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les pauvres d'une ville assemblés à sa porte, qui | le piége le mieux dressé qu'il soit possible d'iy reçoivent leurs portions: qui ne sait pas, au maginer; il étoit inévitable de ne pas donner contraire, des misères plus secrètes, qu'il peut tout au travers et de n'y être pas pris : quelle entreprendre de soulager, ou immédiatement majesté, quel éclat de mystères! quelle suite et par ses secours, ou du moins par sa média- et quel enchaînement de toute la doctrine! tion? De même il n'est pas donné à tous de mon- quelle raison éminente! quelle candeur, quelle ter en chaire, et d'y distribuer en missionnaire innocence de mœurs! quelle force invincible et ou en catéchiste la parole sainte : mais qui n'a accablante des témoignages rendus successipas quelquefois sous sa main un libertin à ré-vement et pendant trois siècles entiers par des duire, et à ramener par de douces et insinuantes conversations à la docilité? Quand on ne seroit pendant sa vie que l'apôtre d'un seul homme, ce ne seroit pas être en vain sur la terre, ni lui être un fardeau inutile.

Il y a deux mondes: l'un où l'on séjourne peu, et dont l'on doit sortir pour n'y plus rentrer; l'autre où l'on doit bientôt entrer pour n'en jamais sortir. La faveur, l'autorité, les amis, la haute réputation, les grands biens, servent pour le premier monde ; le mépris de toutes ces choses sert pour le second. Il s'agit de choisir.

Qui a vécu un seul jour a vécu un siècle: même soleil, même terre, même monde, mêmes sensations; rien ne ressemble mieux à aujourd'hui que demain : il y auroit quelque curiosité à mourir, c'est-à-dire à n'être plus un corps, mais à être seulement esprit. L'homme cependant, impatient de la nouveauté, n'est point curieux sur ce seul article: né inquiet et qui s'ennuie de tout, il ne s'ennuie point de vivre ; il consentiroit peutêtre à vivre toujours. Ce qu'il voit de la mort le frappe plus violemment que ce qu'il en sait la maladie, la douleur, le cadavre, le dégoûtent de la connoissance d'un autre monde; il faut tout le sérieux de la religion pour le réduire.

Si Dieu avoit donné le choix ou de mourir ou de toujours vivre, après avoir médité profondément ce que c'est que de ne voir nulle fin à la pauvreté, à la dépendance, à l'ennui, à la maladie, ou de n'essayer des richesses, de la grandeur, des plaisirs et de la santé, que pour les voir changer inviolablement,.et par la révolution des temps, en leurs contraires, et être ainsi le jouet des biens et des maux, l'on ne sauroit guère à quoi se résoudre. La nature nous fixe, et nous ôte l'embarras de choisir : et la mort, qu'elle nous rend nécessaire, est encore adoucie par la religion.

Si ma religion étoit fausse, je l'avoue, voilà

millions de personnes les plus sages, les plus modérées qui fussent alors sur la terre, et que le sentiment d'une même vérité soutient dans l'exil, dans les fers, contre la vue de la mort et du dernier supplice! Prenez l'histoire, ouvrez, remontez jusqu'au commencement du monde, jusqu'à la veille de sa naissance; y a-t-il eu rien de semblable dans tous les temps? Dieu même pouvoit-il jamais mieux rencontrer pour me séduire? par où échapper? où aller, où me jeter, je ne dis pas pour trouver rien de meilleur, mais quelque chose qui en approche? S'il faut périr, c'est par-là que je veux périr; il m'est plus doux de nier Dieu que de l'accorder avec une tromperie si spécieuse et si entière : mais je | l'ai approfondi, je ne puis être athée, je suis donc ramené et entraîné dans ma religion : c'en est fait.

