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Voilà les huit règles qui contiennent tous les préceptes des preuves solides et immuables, desquelles il y en a trois qui ne sont pas absolument nécessaires, et qu'on peut négliger sans erreur, qu'il est même difficile et comme impossible d'observer toujours exactement, quoiqu'il soit plus parfait de le faire autant qu'on peut ce sont les trois premières de chacune des parties.

Pour les définitions. Ne définir aucun des termes qui sont parfaitement connus.

Pour les axiomes. N'omettre à demander aucun des axiomes parfaitement évidents et simples.

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Telles sont les cinq règles qui forment tout ce qu'il y a de nécessaire pour rendre les preuves convaincantes, immuables, et, pour tout dire, géométriques; et les huit règles ensemble les rendent encore plus parfaites.

Voilà en quoi consiste cet art de persuader, qui se renferme dans ces deux principes: définir tous les noms qu'on impose; prouver tout, en substituant mentalement les définitions à la place des définis. Sur quoi il me semble à propos de prévenir trois objections principales qu'on pourra faire.

L'une, que cette méthode n'a rien de nouPour les démonstrations. Ne démontrer au-dre, sans qu'il soit nécessaire, pour cela, d'éveau; l'autre, qu'elle est bien facile à appren

tudier les éléments de géométrie, puisqu'elle consiste en ces deux mots, qu'on sait à la pre

cune des choses très connues d'elles-mêmes. Car il est sans doute que ce n'est pas une grande faute de définir et d'expliquer bien clairement des choses, quoique très claires d'el-mière lecture; et enfin qu'elle est assez inutile, les-mêmes; ni d'omettre à demander par avance les seules matières géométriques. puisque son usage est presque renfermé dans des axiomes qui ne peuvent être refusés au lieu où ils sont nécessaires; ni enfin de prouver des propositions qu'on accorderoit sans preuve. Mais les cinq autres règles sont d'une nécessité absolue; et on ne peut s'en dispenser sans

Il faut donc faire voir qu'il n'y a rien de si inconnu, rien de plus difficile à pratiquer, et rien de plus utile et de plus universel.

règles sont connues dans le monde, qu'il faut Pour la première objection, qui est que ces c'est pourquoi je les reprendrai ici en particu-mêmes les ont mises entre les préceptes de leur tout définir et tout prouver, et que les logiciens

un défaut essentiel, et souvent sans erreur :

lier.

Règles nécessaires pour les définitions. N'omettre aucun des termes un peu obscurs ou équivoques sans définition.

N'employer dans les définitions que des termes parfaitement connus ou déja expliqués.

Règle nécessaire pour les axiomes. Ne demander, en axiomes, que des choses parfaitement évidentes.

art, je voudrois que la chose fût véritable, et qu'elle fût si connue, que je n'eusse pas eu la peine de rechercher avec tant de soin la source de tous les défauts des raisonnements qui sont véritablement communs. Mais cela l'est si peu, que, si l'on en excepte les seuls géomètres, en si petit nombre chez tous les peuples et dans tous les temps, on ne voit personne qui le sache en effet. Il sera aisé de le faire entendre à ceux qui auront parfaitement compris le peu que j'en ai

Voyez la LOGIQUE DE PORT-ROYAL, part. 4, c. 5.

dit; s'ils ne l'ont pas conçu parfaitement, j'avoue | son auteur; comment, par où, jusqu'où, il la qu'ils n'auront rien à y apprendre. possède autrement le jugement sera préci

Mais s'ils sont entrés dans l'esprit de ces rè- | pité. gles, et qu'elles aient assez fait d'impression pour s'y enraciner et s'y affermir, ils sentiront combien il y a de différence entre ce qui est dit ici et ce que quelques logiciens en ont peut-être écrit d'approchant au hasard, en quelques lieux de leurs ouvrages.

Ceux qui ont l'esprit de discernement savent combien il y a de différence entre deux mots semblables, selon les lieux et les circonstances qui les accompagnent. Croira-t-on, en vérité, que deux personnes qui ont lu et appris par cœur le même livre le sachent également? si l'un le comprend en sorte qu'il en sache tous les principes, la force des conséquences, les réponses aux objections qu'on peut y faire, et toute l'économie de l'ouvrage; au lieu qu'en l'autre ce soient des paroles mortes et des semences qui, quoique pareilles à celles qui ont produit des arbres si fertiles, sont demeurées sèches et infructueuses dans l'esprit stérile qui les a recues en vain.

