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la vérité, et d'être heureux; mais il n'a point de vérité, ou constante, ou satisfaisante. Je voudrois donc porter l'homme à desirer d'en trouver, à être prêt et dégagé des passions pour la suivre où il la trouvera; et sachant combien sa connoissance s'est obscurcie par les passions, je voudrois qu'il haït en lui la concupiscence qui la détermine d'elle-même, afin qu'elle ne l'aveuglât point en faisant son choix, et qu'elle ne l'arrêtât point quand il aura choisi.

ait sur la terre, de quelque santé et commodité | qu'il s'aime : il a en lui la capacité de connoître essentielle qu'il jouisse, il n'est pas satisfait, s'il n'est dans l'estime des hommes. Il estime si grande la raison de l'homme, que, quelque avantage qu'il ait dans le monde, il se croit malheureux, s'il n'est placé aussi avantageusement dans la raison de l'homme. C'est la plus belle place du monde : rien ne peut le détourner de ce desir, et c'est la qualité la plus ineffaçable du cœur de l'homme. Jusque-là que ceux qui méprisent le plus les hommes, et qui les égalent aux bêtes, veulent encore en être admirés, et se contredisent à eux-mêmes par leur propre sentiment; la nature, qui est plus puissante que toute leur raison, les convainquant plus fortement de la grandeur de l'homme, que la raison

ne les convainc de sa bassesse.

VI.

L'homme n'est qu'un roseau le plus foible de la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraseroit, l'homme seroit encore plus noble que ce qui le tue, parcequ'il sait qu'il meurt; et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. Ainsi toute notre dignité consiste dans la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée. Travaillons donc à bien penser: voilà le principe de la morale.

VII.

IX.

Je blâme également, et ceux qui prennent le parti de louer l'homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de le divertir; et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant.

Les stoïques disent Rentrez au-dedans de vous-mêmes, et c'est là où vous trouverez votre repos : et cela n'est pas vrai. Les autres disent : Sortez dehors, et cherchez le bonheur en vous divertissant : et cela n'est pas vrai. Les maladies viennent : le bonheur n'est ni dans nous, ni hors de nous; il est en Dieu et en nous.

X.

La nature de l'homme se considère en deux

manières : l'une selon sa fin, et alors il est grand et incompréhensible; l'autre selon l'habitude, comme l'on juge de la nature du cheval et du chien, par l'habitude d'y voir la course, et aniVoilà les deux voies qui en font juger diversemum arcendi; et alors l'homme est abject et vil.

Il est dangereux de trop faire voir à l'homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui fairement, et qui font tant disputer les philosophes ; trop voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un et l'autre ; mais il est très avantageux de lui représenter l'un et l'autre.

VIII.

Que l'homme donc s'estime son prix. Qu'il s'aime, car il a en lui une nature capable de bien; mais qu'il n'aime pas pour cela les bassesses qui y sont. Qu'il se méprise, parceque cette capacité est vide; mais qu'il ne méprise pas pour cela cette capacité naturelle. Qu'il se haïsse,

Il n'est pas né à cette fin, car toutes ses actions car l'un nie la supposition de l'autre : l'un dit : y répugnent; l'autre dit: Il s'éloigne de sa fin quand il fait ces actions basses. Deux choses instruisent l'homme de toute sa nature : l'instinct et l'expérience.

XI.

Je sens que je peux n'avoir point été : car le moi consiste dans ma pensée; donc moi qui pense n'aurois point été, si ma mère eût été tuée avant que j'eusse été animé. Donc je ne suis pas un être nécessaire. Je ne suis pas aussi éter

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Nous sommes si présomptueux, que nous voudrions être connus de toute la terre, et même des gens qui viendront quand nous ne serons plus; et nous sommes si vains, que l'estime de cinq ou six personnes qui nous environnent nous amuse et nous contente.

VI.

Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paroître. Nous travaillons incessamment à embellir et à conserver cet être imaginaire, et nous négligeons le véritable; et si nous avons ou la tranquillité, ou la générosité, ou la fidéLa curiosité n'est que vanité. Le plus souvent lité, nous nous empressons de le faire savoir, on ne veut savoir que pour en parler. On ne afin d'attacher ces vertus à cet être d'imagina-voyageroit pas sur la mer pour ne jamais en tion: nous les détacherions plutôt de nous pour rien dire, et pour le seul plaisir de voir, sans les y joindre, et nous serions volontiers poltrons espérance de s'en entretenir jamais avec perpour acquérir la réputation d'être vaillants. Grande marque du néant de notre propre être, de n'être pas satisfait de l'un sans l'autre, et de renoncer souvent à l'un pour l'autre! Car qui ne mourroit pour conserver son honneur, celuilà seroit infame. La douceur de la gloire est si grande, qu'à quelque chose qu'on l'attache, même à la mort, on l'aime.

