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avoient déja commencé à s'altérer et à se confondre; mais, malgré ces moyens de défendre en quelque sorte cette phrase, on ne peut pas se dissimuler qu'elle est d'une grande inexactitude. Il y avoit toujours une différence très marquée entre l'éducation et les mœurs d'Athènes et celles de Sparte; et, quant au climat de la Grèce, ce passage se trouve en contradiction avec les témoignages les plus positifs de l'antiquité. D'ailleurs on parle ici des différences dans les mœurs de ville à ville et de pays à pays, tandis que dans l'ouvrage il n'est question que de caractères individuels dont tous les traits sont pris dans les mœurs d'Athènes. On peut d'autant moins supposer que Théophraste ait mis cette double inexactitude dans les faits et dans leur application, et qu'avec cela il se soit borné à ce sujet à un stérile étonnement, qu'Hippocrate, qui a écrit long-temps avant lui, étendoit l'influence du climat sur les caractères aux positions particulières des villes et des maisons relativement au soleil, ainsi qu'aux saisons dans lesquelles naissent les enfants, et que notre philosophe lui-même, cherchant ailleurs à expliquer la différence des caractères, entre dans des détails intéressants sur la différence primitive de l'organisation, et sur celle qu'y apportent la nourriture et la manière de vivre. (Voyez Porphyrius, De Abst., lib. III, § 25. Toutes ces raisons font présumer que cette phrase a été tronquée et altérée par l'abréviateur ou par les copistes. (Voy. chap. xvi, note 1.) Il se peut qu'elle ait parlé de l'altération des mœurs d'Athènes au siècle de Théophraste, tandis que le climat et l'éducation de la Grèce n'avoient point changé.

(2) M. Coray remarque que Diodore de Sicile parle, å la cent quatorzième olympiade, d'un Polyclès, général d'Antipater; et l'on sait que Théophraste fut fort lié avec le fils de ce dernier.

(3) Voyez sur l'âge de Théophraste la note 2 du Discours sur ce philosophe; c'est encore un passage où cet avant-propos paroît avoir été altéré.

(4) Théophraste avoit dessein de traiter de toutes les vertus et de tous les vices. (La Bruyère.) Cette opinion

n'est fondée que sur une interprétation peu exacte de la phrase suivante de cette Préface, dans laquelle on n'a pas fait attention que le pronom défini ne peut se rapporter qu'aux méchants; cette opinion est d'ailleurs combattue par la fin de ce même Avant-propos, où l'on n'annonce que des caractères vicieux; et il n'est pas à croire que, s'il en avoit existé de vertueux, ceux qui nous ont transmis

cet ouvrage en auroient fait le triage pour les omettre. Nous voyons aussi, par un passage d'Hermogène, de Formis orationis (lib. II, cap. 1), que l'épithète xol, que Diogène Laerce et Suidas donnent aux Caractères de

Theophraste, s'applique spécialement aux caractères vicieux; car cet auteur dit qu'on appelle particulièrement de ce nom les gourmands, les peureux, les avares, et des

<< leur conduite. J'espère, etc. » Après avoir composé beaucoup d'ouvrages de morale qui traitoient sur-tout des vertus, notre philosophe veut aussi traiter des vices. Du reste, la tournure particulière de cette phrase semble avoir pour objet de distinguer ces tableaux des satires personnelles.

caractères semblables.

Au lieu de « Il semble, etc.,» il faut traduire, «J'ai

<cru devoir écrire sur les mœurs des uns et des autres,

« je vais te présenter une suite des différents caractères que portent les derniers, et t'exposer les principes de

(3) Plus littéralement : « J'espère, mon cher Polyclès; << que nos enfants en deviendront meilleurs, si je leur « laisse de pareils écrits qui puissent leur servir d'exemple « et de guide pour choisir le commerce et la société des « hommes les plus parfaits, afin de ne point leur rester « inférieurs. » C'est ainsi que Dion Chrysostôme dit dans le discours qui ne contient que les trois caractères vicieux que j'ai joints à la fin de ce volume : « J'ai voulu fournir << des images et des exemples pour détourner du vice, de « la séduction et des mauvais desirs, et pour inspirer aux << hommes l'amour de la vertu et le goût d'une meilleure < vie. »

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CHAPITRE PREMIER.

De la dissimulation.