Tous ceux qui disent les mêmes choses ne les possèdent pas de la même sorte; et c'est pourquoi l'incomparable auteur de l'ART DE CONFÉRER s'arrête avec tant de soin à faire entendre qu'il ne faut pas juger de la capacité d'un homme par l'excellence d'un bon mot qu'on lui entend dire mais au lieu d'étendre l'admiration d'un bon discours à la personne, qu'on pénètre, ditil, l'esprit d'où il sort; qu'on tente s'il le tient de sa mémoire ou d'un heureux hasard; qu'on le reçoive avec froideur et avec mépris, afin de voir s'il ressentira qu'on ne donne pas à ce qu'il dit l'estime que son prix mérite; on verra le plus souvent qu'on le lui fera désavouer sur l'heure, et qu'on le tirera bien loin de cette pensée meilleure qu'il ne croyoit, pour le jeter dans une autre toute basse et ridicule. Il faut donc sonder comme cette pensée est logée en

Montaigne. Voyez ses ESSAIS, Liv. 11, ch. 8, qui a pour titre : DE L'ART DE CONFÉRER. On pourroit être étonné que Pascal donne ici l'épithète d'incomparable à ce philosophe, en voyant ailleurs qu'il lui reconnoît de grands défauts; mais dans ses réflexions sur Épictète et Montaigne, où il montre les défants de ce dernier, il lui donne encore la même épithète, et fait voir dans quel sens il l'entend. Voyez ci-après, part. 1, art. x1, § 5. (Note de l'édit. de 1787.)

Je voudrois demander à des personnes équitables, si ce principe, la matière est dans une incapacité naturelle invincible de penser; et celuici, je pense, donc je suis, sont en effet les mêmes dans l'esprit de Descartes et dans l'esprit de szint Augustin, qui a dit la même chose douze cents ans auparavant.

En vérité, je suis bien éloigné de dire que Descartes n'en soit pas le véritable auteur, quand il ne l'auroit appris que dans la lecture de ce grand saint: car je sais combien il y a de différence entre écrire un mot à l'aventure, sans y faire une réflexion plus longue et plus étendue, et apercevoir dans ce mot une suite admirable de conséquences, qui prouvent la distinction des natures matérielle et spirituelle, pour en faire un principe ferme et soutenu d'une métaphysique entière, comme Descartes a prétendu faire. Car, sans examiner s'il a réussi efficacement dans sa prétention, je suppose qu'il l'ait fait, et c'est dans cette supposition que je dis que ce mot est aussi différent dans ses écrits, d'avec le même mot dans les autres qui l'ont dit en passant, qu'un homme plein de vie et de force d'avec un homme mort.

Tel dira une chose de soi-même, sans en comprendre l'excellence, où un autre comprendra une suite merveilleuse de conséquences qui nous font dire hardiment que ce n'est plus le même mot, et qu'il ne le doit non plus à celui d'où il l'a appris, qu'un arbre admirable n'appartiendra pas à celui qui en auroit jeté la semence, sans y penser et sans la connoître, dans une terre abondante qui en auroit profité de la sorte par sa propre fertilité.

Les mêmes pensées poussent quelquefois tout autrement dans un autre que dans leur auteur: infertiles dans leur champ naturel, abondantes étant transplantées. Mais il arrive bien plus souvent qu'un bon esprit fait produire lui-même à ses propres pensées tout le fruit dont elles sont capables, et qu'ensuite quelques autres, les ayant ouï estimer, les empruntent et s'en parent, mais sans en connoître l'excellence; et c'est alors que la différence d'un même mot, en diverses bouches, paroît le plus.

