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souffrent qu'impatiemment qu'en ménageant les particuliers avec toutes les précautions que la prudence peut suggérer, j'essaie dans mon livre des mœurs de décrier, s'il est possible, tous les vices du cœur et de l'esprit, de rendre l'homme raisonnable et plus proche de devenir chrétien. Tels ont été les Théobaldes, ou ceux du moins qui travaillent sous eux et dans leur atelier.

ainsi ils les condamnent : ils y trouvent des endroits | Voilà ceux qui, par délicatesse de conscience, ne foibles; il y en a dans Homère, dans Pindare, dans Virgile, et dans Horace; où n'y en a-t-il point? si ce n'est peut-être dans leurs écrits. Bernin n'a pas manié le marbre, ni traité toutes ses figures d'une égale force; mais on ne laisse pas de voir, dans ce qu'il a moins heureusement rencontré, de certains traits si achevés tout proche de quelques autres qui le sont moins, qu'ils découvrent aisément l'excellence de l'ouvrier: si c'est un cheval, les crins sont tournés d'une main hardie, ils voltigent et semblent ètre le jouet du vent; l'œil est ardent, les naseaux soufflent le feu et la vie; un ciseau de maître s'y re- | trouve en mille endroits; il n'est pas donné à ses copistes ni à ses envieux d'arriver à de telles fautes par leurs chefs-d'œuvre; l'on voit bien que c'est quelque chose de manqué par un habile homme, et une faute de Praxitèle.

Mais qui sont ceux qui, si tendres et si scrupuleux, ne peuvent même supporter que, sans blesser et sans nommer les vicieux, on se déclare contre le vice? sont-ce des chartreux et des solitaires? sont-ce les jésuites, hommes pieux et éclairés? sont-ce ces hommes religieux qui habitent en France les cloîtres et les abbayes? Tous au contraire lisent ces sortes d'ouvrages, et en particulier, et en public, à leurs récréations; ils en inspirent la lecture à leurs pensionnaires, à leurs élèves; ils en dépeuplent les boutiques, ils les conservent dans leurs bibliothèques : n'ont-ils pas les premiers reconnu le plan et l'économie du livre des Caractères? n'ont-ils pas observé que de seize chapitres qui le composent il y en a quinze qui, s'attachant à découvrir le faux et le ridicule qui se rencontrent dans les objets des passions et des attachements humains, ne tendent qu'à ruiner tous les obstacles qui affoiblissent d'abord, et qui éteignent ensuite dans tous les hommes la connoissance de Dieu; qu'ainsi ils ne sont que des preparations au seizième et dernier chapitre, où l'athéisme est attaqué et peut-être confondu, où les preuves de Dieu, une partie du moins de celles que les foibles hommes sont capables de recevoir dans leur esprit, sont apportées, où la providence de Dieu est défendue contre l'insulte et les plaintes des libertins? Qui sont donc ceux qui osent répéter contre un ouvrage si sérieux et si utile ce continuel refrain: « C'est médisance, c'est calomnie? » Il faut les nommer: ce sont des poëtes. Mais quels poëtes? Des auteurs d'hymnes sacrées ou des traducteurs de psaumes, des Godeau ou des Corneille? Non, mais des faiseurs de stances et d'élégies amoureuses, de ces beaux esprits qui tournent un sonnet sur une absence ou sur un retour, qui font une épigramme sur une belle gorge, et un madrigal sur une jouissance.

Ils sont encore allés plus loin; car, palliant d'une politique zélée le chagrin de ne se sentir pas à leur gré si bien loués et si long-temps que chacun des autres académiciens, ils ont osé faire des applications délicates et dangereuses de l'endroit de ma harangue où, m'exposant seul à prendre le parti de toute la littérature contre leurs plus irréconciliables ennemis, gens pécunieux, que l'excès d'argent, ou qu'une fortune faite par de certaines voies, jointe à la faveur des grands qu'elle leur attire nécessairement, mène jusqu'à une froide insolence, je leur fais à la vérité à tous une vive apostrophe, mais qu'il n'est pas permis de détourner de dessus eux pour la rejeter sur un seul, et sur tout autre.