La religion est vraie, ou elle est fausse : si elle n'est qu'une vaine fiction, voilà, si l'on veut, soixante années perdues pour l'homme de bien, pour le chartreux ou le solitaire ; ils ne courent pas un autre risque : mais si elle est fondée sur la vérité même, c'est alors un épouvantable malheur pour l'homme vicieux; l'idée seule des maux qu'il se prépare me trouble l'imagination; la pensée est trop foible pour les concevoir et les paroles trop vaines pour les exprimer. Certes, en supposant même dans le monde moins de certitude qu'il ne s'en trouve en effet sur la vérité de la religion, il n'y a point pour l'homme un meilleur parti que la vertu.

Je ne sais si ceux qui osent nier Dieu méritent qu'on s'efforce de le leur prouver, et qu'on les traite plus sérieusement que l'on a fait dans ce chapitre. L'ignorance, qui est leur caractère, les rend incapables des principes les plus clairs et des raisonnements les mieux suivis je consens néanmoins qu'ils lisent celui que je vais faire, pourvu qu'ils ne se persuadent

pas que c'est tout ce que l'on pouvoit dire sur | découvre pas par elle-même, on la connoît du une vérité si éclatante.

Il y a quarante ans que je n'étois point, et qu'il n'étoit pas en moi de pouvoir jamais être, comme il ne dépend pas de moi, qui suis une fois, de n'être plus : j'ai donc commencé, et je continue d'être par quelque chose qui est hors de moi, qui durera après moi, qui est meilleur et plus puissant que moi si ce quelque chose n'est pas Dieu, qu'on me dise ce que

c'est.

Peut-être que moi qui existe n'existe ainsi que par la force d'une nature universelle quia toujours été telle que nous la voyons, en remontant jusqu'à l'infinité des temps. Mais cette nature, ou elle est seulement esprit, et c'est Dieu; ou elle est matière, et ne peut par conséquent avoir créé mon esprit; ou elle est un composé de matière et d'esprit; et alors ce qui est esprit dans la nature, je l'appelle Dieu.

Peut-être aussi ce que j'appelle mon esprit n'est qu'une portion de matière qui existe par la force d'une nature universelle qui est aussi matière, qui a toujours été, et qui sera toujours telle que nous la voyons, et qui n'est point Dieu; mais du moins faut-il m'accorder que ce que j'appelle mon esprit, quelque chose que ce puisse être, est une chose qui pense; et que, s'il est matière, il est nécessairement une matière qui pense; car l'on ne me persuadera point qu'il n'y ait pas en moi quelque chose qui pense pendant que je fais ce raisonnement. Or, ce quelque chose qui est en moi, et qui pense, s'il doit son être et sa conservation à une nature universelle qui a toujours été et qui sera toujours, laquelle il reconnoisse comme sa cause, il faut indispensablement que ce soit à une nature universelle, ou qui pense, ou qui soit plus noble et plus parfaite que ce qui pense; et, si cette nature ainsi faite est matière, l'on doit encore conclure que c'est une matière universelle qui pense, ou qui est plus noble et plus parfaite que ce qui pense.

Je continue, et je dis : Cette matière, telle qu'elle vient d'être supposée, si elle n'est pas un être chimérique, mais réel, n'est pas aussi imperceptible à tous les sens; et, si elle ne se

Objection ou système des libertins. (La Bruyère.) • Instance des libertins. (La Bruyère.)

moins dans le divers arrangement de ses parties, qui constitue les corps, et qui en fait la différence; elle est donc elle-même sous ces différents corps; et, comme elle est une matière qui pense, selon la supposition, ou qui vaut mieux que ce qui pense, il s'ensuit qu'elle est telle du moins selon quelques uns de ces corps, et par une suite nécessaire selon tous ces corps, c'est-à-dire qu'elle pense dans les pierres, dans les métaux, dans les mers, dans la terre, dans moi-même qui ne suis qu'un corps, comme dans toutes les autres parties qui la composent : c'est donc à l'assemblage de ces parties si terrestres, si grossières, si corporelles, qui toutes ensemble sont la matière universelle ou ce monde visible, que je dois ce quelque chose qui est en moi, qui pense, et que j'appelle mon esprit; ce qui est absurde.