C'est de cette sorte que la logique a peut- | veloppées, et où elles demeurent sans effet, par

être emprunté les règles de la géométrie sans en comprendre la force; et ainsi en les mettant à l'aventure parmi celles qui lui sont propres, il ne s'ensuit pas de là que les logiciens soient entrés dans l'esprit de la géométrie; et s'ils n'en donnent pas d'autres marques que de l'avoir dit en passant, je serai bien éloigné de les mettre en parallèle avec les géomètres qui apprennent la véritable manière de conduire la raison. Je serai, au contraire, bien disposé à les en exclure, et presque sans retour. Car de l'avoir dit en passant, sans avoir pris garde que tout est renfermé là-dedans, et, au lieu de suivre ces lumières, s'égarer à perte de vue après des recherches inutiles, pour courir à ce qu'elles offrent, et qu'elles ne peuvent donner, c'est véritablement montrer qu'on n'est guère clairvoyant, et bien moins que si l'on n'avoit manqué de les suivre, que parcequ'on ne les avoit pas aperçues.

La méthode de ne point errer est recherchée de tout le monde. Les logiciens font profession d'y conduire, les géomètres seuls y arrivent, et hors de leur science et de ce qui l'imite, il n'y a point de véritables démonstrations; tout l'art en est renfermé dans les seuls préceptes que nous avons dit; ils suffisent seuls, ils prouvent seuls; toutes les autres règles sont inutiles ou nuisibles. Voilà ce que je sais par une longue expérience de toute sorte de livres et de personnes. Et sur cela je fais le même jugement de ceux qui disent que les géomètres ne leur donnent rien de nouveau par ces règles, parcequ'ils les avoient en effet, mais confondues parmi une multitude d'autres inutiles ou fausses dont ils ne pouvoient pas les discerner, que de ceux qui, cherchant un diamant de grand prix parmi un grand nombre de faux, mais qu'ils ne sauroient pas en distinguer, se vanteroient, en les tenant tous ensemble, de posséder le véritable; aussibien que celui qui, sans s'arrêter à ce vil amas, porte la main sur la pierre choisie que l'on recherche, et pour laquelle on ne jetoit pas tout le

les mauvaises qualités de ce mélange.

Pour découvrir tous les sophismes et toutes les équivoques des raisonnements captieux, les logiciens ont inventé des noms barbares qui étonnent ceux qui les entendent; et au lieu qu'on ne peut débrouiller tous les replis de ce nœud si embarrassé, qu'en tirant les deux bouts que les géomètres assignent, ils en ont marqué un nombre étrange d'autres où ceux-là se trouvent compris, sans qu'ils sachent lequel est le bon.

Et ainsi, en nous montrant un nombre de chemins différents, qu'ils disent nous conduire où nous tendons, quoiqu'il n'y en ait que deux qui y mènent, et qu'il faut savoir marquer en particulier, on prétendra que la géométrie, qui les assigne certainement, ne donne que ce qu'on tenoit déja d'eux, parcequ'ils donnoient en effet la même chose, et davantage; sans prendre garde que ce présent perdoit son prix par son abondance, et qu'il ôtoit en ajoutant.

Rien n'est plus commun que les bonnes choses: il n'est question que de les discerner; et il est certain qu'elles sont toutes naturelles et à notre portée, et même connues de tout le monde. Mais on ne sait pas les distinguer. Ceci est universel. Ce n'est pas dans les choses extraordinaires et bizarres que se trouve l'excellence de quelque genre que ce soit. On s'élève pour y arriver, et on s'en éloigne. Il faut le plus souvent s'abaisser. Les meilleurs livres sont ceux que chaque lecteur croit qu'il auroit pu faire; la nature, qui seule est bonne, est toute familière et commune.

Je ne fais donc pas de doute que ces règles, étant les véritables, ne doivent être simples, naïves, naturelles, comme elles le sont. Ce n'est pas Barbara et Baralipton qui forment le raisonnement. Il ne faut pas guinder l'esprit ; les manières tendues et pénibles le remplissent d'une sotte présomption, par une élévation étrangère et par une enflure vaine et ridicule, au lieu d'une nourriture solide et vigoureuse. L'une des raisons principales qui éloignent le plus ceux qui entrent dans ces connoissances, du véritable Le défaut d'un raisonnement faux est une ma- chemin qu'ils doivent suivre, est l'imagination ladie qui se guérit par les deux remèdes indi- qu'on prend d'abord que les bonnes choses sont qués. On en a composé un autre d'une infinité inaccessibles, en leur donnant le nom de grandes, d'herbes inutiles, où les bonnes se trouvent en-hautes, élevées, sublimes. Cela perd tout. Je

reste.

voudrois les nommer basses, communes, fami- | de la nature; et que de ce que lui paroîtra ce

lières : ces noms-là leur conviennent mieux; je hais les mots d'enflure.

