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l'aime plus, et se console: une femme fait moins de bruit quand elle est quittée, et demeure longtemps inconsolable.

Il est fort sûr qu'une femme qui écrit avec emportement est emportée; il est moins clair qu'elle soit touchée. Il semble qu'une passion vive et tendre est morne et silencieuse; et que le plus pressant intérêt d'une femme qui n'est plus libre, celui qui l'agite davantage, est moins de persuader qu'elle aime que de s'assurer si elle est aimée.

Les femmes guérissent de leur paresse par la cheur. On remarque néanmoins sur elle une rivanité ou par l'amour. che attache, qu'elle dérobe avec soin aux yeux La paresse, au contraire, dans les femmes de son mari; elle le flatte, elle le caresse; elle vives, est le présage de l'amour. invente tous les jours pour lui de nouveaux noms; elle n'a pas d'autre lit que celui de ce cher époux, et elle ne veut pas découcher. Le matin, elle se partage entre sa toilette et quelques billets qu'il faut écrire. Un affranchi vient lui parler en secret; c'est Parmenon, qui est favori, qu'elle soutient contre l'antipathie du maître et la jalousie des domestiques. Qui, à la vérité, fait mieux connoître des intentions, et rapporte mieux une réponse que Parmenon? qui parle moins de ce qu'il faut taire? qui sait ouvrir une porte secrète avec moins de bruit? qui conduit plus adroitement par le petit escalier? qui fait mieux sortir par où l'on est entré?

Je ne comprends pas comment un mari qui s'abandonne à son humeur et à sa complexion, qui ne cache aucun de ses défauts, et se montre au contraire par ses mauvais endroits, qui est avare, qui est trop négligé dans son ajustement, brusque dans ses réponses, incivil, froid et taciturne, peut espérer de défendre le cœur d'une jeune femme contre les entreprises de son galant, qui emploie la parure et la magnificence, la complaisance, les soins, l'empressement, les dons, la flatterie.

Glycère n'aime pas les femmes; elle hait leur commerce et leurs visites, se fait céler pour elles, et souvent pour ses amis, dont le nombre est petit, à qui elle est sévère, qu'elle resserre dans leur ordre, sans leur permettre rien de ce qui passe l'amitié : elle est distraite avec eux, leur répond par des monosyllabes, et semble chercher à s'en défaire. Elle est solitaire et farouche dans sa maison; sa porte est mieux gardée, et sa chambre plus inaccessible que celles de Monthoron1 et d'Hémery'. Une seule, Corinne, y est attendue, y est reçue, et à toutes les heures: on l'embrasse à plusieurs reprises; on croit l'aimer; on lui parle à l'oreille dans un cabinet où elles sont seules; on a soi-même plus de deux oreilles pour l'écouter; on se plaint à elle de toute autre qu'elle; on lui dit toutes choses, et on ne lui apprend rien; elle a la confiance de tous les deux. L'on voit Glycère en partie carrée au bal, au théâtre, dans les jardins publics, sur le chemin de Venouze, où l'on mange les premiers fruits; quelquefois seule en litière sur la route du grand faubourg où elle a un verger délicieux, ou à la porte de Canidie, qui a de si beaux secrets, qui promet aux jeunes femmes de secondes noces, et qui en dit le temps et les circonstances. Elle paroît ordinairement avec une

Monthoron ou Montauron, trésorier de l'épargne, le même à qui Corneille dédia sa tragédie de CINNA en le comparant à

Auguste.

• D'Hémery, ou plutôt Emeri, fils d'un paysan de Sienne, et

protégé du cardinal Mazarin, fut d'abord contrôleur-général sous le surintendant des finances Nicolas Bailleul, et devint lui

même surintendant après la démission du maréchal de La Meilleraye.

coiffure plate et négligée, en simple déshabillé, sans corps, et avec des mules : elle est belle en cet équipage, et il ne lui manque que de la fraî

Un mari n'a guère un rival qui ne soit de sa main, comme un présent qu'il a autrefois fait à sa femme. Il le loue devant elle de ses belles dents et de sa belle tête; il agrée ses soins; il reçoit ses visites; et, après ce qui lui vient de son crû, rien ne lui paroît de meilleur goût que le gibier et les truffes que cet ami lui envoie. Il donne à souper, et il dit aux conviés : Goûtez bien cela, il est de Léandre, et il ne me coûte qu'un grand merci.