:

La dissimulation (1) n'est pas aisée à bien définir si l'on se contente d'en faire une simple l'on dire peut description, c'est un certain que art de composer ses paroles et ses actions pour une mauvaise fin. Un homme dissimulé se comporte de cette manière : il aborde ses ennemis, leur parle, et leur fait croire par cette démarche qu'il ne les hait point : il loue ouvertement et en leur présence ceux à qui il dresse de secrètes embûches; et il s'afflige avec eux s'il leur est arrivé quelque disgrace: il semble pardonner les discours offensants que l'on lui tient; il récite froidement les plus horribles choses que l'on aura dites contre sa réputation, et il emploie les paroles les plus flatteuses pour adoucir ceux qui se plaignent de lui, et qui sont aigris par les injures qu'ils en ont reçues. S'il arrive que quelqu'un l'aborde avec empressement, il feint des affaires, et lui dit de revenir une autre fois : il cache soigneusement tout ce qu'il fait; et, à l'entendre parler, on croiroit toujours qu'il délibère (2); il ne parle point indifféremment; il

a ses raisons pour dire tantôt qu'il ne fait que revenir de la campagne, tantôt qu'il est arrivé à la ville fort tard, et quelquefois qu'il est languissant, ou qu'il a une mauvaise santé. Il dit à celui qui lui emprunte de l'argent à intérêt, ou qui le prie de contribuer de sa part à une somme que ses amis consentent de lui prêter (5), qu'il ne vend rien, qu'il ne s'est jamais vu si dénué d'argent ; pendant qu'il dit aux autres que le commerce va le mieux du monde, quoique en effet il ne vende rien. Souvent, après avoir écouté ce qu'on lui a dit, il veut faire croire qu'il n'y a pas eu la moindre attention: il feint de n'avoir pas aperçu les choses où il vient de jeter les yeux, ou, s'il est convenu d'un fait, de ne s'en plus souvenir. Il n'a pour ceux qui lui parlent d'affaires que cette seule réponse : J'y penserai. Il sait de certaines choses, il en ignore d'autres; il est saisi d'admiration; d'autres fois il aura pensé comme vous sur cet évènement, et cela selon ses différents intérêts. Son langage le plus ordinaire est celui-ci : « Je n'en <<< crois rien, je ne comprends pas que cela puisse ‹ être, je ne sais où j'en suis; » ou bien : « Il « me semble que je ne suis pas moi-même; › et ensuite Ce n'est pas ainsi qu'il me l'a fait <<< entendre; voilà une chose merveilleuse, et qui <passe toute créance; contez cela à d'autres, dois-je vous croire, ou me persuaderai-je qu'il me dit la vérité? paroles doubles et artificieuses, dont il faut se défier comme de ce qu'il y a au monde de plus pernicieux. Ces manières d'agir ne partent point d'une ame simple et droite, mais d'une mauvaise volonté, ou d'un homme qui veut nuire : le venin des aspics est moins à craindre.

D

NOTES.

(1) L'auteur parle de celle qui ne vient pas de la prudence, et que les Grecs appeloient ironie. (La Bruyère.)

huit et vingt-trois. Au reste, la première phrase de ce chapitre seroit mieux rendue par la version suivante : << La dissimulation, à l'exprimer par son caractère propre, << est un certain art, etc.,» ainsi que l'a déja observé M. Belin de Ballu.

(2) Il y a ici dans le texte une transposition et des altérations observées par plusieurs critiques; il faut traduire : « Il fait dire à ceux qui viennent le trouver pour affaires << de revenir une autre fois, en feignant d'être rentré à << l'instant, ou bien en disant qu'il est tard, et que sa santé « ne lui permet pas de les recevoir. Il ne convient jamais « de ce qu'il va faire, et ne cesse d'assurer qu'il est encore << indécis. Il dit à celui, etc. »

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CHAPITRE II.
De la flatterie.

