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cite des historiettes qui y sont arrivées; il les trouve plaisantes; il en rit le premier jusqu'à éclater. Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies; Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur. Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original; je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connois familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance. Il reprenoit le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avoit commencée, lorsque l'un des conviés lui dit : C'est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive fraîchement de son ambassade.

Il y a un parti à prendre dans les entretiens entre une certaine paresse qu'on a de parler, ou quelquefois un esprit abstrait, qui, nous jetant loin du sujet de la conversation, nous fait faire ou de mauvaises demandes ou de sottes réponses; et une attention importune qu'on a au moindre mot qui échappe pour le relever, badiner autour, y trouver un mystère que les autres n'y voient pas, y chercher de la finesse et de la subtilité, seulement pour avoir occasion d'y placer la sienne.

Être infatué de soi, et s'être fortement persuadé qu'on a beaucoup d'esprit, est un accident qui n'arrive guère qu'à celui qui n'en a point, ou qui en a peu : malheur pour lors à qui est exposé à l'entretien d'un tel personnage! Combien de jolies phrases lui faudra-t-il essuyer! combien de ces mots aventuriers qui paroissent subitement, durent un temps, et que bientôt on ne revoit plus! S'il conte une nouvelle, c'est moins pour l'apprendre à ceux qui l'écoutent que pour avoir le plaisir de la dire, et de la dire bien; elle devient un roman entre ses mains; il fait penser les gens à sa manière, leur met en la bouche ses petites façons de parler, et les fait toujours parler long-temps; il tombe ensuite en des parenthèses qui peuvent passer pour épisodes, mais qui font oublier le gros de l'histoire, et à lui qui vous parle, et à vous qui le supportez : que seroit-ce de vous et de lui, si quelqu'un ne survenoit heureusement pour déranger le cercle et faire oublier la narration?

J'entends Théodecte de l'antichambre; il grossit sa voix à mesure qu'il s'approche : le voilà entré; il rit, il crie, il éclate; on bouche ses oreilles; c'est un tonnerre: il n'est pas moins redoutable par les choses qu'il dit que par le ton dont il parle ; il ne s'apaise et il ne revient de ce grand fracas que pour bredouiller des vanités et des sottises; il a si peu d'égard au temps, aux personnes, aux bienséances, que chacun a son fait sans qu'il ait eu intention de le lui donner; il n'est pas encore assis, qu'il a, à son insu, désobligé toute l'assemblée. A-t-on servi, il se met le premier à table, et dans la première place; les femmes sont à sa droite et à sa gauche: il mange, il boit, il conte, il plaisante, il interrompt tout à-la-fois; il n'a nul discernement des personnes, ni du maître, ni des convies; il abuse de la folle déférence qu'on a pour lui. Est-ce lui, est-ce Eutidème qui donne le repas? Il rappelle à soi toute l'autorité de la table; et il y a un moindre inconvénient à la lui laisser entière qu'à la lui disputer : le vin et les viandes n'ajoutent rien à son caractère. Si l'on joue, il gagne au jeu; il veut railler celui qui perd, et il l'offense : les rieurs sont pour lui ; il n'y a sorte de fatuités qu'on ne lui passe. Je cède enfin, et je disparois, incapable de souffrir plus long-temps Théodecte et ceux qui le souffrent.

Troïle est utile à ceux qui ont trop de biens; il leur ôte l'embarras du superflu; il leur sauve la peine d'amasser de l'argent, de faire des contrats, de fermer des coffres, de porter des clefs sur soi, et de craindre un vol domestique; il les aide dans leurs plaisirs, et il devient capable ensuite de les servir dans leurs passions : bientôt il les règle et les maîtrise dans leur conduite. Il est l'oracle d'une maison, celui dont on attend, que dis-je? dont on prévient, dont on devine les décisions; il dit de cet esclave: Il faut le punir, et on le fouette; et de cet autre: Il faut l'affranchir, et on l'affranchit. L'on voit qu'un parasite ne le fait pas rire; il peut lui déplaire, il est congédié : le maître est heureux si Troïle lui laisse sa femme et ses enfants. Si celui-ci est à table, et qu'il prononce d'un mets qu'il est friand, le maître et les conviés, qui en mangeoient sans réflexion, le trouvent friand, et ne s'en peuvent rassasier; s'il dit au contraire d'un autre mets qu'il est insipide, ceux qui commen