ARTICLE IV.

Connoissance générale de l'homme.
I.

La première chose qui s'offre à l'homme quand il se regarde, c'est son corps, c'est-à-dire une certaine portion de matière qui lui est propre. Mais, pour comprendre ce qu'elle est, il faut qu'il la compare avec tout ce qui est audessus de lui et tout ce qui est au-dessous, afin de reconnoître ses justes bornes.

petit cachot où il se trouve logé, c'est-à-dire ce monde visible, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes, et soi-même, son juste prix.

Qu'est-ce que l'homme dans l'infini? Qui peut le comprendre? Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connoît les choses les plus délicates. Qu'un ciron, par exemple, lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes; que, divisant encore ces dernières choQu'il ne s'arrête donc pas à regarder simple- ses, il épuise ses forces et ses conceptions, et ment les objets qui l'environnent; qu'il con- que le dernier objet où il peut arriver soit maintemple la nature entière dans sa haute et pleine tenant celui de notre discours. Il pensera peutmajesté; qu'il considère cette éclatante lumière, être que c'est là l'extrême petitesse de la namise comme une lampe éternelle pour éclairer ture. Je veux lui faire voir là-dedans un abyme l'univers; que la terre lui paroisse comme un nouveau. Je veux lui peindre, non seulement point au prix du vaste tour que cet astre dé- l'univers visible, mais encore tout ce qu'il est crit1; et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour capable de concevoir de l'immensité de la nan'est lui-même qu'un point très délicat à l'égard ture, dans l'enceinte de cet atome imperceptide celui que les astres qui roulent dans le fir- ble. Qu'il y voie une infinité de mondes, dont mament embrassent. Mais si notre vue s'arrête chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, là, que l'imagination passe outre. Elle se las- en la même proportion que le monde visible; sera plutôt de concevoir, que la nature de four-dans cette terre, des animaux, et enfin des cinir. Tout ce que nous voyons du monde n'est rons, dans lesquels il retrouvera ce que prequ'un trait imperceptible dans l'ample sein de miers ont donné, trouvant encore dans les aula nature. Nulle idée n'approche de l'étendue tres la même chose, sans fin et sans repos. Qu'il de ces espaces. Nous avons beau enfler nos se perde dans ces merveilles aussi étonnantes par conceptions, nous n'enfantons que des atomes leur petitesse que les autres par leur étendue. au prix de la réalité des choses. C'est une sphère Car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt infinie dont le centre est partout, la circonfé- n'étoit pas perceptible dans l'univers, imperrence nulle part. Enfin c'est un des plus grands ceptible lui-même dans le sein du tout, soit caractères sensibles de la toute-puissance de maintenant un colosse, un monde, ou plutôt un Dieu, que notre imagination se perde dans tout, à l'égard de la dernière petitesse où l'on cette pensée. ne peut arriver?

Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné

Pascal s'exprime ici d'après les idées populaires conformes

au système de Ptolémée, qui faisoit tourner le soleil et les pla

les

Qui se considérera de la sorte s'effraiera, sans doute, de se voir comme suspendu dans la masse que la nature lui a donnée entre ces deux abymes de l'infini et du néant, dont il est également éloigné. Il tremblera dans la vue de ces merveilles; et je crois que, sa curiosité se chan

netes autour de la terre, regardée comme le centre de l'univers. Cependant Copernic avoit, dès l'an 1550, publié son sys-geant en admiration, il sera plus disposé à les téme, ou plutôt celui de Pythagore, ou de Philolaus son disciple;

et, après la découverte des télescopes par Galilée, en 1610, les

savanis en avoient reconnu l'évidence.

contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.

