveillé de près par les convives.

(8) Une sorte d'herbe. (La Bruyère.)

(9) Elle empêche les viandes de se corrompre, ainsi que le thym et le laurier. (La Bruyère.)

(10) Faits de farine et de miel, et qui servoient aux sacrifices. (La Bruyère.)

(11) Des bandelettes pour la victime, faites de fils de laine non tissus, et réunis seulement par des nœuds de distance en distance.

(12) Au lieu de laine, Théophraste nomme ici encore une espèce de gâteaux ou de farine qui servoient aux sacrifices; et plus haut il parle de mèches, mot que La Bruyère a omis, ou qu'il a voulu exprimer ici.

(13) Voyez sur l'usage de se frotter d'huile, le Caractère v, note 4.

(14) « Ils se font raser jusqu'à la peau. » Voyez Caractère iv, note 7.

(15) Parceque dans cette partie du jour le froid en toute saison étoit supportable. (La Bruyère.) Il me semble que, lorsqu'il s'agit d'Athènes, il faut penser plutôt aux inconvénients de la chaleur qu'à ceux du froid : c'est afin que la sueur n'use pas ses souliers.

(16) C'étoit aussi parceque cet apprêt avec de la craie, comme le pire de tous, et qui rendoit les étoffes dures et grossières, étoit celui qui coûtoit le moins. (La Bruyère.) Il n'est question dans le grec ni de craie ni de laine, mais de terre à foulon, et d'un habit à faire blanchir. (Voyez les notes de M. Coray.) M. Barthélemy observe, dans son chap. xx, que le bas peuple d'Athènes étoit vêtu d'un drap qui n'avoit reçu aucune teinture, et qu'on pouvoit reblanchir, tandis que les riches préféroient des draps de couleur.

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CHAPITRE XI.

De l'impudent, ou de celui qui ne rougit de rien.

L'impudence (1) est facile à définir : il suffit de dire que c'est une profession ouverte d'une plaisanterie outrée, comme de ce qu'il y a de plus contraire à la bienséance. Celui-là, par exemple, est impudent, qui, voyant venir vers lui une femme de condition, feint dans ce moment quelque besoin pour avoir occasion de se montrer à elle d'une manière déshonnête (2); qui se plaît à battre des mains au théâtre lorsque tout le monde se tait, ou à siffler les acteurs que les autres voient et écoutent avec plaisir; qui, couché sur le dos (3), pendant que toute l'assemblée garde un profond silence, fait entendre de sales hoquets qui obligent les spectateurs de tourner la tête et d'interrompre leur attention. Un homme de ce caractère achète en plein marché des noix, des pommes, toute sorte de fruits, les mange, cause debout avec la fruitière, appelle par leurs noms ceux qui passent, sans presque les connoître, en arrête d'autres qui courent par la place, et qui ont leurs affaires (4) et s'il voit venir quelque plaideur, il l'aborde, le raille, et le félicite sur une cause importante qu'il vient de perdre. Il va lui-même choisir de la viande, et louer pour un souper des femmes qui jouent de la flûte (5); et, montrant à ceux qu'il rencontre ce qu'il vient d'acheter, il les convie en riant d'en venir manger. On le voit s'arrêter devant la boutique d'un barbier ou d'un parfumeur (6), et là, annoncer qu'il va faire un grand repas et s'enivrer.

(7) Si quelquefois il vend du vin, il le fait mêler pour ses amis comme pour les autres sans distinction. Il ne permet pas à ses enfants d'aller à l'amphithéâtre avant que les jeux soient commencés, et lorsque l'on paie pour être placé, mais seulement sur la fin du spectacle, et quand l'architecte (8) néglige les places et les donne pour rien. Étant envoyé avec quelques autres citoyens en ambassade, il laisse chez soi la somme que le public lui a donnée pour faire les frais de son voyage, et emprunte de l'argent de ses collègues sa coutume alors est de charger son valet de fardeaux au-delà de ce qu'il en peut porter, et de lui retrancher cependant de son

ordinaire; et, comme il arrive souvent que l'on fait dans les villes des présents aux ambassadeurs, il demande sa part pour la vendre. Vous m'achetez toujours, dit-il au jeune esclave qui le sert dans le bain, une mauvaise huile, et qu'on ne peut supporter : il se sert ensuite de l'huile d'un autre, et épargne la sienne. Il envie à ses propres valets, qui le suivent, la plus petite pièce de monnoie qu'ils auront ramassée dans les rues, et il ne manque point d'en retenir sa part avec ce mot, Mercure est commun (9). Il fait pis: il distribue à ses domestiques leurs provisions dans une certaine mesure (10) dont le fond, creux par-dessous, s'enfonce en dedans et s'élève comme en pyramide; et, quand elle est pleine, il la rase lui-même avec le rouleau le plus près qu'il peut (11).... De même, s'il paie à quelqu'un trente mines (12) qu'il lui doit, il fait si bien qu'il y manque quatre drachmes (13) dont il profite. Mais, dans ces grands repas où il faut traiter toute une tribu (14), il fait recueillir, par ceux de ses domestiques qui ont soin de la table, le reste des viandes qui ont été servies, pour lui en rendre compte : il seroit fåché de leur laisser une rave à demi mangée.

NOTES.

de l'Impertinence. La définition de Théophraste dit mot à (1) Il me semble que ce Caractère seroit mieux intitulé

mot: « C'est une dérision ouverte et insultante. »

(2) Le grec dit simplement : « Voyant venir vers lui « des femmes honnêtes, il est capable de se retrousser et << de montrer sa nudité. » L'impertinent ne prend point de prétexte.

(3) Le verbe grec employé ici signifie « levant la tête. >> La Bruyère paroît avoir été induit en erreur, ainsi que l'a

déja observé M. Coray, par la traduction de Casaubon, qui rend ce mot par resupinato corpore. On trouvera d'autres détails sur la conduite des Athéniens au spectacle, dans le Voyage du jeune Anacharsis, chap. LXX.

(4) « Les vingt mille citoyens d'Athènes, dit Démos<< thène, ne cessent de fréquenter la place, occupés de << leurs affaires ou de celles de l'état. »

(5) Il paroît que ces femmes servoient aux plaisirs des convives par des complaisances obscènes. (Voyez Aristoph.,

Vesp., v. 1337.)

(6) Il y avoit des gens fainéants et désoccupés qui s'assembloient dans leurs boutiques. ( La Bruyère. )

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