çoient à le goûter n'osant avaler le morceau qu'ils ont à la bouche, ils le jettent à terre: tous ont les yeux sur lui, observent son maintien et son visage avant de prononcer sur le vin ou sur les viandes qui sont servies. Ne le cherchez pas ailleurs que dans la maison de ce riche qu'il gouverne; c'est là qu'il mange, qu'il dort, et qu'il fait digestion, qu'il querelle son valet, qu'il reçoit ses ouvriers, et qu'il remet ses créanciers: il régente, il domine dans une salle; il y reçoit la cour et les hommages de ceux qui, plus fins que les autres, ne veulent aller au maître que par Troïle. Si l'on entre par malheur sans avoir une physionomie qui lui agrée, il ride son front et il détourne sa vue; si on l'aborde. il ne se lève pas ; si l'on s'assied auprès de lui, il s'éloigne; si on lui parle, il ne répond point; si l'on continue de parler, il passe dans une autre chambre; si on le suit, il gagne l'escalier: il franchiroit tous les étages, ou il se lanceroit par une fenêtre, plutôt que de se laisser joindre par quelqu'un qui a un visage ou un son de voix qu'il désapprouve; l'un et l'autre sont agréables en Troïle, et il s'en est servi heureusement pour s'insinuer ou pour conquérir. Tout devient, avec le temps, au-dessous de ses soins, comme il est au-dessus de vouloir se soutenir ou continuer de plaire par le moindre des talents qui ont commencé à le faire valoir. C'est beaucoup qu'il sorte quelquefois de ses méditations et de sa taciturnité pour contredire, que même pour critiquer il daigne une fois le jour avoir de l'esprit : bien loin d'attendre de lui qu'il défère à vos sentiments, qu'il soit complaisant, qu'il vous loue, vous n'êtes pas sûr qu'il aime toujours votre approbation, ou qu'il souffre votre complaisance.

que d'avoir pensé; il y en a d'autres qui ont une fade attention à ce qu'ils disent, et avec qui l'on souffre dans la conversation de tout le travail de leur esprit ; ils sont comme pétris de phrases et de petits tours d'expression, concertés dans leur geste et dans tout leur maintien; ils sont puristes et ne hasardent pas le moindre mot, quand il devroit faire le plus bel effet du monde : rien d'heureux ne leur échappe; rien ne coule de source et avec liberté : ils parlent proprement et ennuyeusement.

I

L'esprit de la conversation consiste bien moins à en montrer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres : celui qui sort de votre entretien, content de soi et de son esprit, l'est de vous parfaitement. Les hommes n'aiment point à vous admirer; ils veulent plaire: ils cherchent moins à être instruits, et même réjouis, qu'à être goûtés et applaudis; et le plaisir le plus délicat est de faire celui d'autrui.

Il ne faut pas qu'il y ait trop d'imagination dans nos conversations ni dans nos écrits; elle ne produit souvent que des idées vaines et puériles, qui ne servent point à perfectionner le goût, et à nous rendre meilleurs : nos pensées doivent être prises dans le bon sens et la droite raison, et doivent être un effet de notre jugement.

C'est une grande misère que de n'avoir pas assez d'esprit pour bien parler, ni assez de jugement pour se taire. Voilà le principe de toute impertinence.

