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Pendant qu'Oronte augmente avec ses an- | voir à l'agonie de nos proches : celui qui s'empêche de souhaiter que son père y passe bientôt est homme de bien.

nées son fonds et ses revenus, une fille naît dans quelque famille, s'élève, croît, s'embellit et entre dans sa seizième année; il se fait prier à cinquante ans pour l'épouser jeune, belle, spirituelle: cet homme, sans naissance, sans esprit, et sans le moindre mérite, est préféré à tous ses rivaux.

Le mariage, qui devroit être à l'homme une source de tous les biens, lui est souvent, par la disposition de sa fortune, un lourd fardeau sous lequel il succombe : c'est alors qu'une femme et des enfants sont une violente tentation à la fraude, au mensonge, et aux gains illicites. Il se trouve entre la friponnerie et l'indigence: étrange situation!

Epouser une veuve, en bon françois, signifie faire sa fortune: il n'opère pas toujours ce qu'il signifie.

Celui qui n'a de partage avec ses frères que pour vivre à l'aise bon praticien, veut être officier; le simple officier se fait magistrat, et le magistrat veut présider; et ainsi de toutes les conditions où les hommes languissent serrés et indigents, après avoir tenté au-delà de leur fortune, et forcé pour ainsi dire leur destinée, incapables tout à-la-fois de ne pas vouloir être riches et de demeurer riches.

Dine bien, Cléarque, soupe le soir, mets du bois au feu, achète un manteau, tapisse ta chambre tu n'aimes point ton héritier; tu ne le connois point, tu n'en as point.

Jeune, on conserve pour sa vieillesse; vieux, on épargne pour la mort. L'héritier prodigue paie de superbes funérailles, et dévore le reste. L'avare dépense plus mort, en un seul jour, qu'il ne faisoit vivant en dix années; et son héritier plus en dix mois, qu'il n'a su faire lui-même en toute sa vie.

Ce que l'on prodigue, on l'ôte à son héritier: ce que l'on épargne sordidement, on se l'ôte à soi-même. Le milieu est justice pour soi et pour les autres.

Les enfants peut-être seroient plus chers à leurs pères, et réciproquement les pères à leurs enfants, sans le titre d'héritiers.

Triste condition de l'homme, et qui dégoûte de la vie ! il faut suer, veiller, fléchir, dépendre, pour avoir un peu de fortune, ou la de

Le caractère de celui qui veut hériter de quelqu'un rentre dans celui du complaisant : nous ne sommes point mieux flattés, mieux obéis, plus suivis, plus entourés, plus cultivés, plus ménagés, plus caressés de personne pendant notre vie, que de celui qui croit gagner à notre mort, et qui desire qu'elle arrive.

Tous les hommes, par les postes différents, par les titres, et par les successions, se regardent comme héritiers les uns des autres, et cultivent par cet intérêt, pendant tout le cours de leur vie, un desir secret et enveloppé de la mort d'autrui le plus heureux dans chaque condition est celui qui a plus de choses à perdre par sa mort, et à laisser à son successeur.

L'on dit du jeu qu'il égale les conditions; mais elles se trouvent quelquefois si étrangement disproportionnées, et il y a entre telle et telle condition un abyme d'intervalle si immense et si profond, que les yeux souffrent de voir de telles extrémités se rapprocher: c'est comme une musique qui détonne, ce sont comme des couleurs mal assorties, comme des paroles qui jurent et qui offensent l'oreille, comme de ces bruits ou de ces sons qui font frémir; c'est, en un mot, un renversement de toutes les bienséances. Si l'on m'oppose que c'est la pratique de tout l'Occident, je réponds que c'est peut-être aussi l'une de ces choses qui nous rendent barbares à l'autre partie du monde, et que les Orientaux qui viennent jusqu'à nous remportent sur leurs tablettes : je ne doute pas même que cet excès de familiarité ne les rebute davantage que nous ne sommes blessés de leur zombaye1, et de leurs autres prosternations.

Une tenue d'états, ou les chambres assemblées pour une affaire très capitale, n'offre point aux yeux rien de si grave et de si sérieux qu'une table de gens qui jouent un grand jeu : une triste sévérité règne sur leur visage; implacables l'un pour l'autre, et irréconciliables ennemis pendant que la séance dure, ils ne reconnoissent plus ni liaisons, ni alliance, ni naissance, ni distinctions. Le hasard seul, aveugle et farouche di

› Voyez les relations du royaume de Siam. (La Brugére.)

vinité, préside au cercle, et y décide souverainement: ils l'honorent tous par un silence profond, et par une attention dont ils sont par-tout ailleurs fort incapables; toutes les passions, comme suspendues, cèdent à une seule le courtisan alors n'est ni doux, ni flatteur, ni complaisant, ni même dévot.