Ainsi en usent à mon égard, excités peut-être par les Théobaldes, ceux qui, se persuadant qu'un auteur écrit seulement pour les amuser par la satire, et point du tout pour les instruire par une saine morale, au lieu de prendre pour eux et de faire servir à la correction de leurs mœurs les divers traits qui sont semés dans un ouvrage, s'appliquent à découvrir, s'ils le peuvent, quels de leurs amis ou de leurs ennemis ces traits peuvent regarder, négligent dans un livre tout ce qui n'est que remarques solides ou sérieuses réflexions, quoiqu'en si grand nombre qu'elles le composent presque tout entier, pour ne s'arrêter qu'aux peintures ou aux caractères; et après les avoir expliqués à leur manière, et en avoir cru trouver les originaux, donnent au public de longues listes, ou, comme ils les appellent, des clefs, fausses clefs, et qui leur sont aussi inutiles qu'elles sont injurieuses aux personnes dont les noms s'y voient déchiffrés, et à l'écrivain qui en est la cause, quoique innocente.

J'avois pris la précaution de protester dans une préface contre toutes ces interprétations, que quelque connoissance que j'ai des hommes m'avoit fait prévoir, jusqu'à hésiter quelque temps si je devois rendre mon livre public, et à balancer entre le desir d'être utile à ma patrie par mes écrits, et la crainte de fournir à quelques uns de quoi exercer leur malignité. Mais, puisque j'ai eu la foiblesse de publier ces Caractères, quelle digue élèverai-je contre ce déluge d'explications qui inonde la ville, et qui bientôt va gagner la cour? Dirai-je sérieusement, et

protesterai-je avec d'horribles serments, que je ne suis ni auteur ni complice de ces clefs qui courent; que je n'en ai donné aucune; que mes plus familiers amis savent que je les leur ai toutes refusées; que les personnes les plus accréditées de la cour ont désespéré d'avoir mon secret? N'est-ce pas la même chose que si je me tourmentois beaucoup à soutenir que je ne suis pas un malhonnête homme, un homme sans pudeur, sans mœurs, sans conscience, tel enfin que les gazetiers dont je viens de parler ont voulu me représenter dans leur libelle diffamatoire?

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sable. Je dis en effet ce que je dis, et nullement ce qu'on assure que j'ai voulu dire; et je réponds encore moins de ce qu'on me fait dire et que je ne dis point. Je nomme nettement les personnes que je veux nommer, toujours dans la vue de louer leur vertu ou leur mérite : j'écris leurs noms en lettres capitales, afin qu'on les voie de loin, et que le lecteur ne coure pas risque de les manquer. Si j'avois voulu mettre des noms véritables aux peintures moins obligeantes, je me serois épargné le travail d'emprunter des noms de l'ancienne histoire, d'employer des lettres initiales qui n'ont qu'une signification vaine et incertaine, de trouver enfin mille tours et mille faux-fuyants pour dépayser ceux qui me lisent, et les dégoûter des applications. Voilà la conduite que j'ai tenue dans la composition des Caractères.

Sur ce qui concerne la harangue, qui a paru longue et ennuyeuse au chef des mécontents, je ne sais en effet pourquoi j'ai tenté de faire de ce remerciement à l'Académie Françoise un discours ora

zélés académiciens m'avoient deja frayé ce chemin; mais ils se sont trouvés en petit nombre, et leur zèle pour l'honneur et pour la réputation de l'Académie n'a eu que peu d'imitateurs. Je pouvois suivre l'exemple de ceux qui, postulant une place dans cette compagnie sans avoir jamais rien écrit, quoiqu'ils sachent écrire, annoncent dédaigneusement, la veille de leur réception, qu'ils n'ont que deux mots à dire et qu'un moment à parler, quoique capables de parler long-temps, et de parler bien.