Dire d'une chose modestement, ou qu'elle est bonne, ou qu'elle est mauvaise, et les raisons pourquoi elle est telle, demande du bon sens et de l'expression; c'est une affaire. Il est plus court de prononcer d'un ton décisif, et qui emporte la preuve de ce qu'on avance, ou qu'elle est execrable, ou qu'elle est miraculeuse.

Il faut laisser parler cet inconnu que le hasard a placé auprès de vous dans une voiture publique, à une fête, ou à un spectacle; et il ne vous Rien n'est moins selon Dieu et selon le monde coûtera bientôt, pour le connoître, que de que d'appuyer tout ce que l'on dit dans la conl'avoir écouté : vous saurez son nom, sa de-versation, jusqu'aux choses les plus indiffémeure, son pays, l'état de son bien, son emploi, celui de son père, la famille dont est sa mère, sa parenté, ses alliances, les armes de sa maison; vous comprendrez qu'il est noble, qu'il a un château, de beaux meubles, des valets, et

un carrosse.

Il y a des gens qui parlent un moment avant

rentes, par de longs et de fastidieux serments. Un honnête homme qui dit oui et non mérite d'être cru: son caractère jure pour lui, donne créance à ses paroles, et lui attire toute sorte de confiance.

Gens qui affectent une grande pureté de langage.
(La Bruyère.)

Celui qui dit incessamment qu'il a de l'hon- | ainsi dire, en peu de paroles, et ne songent

neur et de la probité, qu'il ne nuit à personne, qu'il consent que le mal qu'il fait aux autres lui arrive, et qui jure pour le faire croire, ne sait pas même contrefaire l'homme de bien.

Un homme de bien ne sauroit empêcher, par toute sa modestie, qu'on ne dise de lui ce qu'un malhonnête homme sait dire de soi.

Cléon parle peu obligeamment ou peu juste, c'est l'un ou l'autre ; mais il ajoute qu'il est fait ainsi, et qu'il dit ce qu'il pense.

Il y a parler bien, parler aisément, parler juste, parler à propos : c'est pécher contre ce dernier genre que de s'étendre sur un repas magnifique que l'on vient de faire, devant des gens qui sont réduits à épargner leur pain; de dire merveilles de sa santé devant des infirmes; d'entretenir de ses richesses, de ses revenus et de ses ameublements, un homme qui n'a ni rentes ni domicile; en un mot, de parler de son bonheur devant des misérables. Cette conversation est trop forte pour eux; et la comparaison qu'ils font alors de leur état au vôtre est odieuse.

dit Eutiphron, vous êtes riche, ou vous devez l'être : dix mille livres de rente, et en fonds de terre, cela est beau, cela est doux, et l'on est heureux à moins; pendant que lui, qui parle ainsi, a cinquante mille livres de revenu, et croit n'avoir que la moitié de ce qu'il mérite : il vous taxe, il vous apprécie, il fixe votre dépense; et s'il vous jugeoit digne d'une meilleure fortune, et de celle même où il aspire, il ne manqueroit pas de vous la souhaiter. Il n'est pas le seul qui fasse de si mauvaises estimations ou des comparaisons si désobligeantes; le monde est plein d'Eutiphrons.

Quelqu'un, suivant la pente de la coutume qui veut qu'on loue, et par l'habitude qu'il a à la flatterie et à l'exagération, congratule Théodème sur un discours qu'il n'a point entendu, et dont personne n'a pu encore lui rendre compte; il ne laisse pas de lui parler de son génie, de son geste, et sur-tout de la fidélité de sa mémoire et il est vrai que Théodème est demeuré court.

:

L'on voit des gens brusques, inquiets, suffisants, qui, bien qu'oisifs, et sans aucune affaire qui les appelle ailleurs, vous expédient, pour

qu'à se dégager de vous: on leur parle encore qu'ils sont partis, et ont disparu. Ils ne sont pas moins impertinents que ceux qui vous arrêtent seulement pour vous ennuyer; ils sont peut-être moins incommodes.