Il y a telle femme qui anéantit ou qui enterre son mari, au point qu'il n'en est fait dans le monde aucune mention : vit-il encore? ne vit-il plus? on en doute. Il ne sert dans sa famille qu'à montrer l'exemple d'un silence timide et d'une parfaite soumission. Il ne lui est dû ni douaire ni conventions; mais à cela près, et qu'il n'accouche pas, il est la femme, et elle le mari. Ils

passent les mois entiers dans une même maison | étoit si contente. Elle ne parloit que d'Euphrosans le moindre danger de se rencontrer; il est sine, c'étoit le nom de cette fidèle amie; et tout vrai seulement qu'ils sont voisins. Monsieur paie Smyrne ne parloit que d'elle et d'Euphrosine: le rôtisseur et le cuisinier; et c'est toujours chez leur amitié passoit en proverbe. Émire avoit deux madame qu'on a soupé. Ils n'ont souvent rien frères qui étoient jeunes, d'une excellente beaude commun, ni le lit, ni la table, pas même le té, et dont toutes les femmes de la ville étoient nom ils vivent à la romaine ou à la grecque; éprises: et il est vrai qu'elle les aima toujours chacun a le sien; et ce n'est qu'avec le temps, comme une sœur aime ses frères. Il y eut un et après qu'on est initié au jargon d'une ville, prètre de Jupiter qui avoit accès dans la maison qu'on sait enfin que M. B... est publiquement, de son père, à qui elle plut, qui osa le lui dédepuis vingt années, le mari de madame L...'. clarer, et ne s'attira que du mépris; un vieillard, qui, se confiant en sa naissance et en ses grands biens, avoit eu la même audace, eut aussi la même aventure. Elle triomphoit cependant, et c'étoit jusqu'alors au milieu de ses frères, d'un prêtre et d'un vieillard, qu'elle se disoit insensible. Il sembla que le Ciel voulût l'exposer à de plus fortes épreuves, qui ne servirent néanmoins qu'à la rendre plus vaine, et qu'à l'affermir dans la réputation d'une fille que l'amour ne pouvoit toucher. De trois amants que ses charmes lui acquirent successivement, et dont elle ne craignit pas de voir toute la passion, le premier, dans un transport amoureux,

Les douleurs muettes et stupides sont hors d'usage on pleure, on récite, on répète, on est si touchée de la mort de son mari, qu'on n'en oublie pas la moindre circonstance.

Ne pourroit-on point découvrir l'art de se se perça le sein à ses pieds; le second, plein de faire aimer de sa femme? désespoir de n'être pas écouté, alla se faire tuer

Une femme insensible est celle qui n'a pas en- à la guerre de Crète; et le troisième mourut de core vu celui qu'elle doit aimer. langueur et d'insomnie. Celui qui les devoit venger n'avoit pas encore paru. Ce vieillard qui avoit été si malheureux dans ses amours s'en étoit guéri par des réflexions sur son âge et sur le caractère de la personne à qui il vouloit plaire: il desira de continuer de la voir; et elle le souffrit. Il lui amena un jour son fils, qui étoit jeune, d'une physionomie agréable, et qui avoit une taille fort noble. Elle le vit avec intérêt; et, comme il se tut beaucoup en la présence de son père, elle trouva qu'il n'avoit pas assez d'esprit, et desira qu'il en eût eu davantage. Il la vit seule, parla assez, et avec esprit; et comme il la regarda peu, et qu'il parla encore moins d'elle et de sa beauté, elle fut surprise et comme indignée qu'un homme si bien fait et si spirituel ne fût pas galant. Elle s'entretint de lui avec son amie, qui voulut le voir. Il n'eut des yeux que pour Euphrosine: il lui dit qu'elle étoit belle; et Émire, si indifférente, devenue jalouse, com

Bet L sont encore de ces lettres initiales d'une signification

vaine et incertaine, que La Bruyère employoit pour dépayser prit que Ctesiphon étoit persuadé de ce qu'il

ses lecteurs, et les dégoûter des applications.

disoit, et que non seulement il étoit galant, mais

Telle autre femme, à qui le désordre manque pour mortifier son mari, y revient par sa noblesse et ses alliances, par la riche dot qu'elle a apportée, par les charmes de sa beauté, par son mérite, par ce que quelques uns appellent vertu.

Il y a peu de femmes si parfaites qu'elles empêchent un mari de se repentir, du moins une fois le jour, d'avoir une femme, ou de trouver heureux celui qui n'en a point.