Mais d'ailleurs comment aurois-je donné ces sortes de clefs, si je n'ai pu moi-même les forger telles qu'elles sont, et que je les ai vues? Etant presque toutes différentes entre elles, quel moyen de les faire servir à une même entrée, je veux dire à l'intelligence de mes remarques? Nommant des personnes de la cour et de la ville à qui je n'ai jamais parlé, que je ne connois point, peuvent-elles partir de moi, et être distribuées de ma main? Aurois-je donné celles qui se fabriquent à Romorantin, à Mortagne et à Bellesme, dont les différentes applica-toire qui eût quelque force et quelque étendue : de tions sont à la baillive, à la femme de l'assesseur, au président de l'élection, au prevôt de la maréchaussée, et au prevôt de la collégiale? Les noms y sont fort bien marqués, mais ils ne m'aident pas davantage à connoître les personnes. Qu'on me permette ici une vanité sur mon ouvrage; je suis presque disposé à croire qu'il faut que mes peintures expriment bien l'homme en général, puisqu'elles ressemblent à tant de particuliers, et que chacun y croit voir ceux de sa ville ou de sa province. J'ai peint à la vérité d'après nature, mais je n'ai pas toujours songé à peindre celui-ci ou cellelà dans mon livre de mœurs. Je ne me suis point loué au public pour faire des portraits qui ne fussent que vrais et ressemblants, de peur que quelquefois ils ne fussent pas croyables et ne parussent feints ou imaginés. Me rendant plus difficile, je suis allé plus loin: j'ai pris un trait d'un côté et un trait d'un autre; et de ces divers traits, qui pouvoient convenir à une même personne, j'en ai fait des peintures vraisemblables, cherchant moins à réjouir les lecteurs par le caractère, ou, comme le disent les mécontents, par la satire de quelqu'un, qu'à leur pro- | poser des défauts à éviter, et des modèles à suivre.

Il me semble donc que je dois être moins blâme que plaint de ceux qui par hasard verroient leurs noms écrits dans ces insolentes listes que je désavoue et que je condamne autant qu'elles le méritent. J'ose même attendre d'eux cette justice, que, sans s'arrêter à un auteur moral qui n'a eu nulle intention de les offenser par son ouvrage, ils passeront jusqu'aux interprètes, dont la noirceur est inexcu

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J'ai pensé, au contraire, qu'ainsi que nul artisan n'est agrégé à aucune société ni n'a ses lettres de maitrise sans faire son chef-d'œuvre; de même, et avec encore plus de bienséance, un homme associé à un corps qui ne s'est soutenu et ne peut jamais se soutenir que par l'éloquence, se trouvoit engagé à faire en y entrant un effort en ce genre, qui le fit aux yeux de tous paroître digne du choix dont il venoit de l'honorer. Il me sembloit encore que, puisque l'éloquence profane ne paroissoit plus régner au barreau, d'où elle a été bannie par la nécessité de l'expédition, et qu'elle ne devoit plus être admise dans la chaire, où elle n'a été que trop soufferte, le seul asile qui pouvoit lui rester étoit l'Académie Françoise; et qu'il n'y avoit rien de plus naturel, ni qui pût rendre cette compagnie plus célèbre, que si, au sujet des réceptions de nouveaux académiciens, elle savoit quelquefois attirer la cour et la ville à ses assemblées, par la curiosité d'y entendre des pièces d'éloquence d'une juste étendue, faites de main de maître, et dont la profession est d'exceller dans la science de la parole.

les louanges qu'il leur avoit plu de lui donner à un dessein formé de médire de moi, de mon discours et de mes Caractères; et il me fit sur cette satire injurieuse des explications et des excuses qu'il ne me devoit point. Si donc on vouloit inférer, de cette conduite des Théobaldes, qu'ils ont cru faussement avoir besoin de comparaisons et d'une harangue folle et décriée pour relever celle de mon collègue, ils doivent répondre, pour se laver de ce soupçon qui les déshonore, qu'ils ne sont ni courtisans, ni dévoués à la faveur, ni intéressés, ni adulateurs; qu'au contraire ils sont sincères, et qu'ils ont dit naïvement ce qu'ils pensoient du plan, du style, et des expressions de mon remerciement à l'Académie Françoise. Mais on ne manquera pas d'insister, et de leur dire que le jugement de la cour et de la ville, des grands et du peuple, lui a été fa