Si, au contraire, cette nature universelle, quelque chose que ce puisse être, ne peut pas être tous ces corps, ni aucun de ces corps, il suit de là qu'elle n'est point matière, ni perceptible par aucun des sens : si cependant elle pense, ou si elle est plus parfaite que ce qui pense, je conclus encore qu'elle est esprit, ou un être meilleur et plus accompli que ce qui est esprit : si d'ailleurs il ne reste plus à ce qui pense en moi, et que j'appelle mon esprit, que cette nature universelle à laquelle il puisse remonter pour rencontrer sa première cause et son unique origine, parcequ'il ne trouve point son principe en soi, et qu'il le trouve encore moins dans la matière, ainsi qu'il a été démontré, alors je ne dispute point des noms; mais cette source originaire de tout esprit, qui est esprit elle-même, et qui est plus excellente que tout esprit, je l'appelle Dieu.

En un mot, je pense; donc Dieu existe : car ce qui pense en moi, je ne le dois point à moimême, parcequ'il n'a pas plus dépendu de moi de me le donner une première fois, qu'il dépend encore de moi de me le conserver un seul instant; je ne le dois point à un être qui soit au-dessus de moi, et qui soit matière, puisqu'il est impossible que la matière soit au-dessus de ce qui pense je le dois donc à un être qui est au-dessus de moi, et qui n'est point matière ; et c'est Dieu.

durer beaucoup, parceque c'est un être pur, exempt de tout mélange et de toute composition; et il n'y a pas de raison qu'il doive périr:

ple et qui n'a point de parties?

De ce qu'une nature universelle qui pense exclut de soi généralement tout ce qui est matière, il suit nécessairement qu'un être particulier qui pense ne peut pas aussi admettre en soi la moin-car qui peut corrompre ou séparer un être simdre matière; car, bien qu'un être universel qui pense renferme dans son idée infiniment plus de grandeur, de puissance, d'indépendance et de capacité, qu'un être particulier qui pense, il ne renferme pas néanmoins une plus grande exclusion de matière, puisque cette exclusion dans l'un et l'autre de ces deux êtres est aussi grande qu'elle peut être et comme infinie, et qu'il est autant impossible que ce qui pense en moi soit matière, qu'il est inconcevable que Dieu soit matière: ainsi, comme Dieu est esprit, mon ame aussi est esprit.

Je ne sais point si le chien choisit, s'il se ressouvient, s'il affectionne, s'il craint, s'il imagine, s'il pense quand donc l'on me dit que toutes ces choses ne sont en lui ni passions, ni sentiment, mais l'effet naturel et nécessaire de la disposition de sa machine préparée par le divers arrangement des parties de la matière, je puis au moins acquiescer à cette doctrine. Mais je pense, et je suis certain que je pense: or, quelle proportion y a-t-il de tel ou de tel arrangement des parties de la matière, c'est-à-dire d'une étendue selon toutes ses dimensions, qui est longue, large, et profonde, et qui est divisible dans tous ces sens, avec ce qui pense?

Si tout est matière, et si la pensée en moi, comme dans tous les autres hommes, n'est qu'un effet de l'arrangement des parties de la matière, qui a mis dans le monde toute autre idée que celle des choses matérielles? La matière a-t-elle dans son fonds une idée aussi pure, aussi simple, aussi immatérielle, qu'est celle de l'esprit ? comment peut-elle être le principe de ce qui la nie et l'exclut de son propre être? comment est-elle dans l'homme ce qui pense, c'est-à-dire ce qui est à l'homme même une conviction qui n'est point matière ?