Il y avoit à Smyrne une très belle fille qu'on appeloit Émire, et qui étoit moins connue dans toute la ville par sa beauté que par la sévérité de ses mœurs, et sur-tout par l'indifférence qu'elle conservoit pour tous les hommes, qu'elle voyoit, disoit-elle, sans aucun péril, et sans d'autres dispositions que celles où elle se trouvoit pour ses amies ou pour ses frères. Elle ne croyoit pas la moindre partie de toutes les folies qu'on disoit que l'amour avoit fait faire dans tous les temps; et celles qu'elle avoit vues elle-même, elle ne les pouvoit comprendre : elle ne connoissoit que l'amitié. Une jeune et charmante personne, à qui elle devoit cette expérience, la lui avoit rendue si douce, qu'elle ne pensoit qu'à la faire durer, et n'imaginoit pas par quel autre sentiment elle pourroit jamais se refroidir sur celui de l'estime et de la confiance, dont elle

:

Tant que l'amour dure, il subsiste de soimème, et quelquefois par les choses qui semblent le devoir éteindre, par les caprices, par les rigueurs, par l'éloignement, par la jalousie. L'amitié, au contraire, a besoin de secours; elle périt faute de soins, de confiance, et de complaisance.

même qu'il étoit tendre. Elle se trouva depuis ce
temps moins libre avec son amie : elle desira de
les voir ensemble une seconde fois, pour être
plus éclaircie; et une seconde entrevue lui fit
voir encore plus qu'elle ne craignoit de voir, et
changea ses soupçons en certitude. Elle s'éloigne
d'Euphrosine, ne lui connoît plus le mérite qui
l'avoit charmée, perd le goût de sa conversa-
tion elle ne l'aime plus; et ce changement lui
fait sentir que l'amour dans son cœur a pris la
place de l'amitié. Ctesiphon et Euphrosine se
voient tous les jours, et s'aiment, songent à s'é-
pouser, s'épousent. La nouvelle s'en répand par
toute la ville; et l'on publie que deux personnes
enfin ont eu cette joie si rare de se marier à ce
qu'ils aimoient. Émire l'apprend, et s'en déses-
père. Elle ressent tout son amour; elle recher-
che Euphrosine pour le seul plaisir de revoir
Ctesiphon; mais ce jeune mariest encore l'amant
de sa femme, et trouve une maîtresse dans une
nouvelle épouse; il ne voit dans Émire que l'a-
mie d'une personne qui lui est chère. Cette fille
infortunée perd le sommeil, et ne veut plus man-mitié n'a encore rien fait pour l'amour.
ger: elle s'affoiblit; son esprit s'égare; elle prend
son frère pour Ctesiphon, et elle lui parle comme
à un amant. Elle se détrompe, rougit de son
égarement elle retombe bientôt dans de plus
grands, et n'en rougit plus; elle ne les connoît
plus. Alors elle craint les hommes, mais trop
tard; c'est sa folie : elle a des intervalles où sa
raison lui revient, et où elle gémit de la retrou-
ver. La jeunesse de Smyrne, qui l'a vue si fière
et si insensible, trouve que les dieux l'ont trop
punie.

Il est plus ordinaire de voir un amour extrême qu'une parfaite amitié.

L'amour et l'amitié s'excluent l'un l'autre. Celui qui a eu l'expérience d'un grand amour néglige l'amitié; et celui qui est épuisé sur l'a

L'amour commence par l'amour, et l'on ne sauroit passer de la plus forte amitié qu'à un amour foible.

CHAPITRE IV.

Du cœur.

Il y a un goût dans la pure amitié où ne peuvent atteindre ceux qui sont nés médiocres.

L'amitié peut subsister entre des gens de différents sexes, exempte même de toute grossièreté. Une femme cependant regarde toujours un homme comme un homme; et réciproquement, un homme regarde une femme comme une femme. Cette liaison n'est ni passion ni amitié pure; elle fait une classe à part.

L'amour naît brusquement, sans autre réflexion, par tempérament, ou par foiblesse

:

un trait de beauté nous fixe, nous détermine. L'amitié, au contraire, se forme peu à peu, avec le temps, par la pratique, par un long commerce. Combien d'esprit, de bonté de cœur, d'attachement, de services et de complaisance, dans les amis, pour faire en plusieurs années bien moins que ne fait quelquefois en un moment un beau visage ou une belle main!

Le temps, qui fortifie les amitiés, affoiblit l'amour.