L'on ne reconnoît plus en ceux que le jeu et le gain ont illustrés la moindre trace de leur première condition. Ils perdent de vue leurs égaux, et atteignent les plus grands seigneurs. Il est vrai que la fortune du dé ou du lansquenet les remet souvent où elle les a pris.

sur une carte ou à la fortune du dé la sienne propre, celle de sa femme et de ses enfants, est-ce une chose qui soit permise ou dont l'on doive se passer? Ne faut-il pas quelquefois se faire une plus grande violence, lorsque, poussé par le jeu jusqu'à une déroute universelle, il faut même que l'on se passe d'habits et de nourriture, et de les fournir à sa famille?

Je ne permets à personne d'être fripon; mais je permets à un fripon de jouer un grand jeu : je le défends à un honnête homme. C'est une trop grande puérilité que de s'exposer à une grande perte.

Il n'y a qu'une affliction qui dure, qui est celle qui vient de la perte de biens : le temps, qui adoucit toutes les autres, aigrit celle-ci. Nous sentons à tous moments, pendant le cours de notre vie, où le bien que nous avons perdu nous manque.

Il fait bon avec celui qui ne se sert pas de son bien à marier ses filles, à payer ses dettes, ou à faire des contrats, pourvu que l'on ne soit ni ses enfants, ni sa femme.

Je ne m'étonne pas qu'il y ait des brelans publics, comme autant de pièges tendus à l'avarice des hommes, comme des gouffres où l'argent des particuliers tombe et se précipite sans retour, comme d'affreux écueils où les joueurs viennent se briser et se perdre; qu'il parte de ces lieux des émissaires pour savoir à heure marquée qui a descendu à terre avec un argent frais d'une nouvelle prise, qui a gagné un procès d'où on lui a compté une grosse somme, qui a reçu un don, qui a fait au jeu un gain considérable, quel fils de famille vient de recueillir une riche succession, ou quel commis imprudent veut hasarder sur une carte les deniers de sa caisse. C'est un sale et indigne métier, il est vrai, que de tromper; mais c'est un métier qui est ancien, connu, pratiqué de tout temps par ce genre d'hommes que j'appelle des brelan-cré l'ombrage du côté du couchant; les dieux de diers. L'enseigne est à leur porte; on y liroit presque, Ici l'on trompe de bonne foi; car se voudroient-ils donner pour irréprochables? Qui ne sait pas qu'entrer et perdre dans ces maisons est une même chose? Qu'ils trouvent donc sous leur main autant de dupes qu'il en faut pour leur subsistance, c'est ce qui me passe.

Ni les troubles, Zénobie, qui agitent votre empire, ni la guerre que vous soutenez virilement contre une nation puissante depuis la mort du roi votre époux, ne diminuent rien de votre magnificence: vous avez préféré à toute autre contrée les rives de l'Euphrate pour y élever un superbe édifice; l'air y est sain et tempéré, la situation en est riante; un bois sa

Syrie, qui habitent quelquefois la terre, n'y auroient pu choisir une plus belle demeure; la campagne autour est couverte d'hommes qui taillent et qui coupent, qui vont et qui viennent, qui roulent ou qui charrient le bois du Liban, l'airain et le porphyre; les grues et les machines gémissent dans l'air, et font espérer à Mille gens se ruinent au jeu, et vous disent ceux qui voyagent vers l'Arabie de revoir à leur froidement qu'ils ne sauroient se passer de retour en leurs foyers ce palais achevé, et dans jouer quelle excuse! Y a-t-il une passion, quel- cette splendeur où vous desirez de le porter avant que violente ou honteuse qu'elle soit, qui ne pût de l'habiter, vous et les princes vos enfants. N'y tenir ce même langage? seroit-on reçu à dire épargnez rien, grande reine; employez-y l'or et qu'on ne peut se passer de voler, d'assassiner, de tout l'art des plus excellents ouvriers; que les Phise précipiter? Un jeu effroyable, continuel, sans dias et les Zeuxis de votre siècle déploient toute retenue, sans bornes, où l'on n'a en vue que leur science sur vos plafonds et sur vos lambris; la ruine totale de son adversaire, où l'on est tracez-y de vastes et de délicieux jardins, dont transporté du desir du gain, désespéré sur la l'enchantement soit tel qu'ils ne paroissent pas perte, consumé par l'avarice, où l'on expose | faits de la main des hommes; épuisez vos trésors