II.

L'orgueil contre-pèse toutes nos misères; car ou il les cache, ou s'il les découvre, il se glorifie de les connoître. Il nous tient d'une possession si naturelle au milieu de nos misères et de sion si naturelle au milieu de nos misères et de nos erreurs, que nous perdons même la vie avec joie, pourvu qu'on en parle.

III.

La vanité est si ancrée dans le cœur de l'homme, qu'un goujat, un marmiton, un crocheteur se vante et veut avoir ses admirateurs et les philosophes mêmes en veulent. Ceux qui écrivent contre la gloire veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit ; et ceux qui le lisent veulent avoir la gloire de l'avoir lu : et moi qui écris ceci, j'ai peut-être cette envie; et peut-être que ceux qui le liront l'auront aussi.

sonne.

VII.

On ne se soucie pas d'être estimé dans les villes où l'on ne fait que passer; mais quand on doit y demeurer un peu de temps, on s'en soucie. Combien de temps faut-il? Un temps proportionné à notre durée vaine et chétive.

VIII.

La nature de l'amour-propre et de ce moi humain est de n'aimer que soi, et de ne considérer que soi. Mais que fera-t-il? Il ne sauroit empêcher que cet objet qu'il aime ne soit plein de défauts et de misères : il veut être grand, et il se voit petit: il veut être heureux, et il se voit misérable: il veut être parfait, et il se voit plein d'imperfections: il veut être l'objet de l'amour et de l'estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris. Cet embarras où il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle passion qu'il soit possible de s'imaginer; car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend et qui le convainc de ses défauts. Il desireroit de l'anéantir, et ne pouvant la détruire en elle-même, il la détruit autant qu'il peut, dans sa connoissance et dans celle des autres,

c'est-à-dire qu'il met toute son application à | c'est une des principales raisons qui a fait récouvrir ses défauts, et aux autres, et à soi-même, volter contre l'Église une grande partie de l'Euet qu'il ne peut souffrir qu'on les lui fasse voir, rope. ni qu'on les voie.

Que le cœur de l'homme est injuste et déraisonnable, pour trouver mauvais qu'on l'oblige de faire à l'égard d'un homme ce qu'il seroit juste, en quelque sorte, qu'il fit à l'égard de tous les hommes! Car est-il juste que nous les trompions?

C'est sans doute un mal que d'être plein de défauts; mais c'est encore un plus grand mal que d'en être plein, et de ne point vouloir les reconnoitre, puisque c'est y ajouter encore celui d'une illusion volontaire. Nous ne voulons pas que les autres nous trompent; nous ne trouvons pas juste qu'ils veuillent être estimés de nous plus qu'ils ne le méritent : il n'est donc pas juste aussi que nous les trompions, et que nous voulions qu'ils nous estiment plus que nous ne mé-vaise délicatesse qui oblige ceux qui sont dans ritons.

Ainsi, lorsqu'ils ne nous découvrent que des imperfections et des vices que nous avons en effet, il est visible qu'ils ne nous font point de tort, puisque ce ne sont pas eux qui en sont cause; et qu'ils nous font un bien, puisqu'ils nous aident à nous délivrer d'un mal qui est l'ignorance de ces imperfections. Nous ne devons pas être fàchés qu'ils les connoissent, étant juste, et qu'ils nous connoissent pour ce que nous sommes, et qu'ils nous méprisent, si nous sommes méprisables.

Voilà les sentiments qui naîtroient d'un cœur qui seroit plein d'équité et de justice. Que devons-nous donc dire du nôtre, en y voyant une disposition toute contraire? Car n'est-il pas vrai que nous haïssons la vérité et ceux qui nous la disent, et que nous aimons qu'ils se trompent à notre avantage, et que nous voulons être estimés d'eux, autres que nous ne sommes en effet?