Rien ne ressemble mieux à une vive amitié que ces liaisons que l'intérêt de notre amour nous fait cultiver.

L'on n'aime bien qu'une seule fois, c'est la première. Les amours qui suivent sont moins involontaires.

L'amour qui naît subitement est le plus long à guérir.

L'amour qui croit peu à peu, et par degrés, ressemble trop à l'amitié pour être une passion violente.

Celui qui aime assez pour vouloir aimer un million de fois plus qu'il ne fait, ne cède en amour qu'à celui qui aime plus qu'il ne voudroit.

Si j'accorde que dans la violence d'une grande passion on peut aimer quelqu'un plus que soimême, à qui ferai-je plus de plaisir, ou à ceux qui aiment, ou à ceux qui sont aimés?

Les hommes souvent veulent aimer, et ne sauroient y réussir : ils cherchent leur défaite sans pouvoir la rencontrer; et, si j'ose ainsi parler, ils sont contraints de demeurer libres.

Ceux qui s'aiment d'abord avec la plus vio- | sentiment juste, naturel, fondé en raison et sur lente passion contribuent bientôt chacun de leur l'expérience, mériteroit un autre nom. part à s'aimer moins, et ensuite à ne s'aimer plus. Qui d'un homme ou d'une femme met davantage du sien dans cette rupture? il n'est pas aisé de le décider. Les femmes accusent les hommes d'être volages; et les hommes disent qu'elles sont légères.

Quelque délicat que l'on soit en amour, on pardonne plus de fautes que dans l'amitié.

C'est une vengeance douce à celui qui aime beaucoup, de faire, par tout son procédé, d'une personne ingrate une très ingrate.

Il est triste d'aimer sans une grande fortune, et qui nous donne les moyens de combler ce que l'on aime, et le rendre si heureux qu'il n'ait plus de souhaits à faire.

S'il se trouve une femme pour qui l'on ait eu une grande passion, et qui ait été indifférente, quelque important service qu'elle nous rende dans la suite de notre vie, l'on court un grand risque d'être ingrat.

Une grande reconnoissance emporte avec soi beaucoup de goût et d'amitié pour la personne qui nous oblige.

Être avec des gens qu'on aime, cela suffit : rêver, leur parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des choses plus indifférentes, mais auprès d'eux, tout est égal.

Il n'y a pas si loin de la haine à l'amitié que de l'antipathie.

L'on ne voit dans l'amitié que les défauts qui peuvent nuire à nos amis; l'on ne voit en amour de défauts dans ce qu'on aime que ceux dont on souffre soi-même.

Le tempérament a beaucoup de part à la jalousie, et elle ne suppose pas toujours une grande passion : c'est cependant un paradoxe qu'un violent amour sans délicatesse.

Il arrive souvent que l'on souffre tout seul de la délicatesse : l'on souffre de la jalousie, et l'on fait souffrir les autres.

Celles qui ne nous ménagent sur rien, et ne nous épargnent nulles occasions de jalousie, ne mériteroient de nous aucune jalousie, si l'on se régloit plus par leurs sentiments et leur conduite que par son cœur.

Les froideurs et les relâchements dans l'amitié ont leurs causes : en amour il n'y a guère d'autre raison de ne s'aimer plus que de s'être trop aimés.

Il n'y a qu'un premier dépit en amour, comme la première faute dans l'amitié, dont on puisse faire un bon usage.

Il semble que, s'il y a un soupçon injuste, bizarre, et sans fondement, qu'on ait une fois appelé jalousie, cette autre jalousie qui est un

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Il semble qu'il est moins rare de passer de jours aimer. l'antipathie à l'amour qu'à l'amitié.

L'on confie son secret dans l'amitié; mais il échappe dans l'amour.

L'on peut avoir la confiance de quelqu'un sans en avoir le cœur : celui qui a le cœur n'a pas besoin de révélation ou de confiance; tout lui est ouvert.

Cesser d'aimer, preuve sensible que l'homme est borné, et que le cœur a ses limites.

C'est foiblesse que d'aimer; c'est souvent une autre foiblesse que de guérir.

On guérit comme on se console; on n'a pas dans le cœur de quoi toujours pleurer, et tou

Il devroit y avoir dans le cœur des sources inépuisables de douleur pour de certaines pertes. Ce n'est guère par vertu ou par force d'esprit que l'on sort d'une grande affliction : l'on pleure amèrement, et l'on est sensiblement touché; mais l'on est ensuite si foible, ou si léger, que l'on se console.