Il y a des êtres qui durent peu, parcequ'ils sont composés de choses très différentes, et qui se nuisent réciproquement; il y en a d'autres qui durent davantage, parcequ'ils sont plus simples; mais ils périssent, parcequ'ils ne laissent pas d'avoir des parties selon lesquelles ils peuvent être divisés. Ce qui pense en moi doit

L'ame voit la couleur par l'organe de l'œil, et entend les sons par l'organe de l'oreille; mais elle peut cesser de voir ou d'entendre quand ces sens ou ces objets lui manquent, sans que pour cela elle cesse d'être; parceque l'ame n'est point précisément ce qui voit la couleur, ou ce qui entend les sons; elle n'est que ce qui pense : or, comment peut-elle cesser d'ètre telle? ce n'est point par le défaut d'organe, puisqu'il est prouvé qu'elle n'est point matière; ni par le défaut d'objet, tant qu'il y aura un Dieu et d'éternelles vérités : elle est donc incorruptible.

Je ne conçois point qu'une ame que Dieu a voulu remplir de l'idée de son être infini et souverainement parfait doive être anéantie.

Voyez, Lucile, ce morceau de terre 1, plus propre et plus orné que les autres terres qui lui sont contigues: ici ce sont des compartiments mêlés d'eaux plates et d'eaux jaillissantes; là, des allées en palissades qui n'ont pas de fin, et qui vous couvrent des vents du nord : d'un côté c'est un bois épais qui défend de tous les soleils, et d'un autre un beau point de vue : plus bas une Yvette, ou un Lignon, qui couloit obscurément entre les saules et les peupliers, est devenu un canal qui est revêtu : ailleurs de longues et fraîches avenues se perdent dans la campagne, et annoncent la maison, qui est entourée d'eaux. Vous récrierez-vous : Quel jeu du hasard ! combien de belles choses se sont rencontrées ensemblent inopinément! Non, sans doute ; vous direz au contraire: Cela est bien imaginé et bien ordonné ; il règne ici un bon goût et beaucoup d'intelligence. Je parlerai comme vous, et j'ajouterai que ce doit être la demeure de quelqu'un de ces gens chez qui un LE NOSTRE va tracer et prendre des alignements dès le jour même qu'ils sont en place. Qu'est-ce pourtant que cette pièce de terre ainsi disposée, et où tout l'art d'un ouvrier habile a été employé pour l'embellir, si même toute la terre n'est qu'un atome suspendu en l'air, et si vous écoutez ce que je vais dire?

Chantilly.

Vous êtes placé, ô Lucile! quelque part sur cet atome; il faut donc que vous soyez bien petit, car vous n'y occupez pas une grande place: cependant vous avez des yeux, qui sont deux points imperceptibles; ne laissez pas de les ouvrir vers le ciel qu'y apercevez-vous quelquefois? la lune dans son plein? Elle est belle alors et fort lumineuse, quoique sa lumière ne soit que la réflexion de celle du soleil : elle paroît grande comme le soleil, plus grande que les autres planètes, et qu'aucune des étoiles. Mais ne vous laissez pas tromper par les dehors; il n'y a rien au ciel de si petit que la lune; sa superficie est treize fois plus petite que celle de la terre; sa solidité, quarante-huit fois; et son diamètre de sept cent cinquante lieues n'est que le quart de celui de la terre: aussi est-il vrai qu'il n'y a que son voisinage qui lui donne une si grande apparence, puisqu'elle n'est guère plus éloignée de nous que de trente fois le diamètre de la terre, ou que sa distance n'est que de cent mille lieues. Elle n'a presque pas même de chemin à faire en comparaison du vaste tour que le soleil fait dans les espaces du ciel; car il | est certain qu'elle n'achève par jour que cinq cent quarante mille lieues : ce n'est par heure que vingt-deux mille cinq cents lieues, et trois cent soixante et quinze lieues dans une minute. Il faut néanmoins, pour accomplir cette course, qu'elle aille cinq mille six cents fois plus vite qu'un cheval de poste qui feroit quatre lieues par heure, qu'elle vole quatre-vingts fois plus légèrement que le son, que le bruit, par exemple, du canon et du tonnerre, qui parcourt en une heure deux cent soixante et dix-sept lieues. Mais quelle comparaison de la lune au soleil pour la grandeur, pour l'éloignement, pour la course! vous verrez qu'il n'y en a aucune. Souvenez-vous seulement du diamètre de la terre, il est de trois mille lieues; celui du soleil est cent fois plus grand, il est donc de trois cent mille lieues. Si c'est là sa largeur en tous sens, quelle peut être toute sa superficie! quelle est sa solidité! comprenez-vous bien cette étendue, et qu'un million de terres comme la nôtre ne seroient toutes ensemble pas plus grosses que le soleil? Quel est donc, direz-vous, son éloignement, si l'on en juge par son apparence! Vous avez raison, il est prodigieux; il est démontré