En voici une preuve qui me fait horreur. La religion catholique n'oblige pas à découvrir ses péchés indifféremment à tout le monde : elle souffre qu'on demeure caché à tous les autres hommes; mais elle en excepte un seul, à qui elle commande de découvrir le fond de son cœur, et de se faire voir tel qu'on est. Il n'y a que ce seul homme au monde qu'elle nous ordonne de désabuser, et elle l'oblige à un secret inviolable, qui fait que cette connoissance est dans lui comme si elle n'y étoit pas. Peut-on s'imaginer rien de plus charitable et de plus doux? Et néanmoins la corruption de l'homme est telle, qu'il trouve encore de la dureté dans cette loi; et

Il y a différents degrés dans cette aversion pour la vérité mais on peut dire qu'elle est dans tous en quelque degré, parcequ'elle est inséparable de l'amour-propre. C'est cette mau

la nécessité de reprendre les autres de choisir tant de tours et de tempéraments pour éviter de les choquer. Il faut qu'ils diminuent nos défauts, qu'ils fassent semblant de les excuser, qu'ils y mêlent des louanges et des témoignages d'affection et d'estime. Avec tout cela, cette médecine ne laisse pas d'être amère à l'amour-propre. Il en prend le moins qu'il peut, et toujours avec dégoût, et souvent même avec un secret dépit contre ceux qui la lui présentent.

Il arrive de là que si on a quelque intérêt d'être aimé de nous, on s'éloigne de nous rendre un office qu'on sait nous être désagréable; on nous traite comme nous voulons être traités nous haïssons la vérité, on nous la cache; nous voulons être flattés, on nous flatte; nous aimons à être trompés, on nous trompe.

C'est ce qui fait que chaque degré de bonne fortune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage de la vérité, parcequ'on appréhende plus de blesser ceux dont l'affection est plus utile et l'aversion plus dangereuse. Un prince sera la fable de toute l'Europe, et lui seul n'en saura rien. Je ne m'en étonne pas : dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parcequ'ils se font haïr. Or, ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu'ils servent ; et ainsi ils n'ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes. Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes; mais les moindres n'en sont pas exemptes, parcequ'il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi la vie humaine n'est

qu'une illusion perpétuelle; on ne fait que s'en- | entre plus. Il n'y a qu'un point indivisible qui tre-tromper et s'entre-flatter. Personne ne parle soit le véritable lieu de voir les tableaux : les aude nous en notre présence comme il en parle en tres sont trop près, trop loin, trop haut, trop notre absence. L'union qui est entre les hommes bas. La perspective l'assigne dans l'art de la n'est fondée que sur cette mutuelle tromperie; peinture. Mais dans la vérité et dans la morale, et peu d'amitiés subsisteroient, si chacun sa- qui l'assignera? voit ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas, quoiqu'il en parle alors sincèrement et sans passion.

L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même, et à l'égard des autres. Il ne veut pas qu'on lui dise la vérité, il évite de la dire aux autres, et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son

cœur.

ARTICLE VI.

Foiblesse de l'homme; incertitude de ses connoissances naturelles.

I.

Ce qui m'étonne le plus est de voir que tout le monde n'est pas étonné de sa foiblesse. On agit sérieusement, et chacun suit sa condition, non pas parcequ'il est bon en effet de la suivre, puisque la mode en est, mais comme si chacun puisque la mode en est, mais comme si chacun savoit certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure; et, par une plaisante humilité, on croit que c'est sa faute, et non pas celle de l'art qu'on se vante toujours d'avoir. Il est bon qu'il y ait beaucoup de ces gens-là au monde, afin de montrer que l'homme est bien capable des plus extravagantes opinions, puisqu'il est capable de croire qu'il n'est pas dans cette foiblesse naturelle et inévitable, et qu'il est, au contraire, dans la sagesse natuet qu'il est, au contraire, dans la sagesse natu

relle.

II.

La foiblesse de la raison de l'homme paroît bien davantage en ceux qui ne la connoissent pas qu'en ceux qui la connoissent. Si on est trop jeune, on ne juge pas bien. Si on est trop vieux, de même. Si on n'y songe pas assez, si on y songe trop, on s'entète, et l'on ne peut trouver la vérité. Si l'on considère son ouvrage incontinent après l'avoir fait, on en est encore tout prévenu. Si trop long-temps après, on n'y

III.

Cette maîtresse d'erreur, que l'on appelle fantaisie et opinion, est d'autant plus fourbe, qu'elle ne l'est pas toujours; car elle seroit règle infaillible de la vérité, si elle l'étoit infaillible du mensonge. Mais, étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant de même caractère le vrai et le faux.