Si une laide se fait aimer, ce ne peut être qu'éperdument; car il faut que ce soit ou par une étrange foiblesse de son amant, ou par de plus secrets et de plus invincibles charmes que ceux de la beauté.

L'on est encore long-temps à se voir par habitude, et à se dire de bouche que l'on s'aime, après que les manières disent qu'on ne s'aime plus.

Vouloir oublier quelqu'un c'est y penser. L'a

mour a cela de commun avec les scrupules, qu'il s'aigrit par les réflexions et les retours que l'on fait pour s'en délivrer. Il faut, s'il se peut, ne point songer à sa passion, pour l'affoiblir.

L'on veut faire tout le bonheur, ou, si cela ne se peut ainsi, tout le malheur de ce qu'on aime. Regretter ce que l'on aime est un bien, en comparaison de vivre avec ce que l'on hait.

Quelque désintéressement qu'on ait à l'égard de ceux qu'on aime, il faut quelquefois se contraindre pour eux et avoir la générosité de recevoir.

Celui-là peut prendre, qui goûte un plaisir aussi délicat à recevoir que son ami en sent à lui donner.

coup qu'à donner à propos.

S'il est vrai que la pitié ou la compassion soit un retour vers nous-mêmes, qui nous met en la place des malheureux, pourquoi tirent-ils de nous si peu de soulagement dans leurs misères?

Il vaut mieux s'exposer à l'ingratitude que de manquer aux misérables.

Donner c'est agir; ce n'est pas souffrir de ses bienfaits, ni céder à l'importunité ou à la nécessité de ceux qui nous demandent.

|

Si l'on a donné à ceux que l'on aimoit, quelchose qu'il arrive, il n'y a plus d'occasions où l'on doive songer à ses bienfaits.

que

On a dit en latin qu'il coûte moins cher de hair que d'aimer ; ou, si l'on veut, que l'amitié est plus à charge que la haine. Il est vrai qu'on est dispensé de donner à ses ennemis; mais ne coûte-t-il rien de s'en venger? ou, s'il est doux et naturel de faire du mal à ce que l'on hait, l'est-il moins de faire du bien à ce qu'on aime? ne seroit-il pas dur et pénible de ne leur en point faire?

Il y a du plaisir à rencontrer les yeux de ce- d'une si exacte probité, que, venant à cesser de lui à qui l'on vient de donner. l'être, ils ne veuillent pas abuser de notre confiance, ni se faire craindre comme nos ennemis.

Je ne sais si un bienfait qui tombe sur un ingrat, et ainsi sur un indigne, ne change pas de nom, et s'il méritoit plus de reconnoissance.

Il est doux de voir ses amis par goût et par estime; il est pénible de les cultiver par inté

La libéralité consiste moins à donner beau-rêt, c'est solliciter.

L'expérience confirme que la mollesse ou l'indulgence pour soi et la dureté pour les autres n'est qu'un seul et même vice.

Quelque désagrément qu'on ait à se trouver chargé d'un indigent, l'on goûte à peine les nouveaux avantages qui le tirent enfin de notre sujétion: de même, la joie que l'on reçoit de l'élévation de son ami est un peu balancée par la petite peine qu'on a de le voir au-dessus de nous, ou s'égaler à nous. Ainsi l'on s'accorde mal avec soi-même; car l'on veut des dépendants, et qu'il n'en coûte rien : l'on veut aussi le bien de ses amis ; et, s'il arrive, ce n'est pas toujours par s'en réjouir que l'on commence.

On convie; on invite; on offre sa maison, sa table, son bien, et ses services : rien ne coûte qu'à tenir parole.

Un homme dur au travail et à la peine, inexorable à soi-même, n'est indulgent aux autres que par un excès de raison.

C'est assez pour soi d'un fidèle ami; c'est même beaucoup de l'avoir rencontré : on ne peut en avoir trop pour le service des autres.

Quand on a assez fait auprès de certaines personnes pour avoir dû se les acquérir, si cela ne réussit point, il y a encore une ressource, qui est de ne plus rien faire.

Vivre avec ses ennemis comme s'ils devoient un jour être nos amis, et vivre avec nos amis comme s'ils pouvoient devenir nos ennemis, n'est ni selon la nature de la haine, ni selon les règles de l'amitié : ce n'est point une maxime morale, mais politique.

On ne doit pas se faire des ennemis de ceux qui, mieux connus, pourroient avoir rang entre nos amis. On doit faire choix d'amis si sûrs et

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