Si je n'ai pas atteint mon but, qui étoit de pro- | auteurs de la gazette que j'ai cités avoient fait servir noncer un discours éloquent, il me paroit du moins que je me suis disculpé de l'avoir fait trop long de quelques minutes: car si d'ailleurs Paris, à qui on l'avoit promis mauvais, satirique et insensé, s'est plaint qu'on lui avoit manqué de parole; si Marly, où la curiosité de l'entendre s'étoit répandue, n'a point retenti d'applaudissements que la cour ait donnés à la critique qu'on en avoit faite; s'il a su franchir Chantilly, écueil des mauvais ouvrages; si l'Académie Françoise, à qui j'avois appelé comme au juge souverain de ces sortes de pièces, étant assemblée extraordinairement, a adopté celle-ci, l'a fait imprimer par son libraire, l'a mise dans ses archives; si elle n'étoit pas en effet composée d'un style affecté, dur et interrompu, ni chargée de louan- | ges fades et outrées, telles qu'on les lit dans les prologues d'opéras, et dans tant d'épitres dédicatoires; il ne faut plus s'étonner qu'elle ait ennuyé Théo-vorable. Qu'importe? ils répliqueront avec confiance balde. Je vois les temps, le public me permettra de le dire, où ce ne sera pas assez de l'approbation qu'il aura donnée à un ouvrage pour en faire la réputation; et que, pour y mettre le dernier sceau, il sera nécessaire que de certaines gens le désapprou-si j'ai un peu de santé avec quelques années de vie, vent, qu'ils y aient bâillé.

Car voudroient-ils, présentement qu'ils ont reconnu que cette harangue a moins mal réussi dans le public qu'ils ne l'avoient espéré, qu'ils savent que deux libraires ont plaidé 1 à qui l'imprimeroit; voudroient-ils désavouer leur goût et le jugement qu'ils en ont porté dans les premiers jours qu'elle fut prononcée ? Me permettroient-ils de publier ou seulement de soupçonner une tout autre raison de l'âpre censure qu'ils en firent, que la persuasion où ils étoient qu'elle la méritoit? On sait que cet homme, d'un nom et d'un mérite si distingués, avec qui j'eus

l'honneur d'être reçu à l'Académie Françoise, prié, sollicité, persécuté de consentir à l'impression de sa harangue par ceux mêmes qui vouloient supprimer la mienne et en éteindre la mémoire, leur résista toujours avec fermeté. Il leur dit « qu'il ne pouvoit « ni ne devoit approuver une distinction si odieuse « qu'ils vouloient faire entre lui et moi; que la pré«férence qu'ils donnoient à son discours avec cette <«< affectation et cet empressement qu'ils lui mar« quoient, bien loin de l'obliger, comme ils pou« voient le croire, lui faisoit au contraire une véritable « peine; que deux discours également innocents, << prononcés dans le même jour, devoient être im« primés dans le même temps. » Il s'expliqua ensuite obligeamment en public et en particulier sur le violent chagrin qu'il ressentoit de ce que les deux

L'instance étoit aux requêtes de l'Hôtel. (La Bruyère.)

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que le public a son goût, et qu'ils ont le leur réponse qui ferme la bouche et qui termine tout différend. Il est vrai qu'elle m'éloigne de plus en plus de vouloir leur plaire par aucun de mes écrits; car,

je n'aurai plus d'autre ambition que celle de rendre, par des soins assidus et par de bons conseils, mes ouvrages tels, qu'ils puissent toujours partager les Theobaldes et le public.

DISCOURS.

MESSIEURS,

Il seroit difficile d'avoir l'honneur de se troul'Académie Françoise, d'avoir lu l'histoire de ver au milieu de vous, d'avoir devant ses yeux son établissement, sans penser d'abord à celui à qui elle en est redevable, et sans se persuader qu'il n'y a rien de plus naturel, et qui doive moins vous déplaire, que d'entamer ce tissu de louanges qu'exigent le devoir et la coutume, par quelques traits où ce grand cardinal soit reconnoissable, et qui en renouvellent la mémoire.

Ce n'est point un personnage qu'il soit facile de rendre ni d'exprimer par de belles paroles ou par de riches figures, par ces discours moins faits pour relever le mérite de celui que l'on veut peindre, que pour montrer tout le feu et toute la vivacité de l'orateur. Suivez le règne de Louis-le-Juste : c'est la vie du cardinal de

Richelieu, c'est son éloge et celui du prince | priviléges, qu'il leur destinoit des pensions,

qu'il les a réunis en une compagnie célèbre, qu'il en a fait l'Académie Françoise. Oui, hommes riches et ambitieux, contempteurs de la vertu et de toute association qui ne roule pas

qui l'a mis en œuvre. Que pourrois-je ajouter à des faits encore récents et si mémorables? Ouvrez son Testament politique, digérez cet ouvrage c'est la peinture de son esprit; son ame tout entière s'y développe; l'on y dé-sur les établissements et sur l'intérêt, celle-ci couvre le secret de sa conduite et de ses actions; l'on y trouve la source et la vraisemblance de tant et de si grands évènements qui ont paru sous son administration: l'on y voit sans peine qu'un homme qui pense si virilement et si juste a pu agir sûrement et avec succès, et que celui qui a achevé de si grandes choses, ou n'a jamais écrit, ou a dû écrire comme il a fait.