La flatterie est un commerce honteux qui
n'est utile qu'au flatteur. Si un flatteur se pro-
mène avec quelqu'un dans la place: Remar-
quez-vous, lui dit-il, comme tout le monde a
les yeux sur vous? cela n'arrive qu'à vous seul.
Hier il fut bien parlé de vous, et l'on ne taris-
soit point sur vos louanges. Nous nous trouvâ-
mes plus de trente personnes dans un endroit
du Portique (1); et comme par la suite du dis-
cours l'on vint à tomber sur celui que l'on de-
voit estimer le plus homme de bien de la ville,
tous d'une commune voix vous nommèrent, et
il n'y en eut pas un seul qui vous refusât ses
suffrages. Il lui dit mille choses de cette nature.
Il affecte d'apercevoir le moindre duvet qui se
sera attaché à votre habit, de le prendre, et
de le souffler à terre : si par hasard le vent a
fait voler quelques petites pailles sur votre barbe
ou sur vos cheveux, il prend soin de vous les
ôter; et vous souriant: Il est merveilleux, dit-

combien vous êtes blanchi (2) depuis deux jours que je ne vous ai pas vu. Et il ajoute : Voilà encore, pour un homme de votre âge, assez de cheveux noirs. Si celui qu'il veut flat

Aristote désigne par ce mot cette dissimulation, à-la-fois
modeste et adroite, des avantages qu'on a sur les autres,
dont Socrate a fait un usage si heureux. (Voyez Moral. ad

Nicom., IV, 7.) Mais le maître de Théophraste dit, en
faisant l'énumération des vices opposés à la véracité, qu'on
s'écarte de cette vertu, soit pour le seul plaisir de mentir,
soit par jactance, soit par intérêt. C'est sur-tout cette der-il,
nière modification de la dissimulation qu'il me semble que

Théophraste a voulu caractériser ici; et ce ne peut être
que faute d'un terme plus propre qu'il l'a appelée ironie.

Les deux autres espèces sont peintes dans les Caractères

ter prend la parole, il impose silence à tous aperçoit quelque part le portrait du maître, où ceux qui se trouvent présents, et il les force d'ap-il soit extrêmement flatté, il est touché de voir prouver aveuglément tout ce qu'il avance (5); combien il lui ressemble, et il l'admire comme et, dès qu'il a cessé de parler, il se récrie: Cela un chef-d'œuvre. En un mot, le flatteur ne dit est dit le mieux du monde, rien n'est plus heu- rien et ne fait rien au hasard; mais il rapporte reusement rencontré. D'autres fois, s'il lui ar- toutes ses paroles et toutes ses actions au desrive de faire à quelqu'un une raillerie froide, sein qu'il a de plaire à quelqu'un, et d'acquérir il ne manque pas de lui applaudir, d'entrer ses bonnes graces. dans cette mauvaise plaisanterie; et quoiqu'il n'ait nulle envie de rire, il porte à sa bouche l'un des bouts de son manteau, comme s'il ne pouvoit se contenir et qu'il voulût s'empêcher d'éclater; et, s'il l'accompagne lorsqu'il marche par la ville, il dit à ceux qu'il rencontre dans son chemin de s'arrêter jusqu'à ce qu'il soit passé (4). Il achète des fruits, et les porte chez ce citoyen; il les donne à ses enfants en sa présence, il les baise, il les caresse : Voilà, dit-il, de jolis enfants, et dignes d'un tel père. S'il sort de sa maison, il le suit; s'il entre dans une boutique pour essayer des souliers, il lui dit : Votre pied est mieux fait que cela (5). Il l'accompagne ensuite chez ses amis, ou plutôt il entre le premier dans leur maison, et leur dit : Un tel me suit, et vient vous rendre visite; et retournant sur ses pas : « Je vous ai annoncé, ‹ dit-il, et l'on se fait un grand honneur de ‹ vous recevoir. Le flatteur se met à tout sans hésiter, se mèle des choses les plus viles, et qui ne conviennent qu'à des femmes (6). S'il est invité à souper, il est le premier des conviés à louer le vin; assis à table le plus proche de celui qui fait le repas, il lui répète souvent: En vérité, vous faites une chère délicate (7); et montrant aux autres l'un des mets qu'il soulève du plat Cela s'appelle, dit-il, un morceau friand. Il a soin de lui demander s'il a froid, s'il ne voudroit point une autre robe, et il s'empresse de le mieux couvrir : il lui parle sans cesse à l'oreille; et, si quelqu'un de la compagnie l'interroge, il lui répond négligemment et sans le regarder, n'ayant des yeux que pour un seul. Il ne faut pas croire qu'au théâtre il oublie d'arracher des carreaux des mains du valet qui les distribue, pour les porter à sa place et l'y faire asseoir plus mollement (8). J'ai dû dire aussi qu'avant qu'il sorte de sa maison il en loue l'architecture, se récrie sur toutes choses, dit que les jardins sont bien plantés; et, s'il

NOTES.