et votre industrie sur cet ouvrage incompara- | crement tout ce qu'il lui dit ; il déploie un ample ble; et après que vous y aurez mis, Zénobie, mouchoir, et se mouche avec grand bruit; il la dernière main, quelqu'un de ces pâtres qui crache fort loin, et il éternue fort haut ; il dort habitent les sables voisins de Palmyre, devenu le jour, il dort la nuit, et profondément; il riche par les péages de vos rivières, achètera ronfle en compagnie. Il occupe à table et à la un jour à deniers comptants cette royale maison, promenade plus de place qu'un autre; il tient pour l'embellir, et la rendre plus digne de lui le milieu en se promenant avec ses égaux ; il et de sa fortune. s'arrête, et l'on s'arrête; il continue de marcher, et l'on marche; tous se règlent sur lui : il

Ce palais, ces meubles, ces jardins, ces belles eaux, vous enchantent, et vous font ré-interrompt, il redresse ceux qui ont la parole; crier d'une première vue sur une maison si on ne l'interrompt pas, on l'écoute aussi longdélicieuse, et sur l'extrême bonheur du maître temps qu'il veut parler; on est de son avis, on qui la possède. Il n'est plus ; il n'en a pas joui si croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, agréablement ni si tranquillement que vous; il vous le voyez s'enfoncer dans un fauteuil, n'y a jamais eu un jour serein, ni une nuit tran- croiser les jambes l'une sur l'autre, froncer le quille; il s'est noyé de dettes pour la porter à sourcil, abaisser son chapeau sur ses yeux pour ce degré de beauté où elle vous ravit: ses créan- ne voir personne, ou le relever ensuite, et déciers l'en ont chassé ; il a tourné la tête, et il l'a couvrir son front par fierté et par audace. Il regardée de loin une dernière fois; et il est est enjoué, grand rieur, impatient, présompmort de saisissement. tueux, colère, libertin, politique, mystérieux sur les affaires du temps; il se croit des talents et de l'esprit. Il est riche.

L'on ne sauroit s'empêcher de voir dans certaines familles ce qu'on appelle les caprices du hasard ou les jeux de la fortune : il y a cent ans qu'on ne parloit point de ces familles, qu'elles n'étoient point. Le ciel tout d'un coup s'ouvre en leur faveur : les biens, les honneurs, les dignités, fondent sur elles à plusieurs reprises; elles nagent dans la prospérité. Eumolpe, l'un de ces hommes qui n'ont point de grandspères, a eu un père du moins qui s'étoit élevé si haut, que tout ce qu'il a pu souhaiter pendant le cours d'une longue vie, c'a été de l'atteindre; et il l'a atteint. Étoit-ce dans ces deux personnages éminence d'esprit, profonde capacité? étoit-ce les conjonctures? La fortune enfin ne leur rit plus; elle se joue ailleurs, et traite leur postérité comme leurs ancêtres.

La cause la plus immédiate de la ruine et de la déroute des personnes des deux conditions, de la robe et de l'épée, est que l'état seul, et non le bien, règle la dépense.

Si vous n'avez rien oublié pour votre fortune, quel travail! si vous avez négligé la moindre chose, quel repentir!

Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l'oeil fixe et assuré, les épaules larges, l'estomac haut, la démarche ferme et délibérée: il parle avec confiance; il fait répéter celui qui l'entretient, et il ne goûte que médio

Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre: il dort peu et d'un sommeil fort léger, il est abstrait, rêveur, et il a avec de l'esprit l'air d'un stupide ; il oublie de dire ce qu'il sait, ou de parler d'évènements qui lui sont connus: et, s'il le fait quelquefois, il s'en tire mal; il croit peser à ceux à qui il parle; il conte brièvement, mais froidement; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis; il court, il vole pour leur rendre de petits services: il est complaisant, flatteur, empressé; il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupuleux, timide: il marche doucement et légèrement; il semble craindre de fouler la terre ; il marche les yeux baissés, et il n'ose les lever sur ceux qui passent : il n'est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir; il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et il se retire si on le regarde. Il n'occupe point de lieu, il ne tient point de place: il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour n'être point vu; il se replie et se renferme dans son manteau : il n'y a point de rues ni de galeries si embarrassées et si remplies de monde où il

ne trouve moyen de passer sans effort, et de
se couler sans être aperçu : si on le prie de s'as-
seoir, il se met à peine sur le bord d'un siége;
il parle bas dans la conversation, et il articule
mal : libre néanmoins sur les affaires publiques,
chagrin contre le siècle, médiocrement pré-
venu des ministres et du ministère, il n'ouvre
la bouche que pour répondre: il tousse, il se
mouche sous son chapeau; il crache presque
sur soi, et il attend qu'il soit seul pour éter-
nuer, ou,
si cela lui arrive, c'est à l'insu de la
compagnie; il n'en coûte à personne ni salut,
ni compliment. Il est pauvre.