Parler et offenser pour de certaines gens est précisément la même chose : ils sont piquants et amers; leur style est mêlé de fiel et d'absinthe; la raillerie, l'injure, l'insulte, leur découlent des lèvres comme leur salive. Il leur seroit utile d'être nés muets ou stupides. Ce qu'ils ont de vivacité et d'esprit leur nuit davantage que ne fait à quelques autres leur sottise. Ils ne se contentent pas toujours de répliquer avec aigreur, ils attaquent souvent avec insolence : ils frappent sur tout ce qui se trouve sous leur langue, sur les présents, sur les absents; ils heurtent de front et de côté, comme des béliers : demande-t-on à des béliers qu'ils n'aient pas de cornes? de même n'espère-t-on pas de réformer par cette peinture des naturels si durs, si farouches, si indociles. Ce que l'on peut faire de mieux, d'aussi loin qu'on les découvre, est de les fuir de toute sa force et sans regarder derrière soi.

Il y a des gens d'une certaine étoffe ou d'un certain caractère avec qui il ne faut jamais se commettre, de qui l'on ne doit se plaindre que le moins qu'il est possible, et contre qui il n'est pas même permis d'avoir raison.

Entre deux personnes qui ont eu ensemble une violente querelle, dont l'un a raison et l'autre ne l'a pas, ce que la plupart de ceux qui y ont assisté ne manquent jamais de faire, ou pour se dispenser de juger, ou par un tempérament qui m'a toujours paru hors de sa place, c'est de condamner tous les deux : leçon importante, motif pressant et indispensable de fuir à l'orient quand le fat est à l'occident, pour éviter de partager avec lui le même tort.

Je n'aime pas un homme que je ne puis aborder le premier, ni saluer avant qu'il me salue, sans m'avilir à ses yeux, et sans tremper dans la bonne opinion qu'il a de lui-même. MONTAIGNE diroit1 : « Je veux avoir mes coudées franches, <et être courtois et affable à mon point, sans remords ni conséquence. Je ne puis du tout

Imité de Montaigne. ( La Bruyère.)

<estriver contre mon penchant, et aller au ‹ rebours de mon naturel, qui m'emmène vers << celui que je trouve à ma rencontre. Quand il ‹ m'est égal, et qu'il ne m'est point ennemi, j'anticipe son bon accueil; je le questionne < sur sa disposition et santé; je lui fais offre de mes offices sans tant marchander sur le <plus ou sur le moins, ne être, comme disent <aucuns, sur le qui-vive. Celui-là me déplaît, ‹ qui, par la connoissance que j'ai de ses cou<tumes et façons d'agir, me tire de cette liberté <et franchise: comment me ressouvenir tout à <propos, et d'aussi loin que je vois cet homme, <d'emprunter une contenance grave et impor<tante, et qui l'avertisse que je crois le valoir < bien et au-delà ; pour cela de me ramentevoir ( de mes bonnes qualités et conditions, et des ⚫ siennes mauvaises, puis en faire la comparai<son? C'est trop de travail pour moi, et ne suis du tout capable de si roide et si subite attention; et, quand bien elle m'auroit succédé une première fois, je ne laisserois de fléchir et me démentir à une seconde tâche : je ne < puis me forcer et contraindre pour quelcon<que à être fier. ›

Avec de la vertu, de la capacité, et une bonne conduite, on peut être insupportable. Les manières que l'on néglige comme de petites choses, sont souvent ce qui fait que les hommes décident de vous en bien ou en mal : une légère attention à les avoir douces et polies prévient leurs mauvais jugements. Il ne faut presque rien pour être cru fier, incivil, méprisant, désobligeant; il faut encore moins pour être estimé tout le contraire.

La politesse n'inspire pas toujours la bonté, l'équité, la complaisance, la gratitude; elle en donne du moins les apparences, et fait paroître l'homme au dehors comme il devroit être intérieurement.