autre

qu'il ne peut pas y avoir de la terre au soleil moins de dix mille diamètres de la terre, ment moins de trente millions de lieues : peutêtre y a-t-il quatre fois, six fois, dix fois plus loin; on n'a aucune méthode pour déterminer cette distance.

Pour aider seulement votre imagination à se la représenter, supposons une meule de moulin qui tombe du soleil sur la terre; donnons-lui la plus grande vitesse qu'elle soit capable d'avoir, celle même que n'ont pas les corps tombant de fort haut; supposons encore qu'elle conserve toujours cette même vitesse, sans en acquérir et sans en perdre; qu'elle parcoure quinze toises par chaque seconde de temps, c'est-à-dire la moitié de l'élévation des plus hautes tours, et ainsi neuf cents toises en une minute; passonslui mille toises en une minute pour une plus grande facilité; mille toises font une demi-lieue commune; ainsi en deux minutes la meule fera une lieue, et en une heure elle en fera trente, et en un jour elle fera sept cent vingt lieues : or, elle a trente millions à traverser avant que d'arriver à terre; il lui faudra donc quatre mille cent soixante et six jours, qui sont plus de onze années, pour faire ce voyage. Ne vous effrayez pas, Lucile, écoutez-moi : la distance de la terre à Saturne est au moins décuple de celle de la terre au soleil, c'est vous dire qu'elle ne peut être moindre que de trois cents millions de lieues, et que cette pierre emploieroit plus de cent dix ans pour tomber de Saturne en terre.

:

Par cette élévation de Saturne élevez vousmême, si vous le pouvez, votre imagination à concevoir quelle doit être l'immensité du chemin qu'il parcourt chaque jour au-dessus de nos têtes le cercle que Saturne décrit a plus. de six cents millions de lieues de diamètre, et par conséquent plus de dix-huit cents millions de lieues de circonférence; un cheval anglois qui feroit dix lieues par heure n'auroit à courir que vingt mille cinq cent quarante-huit ans pour faire ce tour.

Je n'ai pas tout dit, ô Lucile! sur le miracle de ce monde visible, ou, comme vous parlez quelquefois, sur les merveilles du hasard que vous admettez seul pour la cause première de toutes choses. Il est encore un ouvrier plus admirable que vous ne pensez connoissez le ha

ce cercle n'est qu'une section? Serons-nous encore surpris que ces mêmes étoiles, si démesurées dans leur grandeur, ne nous paroissent néanmoins que comme des étincelles? N'admirerons-nous pas plutôt que d'une hauteur si prodigieuse elles puissent conserver une certaine apparence, et qu'on ne les perde pas toutes de vue? Il n'est pas aussi imaginable combien il nous en échappe. On fixe le nombre des étoiles, oui, de celles qui sont apparentes ; le moyen de compter celles qu'on n'aperçoit point, celles, par exemple, qui composent la voie de lait, cette trace lumineuse qu'on remarque au ciel dans une nuit sereine du nord au midi, et qui, par leur extraordinaire élévation, ne pouvant percer jusqu'à nos yeux pour être vues chacune en particulier, ne font au plus que blanchir cette route des cieux où elles sont placées?