CHAPITRE VII.

De la ville.

L'on se donne à Paris, sans se parler, comme un rendez-vous public, mais fort exact, tous les soirs, au Cours ou aux Tuileries, pour se regarder au visage et se désapprouver les uns

les autres.

L'on ne peut se passer de ce même monde que l'on n'aime point, et dont on se moque.

L'on s'attend au passage réciproquement dans une promenade publique ; l'on y passe en revue l'un devant l'autre carrosse, chevaux, livrées, armoiries, rien n'échappe aux yeux, tout est curieusement ou malignement observé; et, selon le plus ou le moins de l'équipage, ou l'on respecte les personnes, ou on les dédaigne. Tout le monde connoît cette longue levée qui borne et qui resserre le lit de la Seine du côté où elle entre à Paris avec la Marne qu'elle vient de recevoir : les hommes s'y baignent au pied pendant les chaleurs de la canicule : on les voit de fort près se jeter dans l'eau, on les en voit sortir : c'est un amusement. Quand cette saison n'est pas venue, les femmes de la ville ne s'y promènent pas encore; et, quand elle est passée, elles ne s'y promènent plus ' .

Le quai Saint-Bernard.

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2 Dans ce temps-là les hommes alloient se baigner dans la Seine, au-dessus de la porte Saint-Bernard; et, dans la saison

des bains, le bord de la rivière, à cet endroit, étoit fréquenté

par beaucoup de femmes. Plusieurs auteurs satiriques ou comiques se sont moqués du choix peu décent de cette promenade. LES BAINS DE LA PORTE SAINT-BERNARD sont le titre d'une comédie jouée au Théâtre Italien, en 4696.

Dans ces lieux d'un concours général, où les femmes se rassemblent pour montrer une belle étoffe, et pour recueillir le fruit de leur toilette, on ne se promène pas avec une compagne par la nécessité de la conversation; on se joint ensemble pour se rassurer sur le théâtre, s'apprivoiser avec le public, et se raffermir contre la critique: c'est là précisément qu'on se parle sans se rien dire, ou plutôt qu'on parle pour les passants, pour ceux même en faveur de qui l'on hausse sa voix; l'on gesticule et l'on badine, l'on penche négligemment la tête, l'on passe et l'on repasse.

La ville est partagée en diverses sociétés, qui sont comme autant de petites républiques, qui ont leurs lois, leurs usages, leur jargon et leurs mots pour rire: tant que cet assemblage est dans sa force, et que l'entêtement subsiste, l'on ne trouve rien de bien dit ou de bien fait que ce qui part des siens, et l'on est incapable de goûter ce qui vient d'ailleurs ; cela va jusqu'au mépris pour les gens qui ne sont pas initiés dans leurs mystères. L'homme du monde d'un meilleur esprit, que le hasard a porté au milieu d'eux, leur est étranger. Il se trouve là ni les routes, ni les mœurs, ni la langue, ni la comme dans un pays lointain, dont il ne connoit coutume: il voit un peuple qui cause, bourdonne, ensuite dans un morne silence; il y perd son parle à l'oreille, éclate de rire, et qui retombe maintien, ne trouve pas où placer un seul mot, et n'a pas même de quoi écouter. Il ne manque jamais là un mauvais plaisant qui domine, et qui est comme le héros de la société : celui-ci s'est chargé de la joie des autres, et fait toujours rire avant que d'avoir parlé. Si quelquefois une femme survient qui n'est point de leurs plaisirs, la bande joyeuse ne peut comprendre qu'elle ne sache point rire des choses qu'elle n'entend point, et paroisse insensible à des fadaises qu'ils n'entendent eux-mêmes que parcequ'ils les ont faites: ils ne lui pardonnent ni son ton de voix, ni son silence, ni sa taille, ni son visage, ni son habillement, ni son entrée, ni la manière dont elle est sortie. Deux années cependant ne passent point sur une même coterie. Il y a toujours, dès la première année, des semences de division pour rompre dans celle qui doit suivre. L'intérêt de la beauté,

les incidents du jeu, l'extravagance des repas, | vanité, la mollesse, l'intempérance, le libertiqui, modestes au commencement, dégénèrent nage, comme si tous ces vices lui étoient dus; bientôt en pyramides de viandes et en banquets et, affectant ainsi un caractère éloigné de celui somptueux, dérangent la république, et lui qu'ils ont à soutenir, ils deviennent enfin, selon portent enfin le coup mortel: il n'est en fort leurs souhaits, des copies fidèles de très mépeu de temps non plus parlé de cette nation que chants originaux. des mouches de l'année passée.