Cette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux et ses malheureux; ses sains, ses malades; ses riches, ses pauvres; ses fous et ses sages et rien ne nous dépite davantage tisfaction beaucoup plus pleine et entière que la que de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une saraison: les habiles par imagination se plaisant tout autrement en eux-mêmes que les prudents ne peuvent raisonnablement se plaire. Ils regardent les gens avec empire; ils disputent avec hardiesse et confiance; les autres avec crainte souvent l'avantage dans l'opinion des écoutants, et défiance et cette gaieté de visage leur donne tant les sages imaginaires ont de faveur auprès de leurs juges de même nature! Elle ne peut les fous; mais elle les rend con

rendre sages

tents, à l'envi de la raison, qui ne peut rendre

ses amis

que

misérables. L'une les comble de

gloire, l'autre les couvre de honte.
gloire, l'autre les couvre de honte.

Qui dispense la réputation? qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux grands, sinon l'opinion? Combien toutes les richesses de la terre sont-elles insuffisantes sans son consentement!

L'opinion dispose de tout; elle fait la beauté, la justice et le bonheur, qui est le tout du monde. Je voudrois de bon cœur voir le livre italien, dont je ne connois que le titre, qui vaut lui seul bien des livres, Della opinione, regina del mondo. J'y souscris sans le connoître, sauf le mal, s'il y en a.

IV.

est indubitable que nous ne le serons jamais, si nous n'aspirons à une autre béatitude qu'à celle dont on peut jouir en cette vie.

VI.

La chose la plus importante à la vie, c'est le choix d'un métier. Le hasard en dispose. La coutume fait les maçons, les soldats, les couvreurs. C'est un excellent couvreur, dit-on; et en parlant des soldats: Ils sont bien fous, dit-on; et Notre imagination nous grossit si fort le temps les autres, au contraire : Il n'y a rien de grand présent, à force d'y faire des réflexions contique la guerre; le reste des hommes sont des co-nuelles, et amoindrit tellement l'éternité, manquins. A force d'ouïr louer en l'enfance ces mé- que d'y faire réflexion, que nous faisons de l'étiers, et mépriser tous les autres, on choisit; ternité un néant, et du néant une éternité; et tout cela a ses racines si vives en nous, que car naturellement on aime la vertu, et l'on hait toute notre raison ne peut nous en défendre. l'imprudence. Ces mots nous émeuvent : on ne pèche que dans l'application; et la force de la coutume est si grande, que des pays entiers sont tous de maçons, d'autres tous de soldats. Sans doute que la nature n'est pas si uniforme. C'est donc la coutume qui fait cela, et qui entraîne la nature; mais quelquefois aussi la nature la surmonte, et retient l'homme dans son instinct, malgré toute la coutume, bonne ou mauvaise.

V.

Nous ne nous tenons jamais au présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent, et comme pour le hâter; ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt: si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas à nous, et ne pensons point au seul qui nous appartient; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont point, et laissons échapper sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent d'ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parcequ'il nous afflige; et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tachons de le soutenir par l'avenir, et nous pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.

Que chacun examine sa pensée, il la trouvera toujours occupée au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre des lumières pour disposer l'avenir. Le présent n'est jamais notre but : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre objet. Ainsi nous ne vivons jamais; mais nous espérons de vivre ; et nous disposant toujours à être heureux, il

VII.

Cromwell alloit ravager toute la chrétienté : la famille royale étoit perdue, et la sienne à jamais puissante, sans un petit grain de sable qui se mit dans son uretère. Rome même alloit trembler sous lui; mais ce petit gravier, qui n'étoit rien ailleurs, mis en cet endroit, le voilà mort, sa famille abaissée, et le roi rétabli.

VIII.

On ne voit presque rien de juste et d'injuste, qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d'élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité, ou peu d'années de possession 3. Les lois fondamentales changent. Le droit a ses époques. Plaisante justice, qu'une rivière ou une montagne borne! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà.

IX.

4 Le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant qu'un homme ait droit de me tuer parcequ'il demeure au-delà de l'eau, et que son

Quelques nouvelles éditions mettent ici urètre; mais on lit uretère dans les anciennes, et j'ai cru devoir les suivre.

2 C'est-à-dire, de qualité dans l'opinion des hommes, mais non pas de nature en soi. Cette pensée est imitée de Montaigne.

3 Peut-être conviendroit-il de lire: Un méridien décide de la vérité. En peu d'années de possession, les lois fondamentales changent. (Édition de 1787.)

4 Presque tout ce paragraphe est tiré ou imité de Montaigne. Voyez ses ESSAIS. Liv. 11, ch. 12, etc.

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