L'on peut définir l'esprit de politesse; l'on ne peut en fixer la pratique : elle suit l'usage et les coutumes reçues; elle est attachée aux temps, aux lieux, aux personnes, et n'est point la même dans les deux sexes, ni dans les différentes conditions: l'esprit tout seul ne la fait pas deviner; il fait qu'on la suit par imitation, et que l'on s'y perfectionne. Il y a des tempéraments qui ne sont susceptibles que de la politesse, et il y en

a d'autres qui ne servent qu'aux grands talents, ou à une vertu solide. Il est vrai que les manières polies donnent cours au mérite, et le rendent agréable; et qu'il faut avoir de bien éminentes qualités pour se soutenir sans la politesse.

Il me semble que l'esprit de politesse est une certaine attention à faire que, par nos paroles et par nos manières, les autres soient contents de nous et d'eux-mêmes.

C'est une faute contre la politesse que de louer immodérément, en présence de ceux que vous faites chanter ou toucher un instrument, quelque autre personne qui a ces mêmes talents; comme devant ceux qui vous lisent leurs vers, un autre poëte.

Dans les repas ou les fêtes que l'on donne aux autres, dans les présents qu'on leur fait, et dans tous les plaisirs qu'on leur procure, il y a faire bien et faire selon leur goût : le dernier est préférable.

Il y auroit une espèce de férocité à rejeter indifféremment toutes sortes de louanges : l'on doit être sensible à celles qui nous viennent des gens de bien, qui louent en nous sincèrement des choses louables.

Un homme d'esprit, et qui est né fier, ne perd rien de sa fierté et de sa roideur pour se trouver pauvre : si quelque chose au contraire doit amollir son humeur, le rendre plus doux et plus sociable, c'est un peu de prospérité.

Ne pouvoir supporter tous les mauvais caractères dont le monde est plein, n'est pas un fort bon caractère : il faut, dans le commerce, des pièces d'or et de la monnoie.

Vivre avec des gens qui sont brouillés, et dont il faut écouter de part et d'autre les plaintes réciproques, c'est, pour ainsi dire, ne pas sortir de l'audience, et entendre du matin au soir plaider et parler procès.

L'on sait des gens qui avoient coulé leurs jours dans une union étroite : leurs biens étoient en commun; ils n'avoient qu'une même demeure; ils ne se perdoient pas de vue. Ils se sont aperçus à plus de quatre-vingts ans qu'ils devoient se quitter l'un l'autre, et finir leur société; ils n'avoient plus qu'un jour à vivre, et ils n'ont osé entreprendre de le passer ensemble; ils se sont dépêchés de rompre avant que de mourir; ils n'avoient de fonds pour la complai

sance que jusque-là. Ils ont trop vécu pour le bon exemple; un moment plus tôt ils mouroient sociables, et laissoient après eux un rare modèle de la persévérance dans l'amitié.

L'intérieur des familles est souvent troublé par les défiances, par les jalousies et par l'antipathie, pendant que des dehors contents, paisibles et enjoués nous trompent, et nous y font supposer une paix qui n'y est point : il y en a peu qui gagnent à être approfondies. Cette visite que vous rendez vient de suspendre une querelle domestique qui n'attend que votre retraite pour recommencer.

Dans la société, c'est la raison qui plie la première. Les plus sages sont souvent menés par le plus fou et le plus bizarre : l'on étudie son foible,son humeur, ses caprices; l'on s'y accommode: l'on évite de le heurter; tout le monde lui cède la moindre sérénité qui paroît sur son visage lui attire des éloges; on lui tient compte de n'être pas toujours insupportable. Il est craint, ménagé, obéi, quelquefois aimé.

Il n'y a que ceux qui ont eu de vieux collatéraux, ou qui en ont encore, et dont il s'agit d'hériter, qui puissent dire ce qu'il en coûte.