Car, enfin, qu'est-ce que l'homme dans la nature? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Il est infiniment éloigné des deux extrêmes, et son être n'est pas moins distant du néant d'où il est tiré que de l'infini où il est englouti.

Son intelligence tient dans l'ordre des choses intelligibles le même rang que son corps dans l'étendue de la nature; et tout ce qu'elle peut faire est d'apercevoir quelque apparence du milieu des choses dans un désespoir éternel d'en connoître ni le principe ni la fin. Toutes choses sont sorties du néant, et portées jusqu'à l'infini. Qui peut suivre ces étonnantes démarches? L'auteur de ces merveilles les comprend; nul autre ne peut le faire.

II.

Je puis bien concevoir un homme sans mains, sans pieds; et je le concevrois même sans tête, si l'expérience ne m'apprenoit que c'est par-là qu'il pense. C'est donc la pensée qui fait l'être de l'homme, et sans quoi on ne peut le concevoir. Qu'est-ce qui sent du plaisir en nous? Est-ce la main? est-ce le bras? est-ce la chair? est-ce le sang? On verra qu'il faut que ce soit quelque chose d'immatériel.

III.

L'homme est si grand, que sa grandeur paroît même en ce qu'il se connoît misérable. Un arbre ne se connoît pas misérable : il est vrai que c'est être misérable que de se connoître misérable; mais aussi c'est être grand que de connoître qu'on est misérable. Ainsi toutes ses misères prouvent sa grandeur; ce sont misères de grand seigneur, misères d'un roi dépossédé.

IV.

Cet état, qui tient le milieu entre les extrêmes, se trouve en toutes nos puissances. Nos sens n'aperçoivent rien d'extrême. Trop de bruit nous assourdit, trop de lumière nous éblouit, trop de distance et trop de proximité empêchent la vue, trop de longueur et trop de brièveté obscurcissent un discours, trop de plaisir incommode, trop de consonnances déplaisent. Nous ne sentons ni l'extrême chaud ni sinon un roi dépossédé? Trouvoit-on Paul Émile Qui se trouve malheureux de n'être pas roi, l'extrême froid. Les qualités excessives nous malheureux de n'être plus consul? Au contraire, sont ennemies, et non pas sensibles. Nous ne les sentons plus, nous les souffrons. Trop de tout le monde trouvoit qu'il étoit heureux de l'ajeunesse et trop de vieillesse empêchent l'esprit; voir été, parceque sa condition n'étoit pas de trop et trop peu de nourriture troublent ses ac- l'être toujours. Mais on trouvoit Persée si maltions; trop et trop peu d'instruction l'abêtis- heureux de n'être plus roi, parceque sa condition sent. Les choses extrêmes sont pour nous étoit de l'être toujours, qu'on trouvoit étrange comme si elles n'étoient pas, et nous ne somqu'il pût supporter la vie. Qui se trouve malmes point à leur égard. Elles nous échappent, heureux de n'avoir qu'une bouche? et qui ne se trouve malheureux de n'avoir qu'un œil? On ne s'est peut-être jamais avisé de s'affliger de n'avoir trois yeux; pas mais on est inconsolable de n'en avoir qu'un.

ou nous à elles.

Voilà notre état véritable. C'est ce qui resserre nos connoissances en de certaines bornes que nous ne passons pas, incapables de savoir tout, et d'ignorer tout absolument. Nous sommes sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants entre l'ignorance et la connoissance; et si nous pensons aller plus avant, notre objet branle et échappe à nos prises; il se dérobe et fuit d'une fuite éternelle : rien ne peut l'arrêter. C'est notre condition naturelle, et toutefois la plus contraire à notre inclination. Nous brûlons du desir d'approfondir tout, et d'édifier une tour qui s'élève jusqu'à l'infini. Mais tout notre édifice craque, et la terre s'ouvre jusqu'aux abymes.

V.

Nous avons une si grande idée de l'ame de l'homme, que nous ne pouvons souffrir d'en être méprisés, et de n'être pas dans l'estime d'une ame; et toute la félicité des hommes consiste dans cette estime.

Si d'un côté cette fausse gloire que les hommes cherchent est une grande marque de leur misère et de leur bassesse, c'en est une aussi de leur excellence; car, quelques possessions qu'il

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