(1) Edifice public qui servit depuis à Zénon et à ses disciples de rendez-vous pour leurs disputes : ils en furent appelés stoïciens; car stoa, mot grec, signifie portique. (La Bruyère.) Zénon est mort au plus tard au commencement de la cent trentième olympiade, après avoir enseigné pendant cinquante-huit ans. Théophraste, qui a vécu jusqu'à l'an 1 de la cent vingt-troisième olympiade, a donc vu naître l'école du Portique trente ans avant sa mort, et c'est vraisemblablement à dessein qu'il a placé ici

le nom de cet édifice. On sait que Zénon a dit, au sujet

des deux mille disciples de Théophraste, que le chœur de ce philosophe étoit composé d'un plus grand nombre de

musiciens, mais qu'il y avoit plus d'accord et d'harmonie dans le sien : comparaison qui marque la rivalité de ces deux écoles.

(2) « Allusion à la nuance que de petites pailles font << dans les cheveux. » Et un peu plus bas, « Il parle à un « jeune homme. » (La Bruyère.) Je croirois plutôt que le flatteur est censé s'adresser à un vieillard, et que la petite paille ne lui sert que d'occasion pour débiter un compliment outré, en faisant semblant de s'apercevoir pour la

première fois des cheveux blancs de cet homme qui en a la tête couverte.

(3) La Bruyère s'écarte ici de l'interprétation de Ca

saubon. D'après ce grand critique, au lieu de, « il les force, etc.,» il faut traduire, « il le loue en face. » Cette version, et notamment la correction de Sylburgius, est confirmée par les manuscrits 1983, 2977 et 1916 de la Bibliothèque du Roi.

(4) « Jusqu'à ce que Monsieur soit passé. » (Traduction de M. Coray.)

(5) Le grec dit plus clairement, « Votre pied est mieux << fait que la chaussure. »

(6) Il y a dans le grec, « Certes, il est même capable << de vous présenter, sans prendre haleine, ce qu'on vend << au marché des femmes. » Selon Ménandre, cité par Pollux (liv. X, segm. 18), ce qu'on appeloit le marché des femmes étoit l'endroit où l'on vendoit la poterie : et comme ce trait est distingué de tous les autres par la phrase, « Certes, il est même capable,» il me paroît que Théophraste reproche au flatteur, en termes couverts, ce qu'Épictète a dit plus clairement (Arrien, liv. Ier, chap. II, tome Ier, page 13 de l'édition de mon père), Matulam

præbet. Le verbe de la phrase grecque n'admet pas d'autre signification que celle de servir, présenter ; l'adverbe que j'ai rendu littéralement, sans prendre haleine, dési

gne ou la hâte avec laquelle il rend ce service, ou l'effet

d'une répugnance naturelle en pareil cas.

fête des Mystères (4) : il lui demande combien de colonnes soutiennent le théâtre de la musique (5), quel est le quantième du mois : il lui dit qu'il a eu la veille une indigestion; et, si cet homme à qui il parle a la patience de l'écouter, il ne partira pas d'auprès de lui, il lui annoncera comme une chose nouvelle que les Mystères (6) se célèbrent dans le mois d'août, les Apaturies (7) au mois d'octobre; et à la campagne, dans le mois de décembre, les Bacchanales (8).

cru, un valet attaché au théâtre qui distribuoit des coussins; mais les riches les y faisoient porter par leurs esclaves. Ovide conseille aux amants la complaisance que Théophraste semble reprocher aux flatteurs; il dit dans son Art d'aimer Fuit utile multis Pulvinum facili composuisse manu, etc.

(8) Ce n'étoit pas, comme La Bruyère paroit l'avoir Il n'y a, avec de si grands causeurs, qu'un parti à prendre, qui est de fuir (9), si l'on veut du moins viter la fièvre; car quel moyen de pouvoir tenir contre des gens qui ne savent pas discerner ni votre loisir, ni le temps de vos affaires?

(7) D'après M. Coray, il faut traduire : « Il vous dit, « En vérité, vous mangez sans appétit ; et il vous sert << ensuite un morceau choisi, en disant, Cela vous fera « du bien : » ce qui rappelle ces vers de Boileau dans la satire du repas : « Qu'avez-vous donc, que vous ne man<< gez point? » et « mangez sur ma parole. »

Le savant auteur du Voyage du jeune Anacharsis, qui nous a rendus, pour ainsi dire, concitoyens de Théophraste, a emprunté, dans son chap. XXVIII, plusieurs traits de ce caractère pour faire le portrait du parasite de Philandre.