Cléante est un très honnête homme; il s'est choisi une femme qui est la meilleure personne du monde, et la plus raisonnable: chacun, de sa part, fait tout le plaisir et tout l'agrément des sociétés où il se trouve; l'on ne peut voir ailleurs plus de probité, plus de politesse : ils se quittent demain, et l'acte de leur séparation est tout dressé chez le notaire. Il y a sans mentir de certains mérites qui ne sont point faits pour être ensemble, de certaines vertus incompatibles.

L'on peut compter sûrement sur la dot, le douaire et les conventions, mais foiblement sur les nourritures; elles dépendent d'une union fragile de la belle-mère et de la bru, et qui périt souvent dans l'année du mariage.

Un beau-père aime son gendre, aime sa bru*;

Ce passage en rappelle un de Plutarque, que nous allons rapporter ici : « Il y a quelquefois de petites hargnes et riottes ⚫ souvent répétées, procédantes de quelques fàcheuses condiations, ou de quelque dissimilitude ou incompatibilité de naature, que les étrangers ne connoissent pas, lesquelles par « succession de temps engendrent de si grandes aliénations de « volontés entre des personnes, qu'elles ne peuvent plus vivre ani habiter ensemble. » (Vie de Paulus Æmilius, ch. III de la version d'Amyot.)

• Un beau père aime son gendre, aime sa bru : telle est la

une belle-mère aime son gendre, n'aime point sa bru: tout est réciproque.

ι

Ce qu'une marȧtre aime le moins de tout ce qui est au monde, ce sont les enfants de son mari: plus elle est folle de son mari, plus elle est marâtre.

Les marâtres font déserter les villes et les bourgades, et ne peuplent pas moins la terre de mendiants, de vagabonds, de domestiques et d'esclaves, que la pauvreté.

G** et H*** sont voisins de campagne, et leurs terres sont contiguës; ils habitent une contrée déserte et solitaire : éloignés des villes et de tout commerce, il sembloit que la fuite d'une entière solitude ou l'amour de la société eût dû les assujettir à une liaison réciproque; il est cependant difficile d'exprimer la bagatelle qui les a fait rompre, qui les rend implacables l'un pour l'autre, et qui perpétuera leurs haines dans leurs descendants. Jamais des parents, et même des frères, ne se sont brouillés pour une moindre chose.

Je suppose qu'il n'y ait que deux hommes sur la terre qui la possèdent seuls, et qui la partagent toute entre eux deux ; je suis persuadé qu'il leur naîtra bientôt quelque sujet de rupture, quand ce ne seroit que pour les limites. Il est souvent plus court et plus utile de cadrer aux autres, que de faire que les autres s'ajustent à nous.

J'approche d'une petite ville, et je suis déja sur une hauteur d'où je la découvre. Elle est située à mi-côte; une rivière baigne ses murs, et coule ensuite dans une belle prairie: elle a une forêt épaisse qui la couvre des vents froids et de l'aquilon. Je la vois dans un jour si favo

leçon de toutes les éditions publiées par l'auteur; mais il a sans doute voulu dire, un beau-père n'aime point son gendre, aime

sa bru. Nous nous sommes fait une loi de ne pas changer le

texte. (LEF.)

Ici. les auteurs de clefs donnent des noms qui se rapportent aux initiales du texte, ce qui pourroit faire croire qu'ils ont rencontré juste. Voici comme ils racontent l'aventure : «Vedeau

de Grammont, conseiller de la cour en la seconde des en« quêtes, eut un très grand procès avec M. Hervé, doyen du « parlement, au sujet d'une bêche. Ce procès, commencé pour « une bagatelle, donna lieu à une inscription en faux de titre <de noblesse dudit Vedeau, et cette affaire alla si loin, qu'il fut « dégradé publiquement, sa robe déchirée sur lui; outre cela, « condamné à un bannissement perpétuel, depuis converti en « une prison à Pierre-Encise : ce qui le ruina absolument. Il « avait épousé la fille de M. Genou, conseiller en la grand'a chambre. »

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