Génie fort et supérieur, il a su tout le fond et tout le mystère du gouvernement ; il a connu le beau et le sublime du ministère ; il a respecté l'étranger, ménagé les couronnes, connu le poids de leur alliance; il a opposé des alliés à des ennemis; il a veillé aux intérêts du dehors, à ceux du dedans, il n'a oublié que les siens une vie laborieuse et languissante, souvent exposée, a été le prix d'une si haute vertu. Dépositaire des trésors de son maître, comblé de ses bienfaits, ordonnateur, dispensateur de ses finances, on ne sauroit dire qu'il est mort riche. Le croiroit-on, messieurs? cette ame sérieuse et austère, formidable aux ennemis de l'état, inexorable aux factieux, plongée dans la négociation, occupée tantôt à affoiblir le parti de l'hérésie, tantôt à déconcerter une ligue, et tantôt à méditer une conquête, a trouvé le loisir d'être savante, a goùté les belles-lettres et ceux qui en faisoient profession. Comparezvous, si vous l'osez, au grand Richelieu, hommes dévoués à la fortune, qui, par le succès de vos affaires particulières, vous jugez dignes que l'on vous confie les affaires publiques; qui vous donnez pour des génies heureux et pour de bonnes tètes; qui dites que vous ne savez rien; que vous n'avez jamais lu, que vous ne lirez point, ou pour marquer l'inutilité des sciences, ou pour paroître ne devoir rien aux autres, mais puiser tout de votre fonds; apprenez que le cardinal de Richelieu a su, qu'il a lu; je ne dis pas qu'il n'a point eu d'éloignement pour les gens de lettres, mais qu'il les a aimés, caressés, favorisés; qu'il leur a ménagé des

est une des pensées de ce grand ministre, né homme d'état, dévoué à l'état; esprit solide, éminent, capable dans ce qu'il faisoit des motifs les plus relevés et qui tendoient au bien public comme à la gloire de la monarchie; incapable de concevoir jamais rien qui ne fût digne de lui, du prince qu'il servoit, de la France à qui il avoit consacré ses méditations et ses veilles.

Il savoit quelle est la force et l'utilité de l'éloquence, la puissance de la parole qui aide la raison et la fait valoir, qui insinue aux hommes la justice et la probité, qui porte dans le cœur du soldat l'intrépidité et l'audace, qui calme les émotions populaires, qui excite à leurs devoirs les compagnies entières, ou la multitude: il n'ignoroit pas quels sont les fruits de l'histoire et de la poésie, quelle est la nécessité de la grammaire, la base et le fondement des autres sciences; et que, pour conduire ces choses à un degré de perfection qui les rendit avantageuses à la république, il falloit dresser le plan d'une compagnie où la vertu seule fût admise, le mérite placé, l'esprit et le savoir rassemblés par des suffrages: n'allons pas plus loin, voilà, messieurs, vos principes et votre règle, dont je ne suis qu'une exception.

Rappelez en votre mémoire, la comparaison ne vous sera pas injurieuse, rappelez ce grand et premier concile où les Pères qui le composoient étoient remarquables chacun par quelques membres mutilés, ou par les cicatrices qui leur étoient restées des fureurs de la persécution : ils sembloient tenir de leurs plaies le droit de s'asseoir dans cette assemblée générale de toute l'Église : il n'y avoit aucun de vos illustres prédécesseurs qu'on ne s'empressât de voir, qu'on ne montrât dans les places, qu'on ne désignât par quelque ouvrage fameux qui lui avoit fait un grand nom, et qui lui donnoit rang dans cette Académie naissante qu'ils avoient comme fondée : tels étoient ces grands artisans de la parole, ces premiers maîtres de l'éloquence françoise; tels vous êtes, messieurs,

qui ne cédez ni en savoir ni en mérite à nul de | tume à en voir faire la comparaison : quelques ceux qui vous ont précédés.

L'un, aussi correct dans sa langue que s'il l'avoit apprise par règles et par principes, aussi élégant dans les langues étrangères que si elles lui étoient naturelles, en quelque idiome qu'il compose, semble toujours parler celui de son pays : il a entrepris, il a fini une pénible traduction que le plus bel esprit pourroit avouer, et que le plus pieux personnage devroit desirer d'avoir faite.