NOTES.

des termes abstraits. On auroit pu intituler ce chapitre (1) Dans le grec, les noms des Caractères sont toujours du Babil, et traduire la définition plus littéralement : << Le babil est une profusion de discours longs et irré« fléchis. >>

CHAPITRE III.

De l'impertinent, ou du diseur de riens.

La sotte envie de discourir vient d'une habitude qu'on a contractée de parler beaucoup et sans réflexion (1). Un homme qui veut parler, se trouvant assis proche d'une personne qu'il n'a jamais vue et qu'il ne connoît point, entre d'abord en matière, l'entretient de sa femme, et lui fait son éloge, lui conte son songe, lui fait un long détail d'un repas où il s'est trouvé, sans oublier le moindre mets ni un seul service; il s'échauffe ensuite dans la conversation, déclame contre le temps présent, et soutient que les hommes qui vivent présentement ne valent point leurs pères : de là il se jette sur ce qui se débite au marché, sur la cherté du blé (2), sur le grand nombre d'étrangers qui sont dans la ville il dit qu'au printemps, où commencent les Bacchanales (3), la mer devient navigable; qu'un peu de pluie seroit utile aux biens de la terre, et feroit espérer une bonne récolte ; qu'il saison, liv. I, ode Iv. cultivera son champ l'année prochaine, et qu'il le mettra en valeur; que le siècle est dur, et qu'on a bien de la peine à vivre. Il apprend à cet inconnu que c'est Damippe qui a fait brûler la plus belle torche devant l'autel de Cérès à la

:

M. Barthélemy a inséré ce Caractère presque en entier dans le vingt-huitième chapitre de son Voyage du jeune Anacharsis.

(2) Le grec dit : « Sur le bas prix du blé. » A Athènes, cette denrée étoit taxée, et il y avoit des inspecteurs particuliers pour en surveiller la vente. On peut voir à ce sujet le chap. xII du Voyage du jeune Anacharsis, auquel je renverrai souvent le lecteur, parceque cet intéressant ouvrage donne des éclaircissements suffisants aux gens du monde, et fournit aux savants des citations pour des recherches ultérieure

(5) Premières Bacchanales, qui se célébroient dans la ville. (La Bruyère.) La Bruyère appelle cette fète de Bacchus la première, pour la distinguer de celle de la campagne, dont il sera question plus bas. Elle étoit appelée ordinairement les grandes Dionysiaques, ou bien les Bacchanales par excellence; car elle étoit beaucoup plus brillante que celle de la campagne, où il n'y avoit point d'étrangers, parcequ'elle étoit célébrée en hiver. (Voyez le scoliaste d'Aristophane ad Acharn., v. 201 et 503, et le

chap. xxiv du Voyage du jeune Anacharsis.)

Pendant l'hiver, les vaisseaux des anciens étoient tirés à

terre et placés sous des hangars; on les lançoit de nouveau à la mer, au printemps: Trahuntque siccas machina carinas, dit Horace en faisant le tableau de cette

(4) Les mystères de Cérès se célébroient la nuit, et il y avoit une émulation entre les Athéniens à qui apporteroit une plus grande torche. (La Bruyère.) Ces torches étoient

allumées en mémoire de celles dont Cérès éclaira sa course nocturne en cherchant Proserpine ravie par Pluton. Pau

sanias nous apprend, liv. I, chap. 11, que dans le temple | se réduire à un ton de voix modéré; ne se pas de Cérès à Athènes il y avoit une statue de Bacchus por- fier à leurs amis sur les moindres affaires, pentant une torche; et l'on voit souvent des torches reprédant qu'ils s'en entretiennent avec leurs domes

sentées dans les bas-reliefs ou autres monuments anciens qui retracent des cérémonies religieuses. (Voyez le Musée du Capitole, tome IV, planc. 57, et le Musée Pio Clem., tome V, planche 80.) Dans les grandes Dionysiaques d'Athenes, on en plaçoit sur les toits; et, dans les Saturnales

de Rome, on en érigeoit devant les maisons: il en étoit

peut-être de même dans les mystères de Cérès; car les

nots devant l'autel ne sont point dans le texte.