sard, laissez-vous instruire de toute la puissance | que de vouloir imaginer la solidité du globe dont de votre Dieu. Savez-vous que cette distance de trente millions de lieues qu'il y a de la terre au soleil, et celle de trois cents millions de lieues de la terre à Saturne, sont si peu de chose, comparées à l'éloignement qu'il y a de la terre aux étoiles, que ce n'est pas même s'énoncer assez juste que de se servir, sur le sujet de ces distances, du terme de comparaison? Quelle proportion à la vérité de ce qui se mesure, quelque grand qu'il puisse être, avec ce qui ne se mesure pas? On ne connoît point la hauteur d'une étoile; elle est, si j'ose ainsi parler, immensurable; il n'y a plus ni angles, ni sinus, ni parallaxes, dont on puisse s'aider: si un homme observoit à Paris une étoile fixe, et qu'un autre la regardât du Japon, les deux lignes qui partiroient de leurs yeux pour aboutir jusqu'à cet astre ne feroient pas un angle, et se coufondroient en une seule et mème ligne, tant la terre entière n'est pas espace par rapport à cet éloignement. Mais les étoiles ont cela de commun avec Saturne et avec le soleil: il faut dire quelque chose de plus. Si deux observateurs, l'un sur la terre, et l'autre dans le soleil, observoient en même temps une étoile, les deux rayons visuels de ces deux observateurs ne formeroient point d'angle sensible. Pour concevoir la chose autrement : si un homme étoit situé dans une étoile, notre soleil, notre terre, et les trente millions de lieues qui les séparent, lui paroîtroient un même point: cela est démontré. On ne sait pas aussi la distance d'une étoile d'avec une autre étoile, quelque voisines qu'elles nous paroissent. Les Pléiades se touchent presque, à en juger par nos yeux : une étoile paroît assise sur l'une de celles qui forment la queue de la Grande Ourse; à peine la vue peut-elle atteindre à discerner la partie du ciel qui les sépare, c'est comme une étoile qui paroît double. Si cependant tout l'art des astronomes est inutile pour en marquer la distance, que doiton penser de l'éloignement de deux étoiles qui en effet paroissent éloignées l'une de l'autre, et à plus forte raison des deux polaires? quelle est donc l'immensité de la ligne qui passe d'une polaire à l'autre? et que sera-ce que le cercle dont cette ligne est le diamètre? Mais n'est-ce pas quelque chose de plus que de sonder les abymes,

Me voilà donc sur la terre comme sur un grain de sable qui ne tient à rien, qui est suspendu au milieu des airs : un nombre presque infini de globes de feu d'une grandeur inexprimable et qui confond l'imagination, d'une hauteur qui surpasse nos conceptions, tournent, roulent autour de ce grain de sable, et traversent chaque jour, depuis plus de six mille ans, les vastes et immenses espaces des cieux. Voulez-vous un autre système, et qui ne diminue rien du merveilleux? La terre elle-même est emportée avec une rapidité inconcevable autour du soleil, le centre de l'univers. Je me les représente, tous ces globes, ces corps effroyables qui sont en marche; ils ne s'embarrassent point l'un l'autre; ils ne se choquent point, ils ne se dérangent point: si le plus petit d'eux tous venoit à se démentir et à rencontrer la terre, que deviendroit la terre? Tous au contraire sont en leur place, demeurent dans l'ordre qui leur est prescrit, suivent la route qui leur est marquée, et si paisiblement à notre égard, que personne n'a l'oreille assez fine pour les entendre marcher, et que le vulgaire ne sait pas s'ils sont au monde. O économie merveilleuse du hasard! l'intelligence même pourroit-elle mieux réussir? Une seule chose, Lucile, me fait de la peine : ces grands corps sont si précis et si constants dans leur marche, dans leurs révolutions, et dans tous leurs rapports, qu'un petit animal re

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