L'autre fait revivre Virgile parmi nous, transmet dans notre langue les graces et les richesses de la latine, fait des romans qui ont une fin, en bannit le prolixe et l'incroyable pour y substituer le vraisemblable et le naturel.

Un autre 3, plus égal que Marot et plus poëte que Voiture, a le jeu, le tour et la naïveté de tous les deux ; il instruit en badinant, persuade aux hommes la vertu par l'organe des bêtes; élève les petits sujets jusqu'au sublime : homme unique dans son genre d'écrire; toujours original, soit qu'il invente, soit qu'il traduise; qui a été au-delà de ses modèles, modèle lui-même difficile à imiter.

Celui-ci 4 passe Juvenal, atteint Horace, semble créer les pensées d'autrui, et se rendre propre tout ce qu'il manie; il a, dans ce qu'il emprunte des autres, toutes les graces de la nouveauté et tout le mérite de l'invention: ses vers forts et harmonieux, faits de génie, quoique travaillés avec art, pleins de traits et de poésie, seront lus encore quand la langue aura vieilli, en seront les derniers débris : on y remarque une critique sûre, judicieuse, et innocente, s'il est permis du moins de dire de ce qui est mauvais qu'il est mauvais.

Cet autre vient après un homme loué, applaudi, admiré, dont les vers volent en tous lieux et passent en proverbe; qui prime, qui règne sur la scène; qui s'est emparé de tout le théâtre il ne l'en dépossède pas, il est vrai; mais il s'y établit avec lui; le monde s'accou

DE JESUS-CHRIST.

I

uns ne souffrent pas que Corneille, le grand Corneille, lui soit préféré; quelques autres, qu'il lui soit égalé: ils en appellent à l'autre siècle, ils attendent la fin de quelques vieillards qui, touchés indifféremment de tout ce qui rappelle leurs premières années, n'aiment peut-être dans OEdipe que le souvenir de leur jeunesse. Que dirai-je de ce personnage qui a fait parler si long-temps une envieuse critique et qui l'a fait taire; qu'on admire malgré soi, qui accable par le grand nombre et par l'éminence de ses talents? orateur, historien, théologien, philosophe, d'une rare érudition, d'une plus rare éloquence, soit dans ses entretiens, soit dans ses écrits, soit dans la chaire; un défenseur de la religion, une lumière de l'Église! Parlons d'avance le langage de la postérité, un Père de l'Eglise! Que n'est-il point? nommez, messieurs, une vertu qui ne soit point la sienne.

2

Toucherai-je aussi votre dernier choix si digne de vous ?? Quelles choses vous furent dites dans la place où je me trouve! je m'en souviens; et, après ce que vous avez entendu, comment oséje parler? comment daignez-vous m'entendre? Avouons-le, on sent la force et l'ascendant de ce rare esprit, soit qu'il prêche de génie et sans préparation, soit qu'il prononce un discours étudié et oratoire, soit qu'il explique ses pensées dans la conversation : toujours maître de l'oreille et du cœur de ceux qui l'écoutent, il ne leur permet pas d'envier ni tant d'élévation, ni tant de facilité, de délicatesse, de politesse: on est assez heureux de l'entendre, de sentir ce qu'il dit, et comme il le dit ; on doit être content de soi si l'on emporte ses réflexions, et si l'on en profite. Quelle grande acquisition avez-vous faite en cet homme illustre! à qui m'associez-vous!

Je voudrois, messieurs, moins pressé par le temps et par les bienséances qui mettent des bornes à ce discours, pouvoir louer chacun de ceux qui composent cette Académie par des endroits encore plus marqués et par de plus vives expressions. Toutes les sortes de talents que l'on voit répandus parmi les hommes se trouvent

• L'abbé de Choisy, qui a fait une traduction de l'IMITATION » Ségrais, traducteur des GÉORGIQUES et de l'ÉNÉIDE de Vir-partagées entre vous. Veut-on de diserts oragile, et auteur présumé de ZAIDE et de la PRINCESSE DE CLE-teurs, qui aient semé dans la chaire toutes les

VES, qu'on a su depuis être de madame de La Fayette.

La Fontaine.

s Racine.

4 Boileau.

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