Un homme de robe à la ville, et le même à la cour, ce sont deux hommes. Revenu chez soi, il reprend ses mœurs, sa taille et son visage, qu'il y avoit laissés : il n'est plus ni si embarrassé, ni si honnête.

Les Crispins se cotisent et rassemblent dans leur famille jusqu'à six chevaux pour alonger un équipage qui, avec un essaim de gens de livrée où ils ont fourni chacun leur part, les fait triompher au Cours ou à Vincennes, et aller de pair avec les nouvelles mariées, avec Jason qui se ruine, et avec Thrason qui veut se marier, et qui a consigné1.

Il y a dans la ville la grande et la petite robe; et la première se venge sur l'autre des dédains de la cour, et des petites humiliations qu'elle y essuie de savoir quelles sont leurs limites, où la grande finit et où la petite commence, ce n'est pas une chose facile. Il se trouve même un corps considérable qui refuse d'être du second ordre, et à qui l'on conteste le premier : il ne se rend pas néanmoins; il cherche au contraire, par la gravité et par la dépense, à s'égaler à la magistrature, ou ne lui cède qu'avec peine: on l'entend dire que la noblesse de son emploi, l'indépendance de sa profession, le talent de la J'entends dire des Sannions, même nom, mêparole, et le mérite personnel, balancent au mes armes ; la branche aînée, la branche cadette, moins les sacs de mille francs que le fils du par-les cadets de la seconde branche: ceux-là portisan ou du banquier a su payer pour son of

fice.

tent les armes pleines, ceux-ci brisent d'un lambel, et les autres, d'une bordure dentelée. Ils ont avec les Bourbons, sur une même couleur, un même métal; ils portent, comme eux, deux et une : ce ne sont pas des fleurs-de-lis, mais ils s'en consolent; peut-être dans leur cœur trouvent-ils leurs pièces aussi honorables, et ils les ont communes avec de grands seigneurs qui en sont contents. On les voit sur les litres et sur les vitrages, sur la porte de leur château, sur le pi

Vous moquez-vous de rêver en carrosse, ou peut-être de vous y reposer? Vite, prenez votre livre ou vos papiers; lisez, ne saluez qu'à peine ces gens qui passent dans leur équipage; ils vous en croiront plus occupé ; ils diront: Cet homme est laborieux, infatigable; il lit, il travaille jusque dans les rues ou sur la route: apprenez du moindre avocat, qu'il faut paroître accablé d'affaires, froncer le sourcil, et rêverlier de leur haute-justice, où ils viennent de faire à rien très profondément; savoir à propos perdre le boire et le manger, ne faire qu'apparoir dans sa maison, s'évanouir et se perdre comme un fantôme dans le sombre de son cabinet; se cacher au public, éviter le théâtre, le laisser à ceux qui ne courent aucun risque à s'y montrer, qui en ont à peine le loisir, aux GOMONS, aux DUHAMELS.

Π y a un certain nombre de jeunes magistrats que les grands biens et les plaisirs ont associés à quelques uns de ceux qu'on nomme à la cour de petits-maîtres : ils les imitent, ils se tiennent fort au-dessus de la gravité de la robe, et se croient dispensés, par leur âge et par leur fortune, d'être sages et modérés. Ils prennent de la cour ce qu'elle a de pire: ils s'approprient la

at

pendre un homme qui méritoit le bannissement: elles s'offrent aux yeux de toutes parts; elles sont sur les meubles et sur les serrures; elles sont semées sur les carrosses : leurs livrées ne déshonorent point leurs armoiries. Je dirois volontiers aux Sannions : Votre folie est prématurée, tendez du moins que le siècle s'achève sur votre race; ceux qui ont vu votre grand-père, qui lui ont parlé, sont vieux, et ne sauroient plus vivre long-temps; qui pourra dire comme eux : Là il étaloit, et vendoit très cher?

Les Sannions et les Crispins veulent encore davantage que l'on dise d'eux qu'ils font une grande dépense, qu'ils n'aiment à la faire : ils

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