tiques, jusqu'à rendre compte à leurs moindres valets (2) de ce qui aura été dit dans une assemblée publique.. On les voit assis, leur robe relevée jusqu'aux genoux et d'une manière indécente. Il ne leur arrive pas en toute leur vie de rien admirer, ni de paroître surpris des choses les plus extraordinaires que l'on rencontre sur les chemins (5); mais si c'est un bœuf, un âne ou un vieux bouc, alors ils s'arrêtent et ne se lassent point de les contempler. Si quelquefois ils entrent dans leur cuisine, ils mangent avidement tout ce qu'ils y trouvent, boivent tout d'une haleine une grande tasse de vin pur; ils se cachent pour cela de leurs servantes, avec qui d'ailleurs ils vont au moulin, et entrent dans les plus petits détails du domestique (4). Ils interrompent leur souper, et se lèvent pour

(6) Fête de Cérès. Voyez ci-dessus. ( La Bruyère.)

(7) En françois, la fête des Tromperies: son origine ne fait rien aux mœurs de ce chapitre. (La Bruyere.) Elle fut instituée et prit le nom que La Bruyère vient d'expliquer, parceque, dans le combat singulier que Mélanthus livra, au nom des Athéniens, à Xanthus, chef des Béotiens, Bacchus vint au secours du premier en trompant Xanthus. On trouvera quelques détails sur les usages de donner une poignée d'herbes aux bêtes de charcette fête dans le chap. xxvi d'Anacharsis. rue (5) qu'ils ont dans leurs étables. Heurtet-on à leur porte pendant qu'ils dînent, ils sont attentifs et curieux. Vous remarquez toujours proche de leur table un gros chien de cour qu'ils appellent à eux, qu'ils empoignent par la gueule, en disant (6) : Voilà celui qui garde la place, qui prend soin de la maison et de ceux qui sont dedans. Ces gens, épineux dans les paiements qu'on leur fait, rebutent un grand nombre de pièces qu'ils croient légères, ou qui ne brillent pas assez à leurs yeux, et qu'on est obligé de leur changer. Ils sont occupés pendant la nuit d'une charrue, d'un sac, d'une faux, d'une corbeille, et ils rêvent à qui ils ont prêté ces ustensiles. Et lorsqu'ils marchent par la ville Combien vaut, demandent-ils aux premiers qu'ils rencontrent, le poisson salé? Les fourrures se vendent-elles bien (7)? N'est-ce pas aujourd'hui que les jeux nous ramènent une nouvelle lune (8)? D'autres fois, ne sachant que dire, ils vous apprennent qu'ils vont se faire raser, et qu'ils ne sortent que pour cela (9). Ce sont ces mêmes personnes que l'on entend chanter dans le bain, qui mettent des clous à leurs souliers, et qui, se trouvant tout portés devant la boutique d'Archias (10), achètent eux-mêmes des viandes salées et les rapportent à la main en pleine rue.

(5) L'Odéon. Il avoit été bâti par Périclès, sur le modèle de la tente de Xerxès: son comble, terminé en pointe, étoit fait des antennes et des mâts enlevés aux vaisseaux des Perses: il fut brûlé au siége d'Athènes par Sylla.

(8) Il auroit mieux valu traduire, « Et les Bacchanales « de la campagne dans le mois de décembre. » (Voyez

ci-dessus, note 5.) Elles se célébroient près d'un temple

appelé Lenæum, ou le temple du pressoir.

On peut consulter, sur les fêtes d'Athènes en général, et sur les mois dans lesquels elles étoient célébrées, la

deuxième table ajoutée à l'ouvrage de l'abbé Barthélemy par son savant et modeste ami M. de Sainte-Croix, qui a éclairci l'histoire et les usages de la Grèce par tant de re

cherches profondes et utiles.

(9) Littéralement : « Il faut se débarrasser de telles gens,

et les fuir à toutes jambes. » Aristote dit un jour à un tel causeur : « Ce qui m'étonne, c'est qu'on ait des oreilles « pour t'entendre, quand on a des jambes pour t'é<chapper. »

CHAPITRE IV.

De la rusticité.

Il semble que la rusticité n'est autre chose qu'une ignorance grossière des bienséances. L'on voit en effet des gens rustiques et sans réflexion sortir un jour de médecine (1), et se trouver en cet état dans un lieu public parmi le monde; ne pas faire la différence de l'odeur forte du thym ou de la marjolaine d'avec les parfums les plus délicieux ; être chaussés large et grossièrement; parler haut, et ne pouvoir

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