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d'un goût sûr et d'une critique judicieuse.

Il n'est pas si aisé de se faire un nom par un | peu d'hommes dont l'esprit soit accompagné ouvrage parfait, que d'en faire valoir un médiocre par le nom qu'on s'est déja acquis.

Un ouvrage satirique ou qui contient des faits, qui est donné en feuilles sous le manteau, aux conditions d'être rendu de mème, s'il est médiocre, passe pour merveilleux : l'impression est l'écueil.

Si l'on ôte de beaucoup d'ouvrages de morale l'avertissement au lecteur, l'épître dédicatoire, la préface, la table, les approbations, il reste à peine assez de pages pour mériter le nom de livre.

Il y a de certaines choses dont la médiocrité est insupportable: la poésie, la musique, la peinture, le discours public.

Quel supplice que celui d'entendre déclamer pompeusement un froid discours, ou prononcer de médiocres vers avec toute l'emphase d'un mauvais poëte!

Certains poëtes sont sujets dans le dramatique à de longues suites de vers pompeux, qui semblent forts, élevés, et remplis de grands sentiments. Le peuple écoute avidement, les yeux élevés et la bouche ouverte, croit que cela lui plaît, et à mesure qu'il y comprend moins, l'admire davantage; il n'a pas le temps de respirer, il a à peine celui de se récrier et d'applaudir. J'ai cru autrefois, et dans ma première jeunesse, que ces endroits étoient clairs et intelligibles pour les acteurs, pour le parterre et l'amphithéâtre ; que leurs auteurs s'entendoient eux-mêmes; et qu'avec toute l'attention que je donnois à leur récit, j'avois tort de n'y rien entendre: je suis détrompé.

L'on n'a guère vu, jusqu'à présent, un chefd'œuvre d'esprit qui soit l'ouvrage de plusieurs. Homère a fait l'Iliade; Virgile, l'Énéide; TiteLive, ses Décades; et l'Orateur romain, ses Oraisons.

Il y a dans l'art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature celui qui le sent et qui l'aime a le goût parfait; celui qui ne le sent pas, et qui aime en-deçà ou audelà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l'on dispute des goûts avec fondement.

Il y a beaucoup plus de vivacité que de goût parmi les hommes; ou, pour mieux dire, il y a

La vie des héros a enrichi l'histoire, et l'histoire a embelli les actions des héros : ainsi je ne sais qui sont plus redevables, ou ceux qui ont écrit l'histoire à ceux qui leur en ont fourni une si noble matière, ou ces grands hommes à leurs historiens.

Amas d'épithètes, mauvaises louanges: ce sont les faits qui louent, et la manière de les raconter.

Tout l'esprit d'un auteur consiste à bien définir et à bien peindre. MOISE, HOMÈRE, PLATON, VIRGILE, HORACE, ne sont au-dessus des autres écrivains que par leurs expressions et leurs images il faût exprimer le vrai, pour écrire naturellement, fortement, délicatement. On a dû faire du style ce qu'on a fait de l'architecture; on a entièrement abandonné l'ordre gothique que la barbarie avoit introduit pour les palais et pour les temples; on a rappelé le dorique, l'ionique, et le corinthien: ce qu'on ne voyoit plus que dans les ruines de l'ancienne Rome et de la vieille Grèce, devenu moderne, éclate dans nos portiques et dans nos péristyles. De même on ne sauroit en écrivant rencontrer le parfait, et, s'il se peut, surpasser les anciens, que par leur imitation.

Combien de siècles se sont écoulés avant que les hommes dans les sciences et dans les arts aient pu revenir au goût des anciens, et reprendre enfin le simple et le naturel!

On se nourrit des anciens et des habiles modernes; on les presse, on en tire le plus que l'on peut, on en renfle ses ouvrages; et quand enfin l'on est auteur, et que l'on croit marcher tout seul, on s'élève contre eux, on les maltraite, semblable à ces enfants drus et forts d'un bon lait qu'ils ont sucé, qui battent leur nourrice.

Un auteur moderne prouve ordinairement que les anciens nous sont inférieurs en deux manières, par raison et par exemple: il tire la raison de son goût particulier, et l'exemple de ses ouvrages.

Quand même on ne le considère que comme un homme qui a écrit. Note de La Bruyère.

de l'Académie Françoise, qui venoit de faire paroître son PARALLÈLe des anciens et des modernes.

2 Il est probable que La Bruyère désigne ici Charles Perrault,

Il avoue que les anciens, quelque inégaux et peu corrects qu'ils soient, ont de beaux traits, il les cite; et ils sont si beaux qu'ils font lire sa critique.

Quelques habiles' prononcent en faveur des anciens contre les modernes ; mais ils sont suspects, et semblent juger en leur propre cause, tant leurs ouvrages sont faits sur le goût de l'antiquité on les récuse.

L'on devroit aimer à lire ses ouvrages à ceux qui en savent assez pour les corriger et les esti

mer.

davantage à un auteur; je le plains même d'avoir écouté de belles choses qu'il n'a point faites.

Ceux qui par leur condition se trouvent exempts de la jalousie d'auteur, ont ou des passions, ou des besoins qui les distraient et les rendent froids sur les conceptions d'autrui : personne presque, par la disposition de son esprit, de son cœur et de sa fortune, n'est en état de se livrer au plaisir que donne la perfection d'un ouvrage.

Le plaisir de la critique nous ôte celui d'être

Ne vouloir être ni conseillé ni corrigé sur son vivement touchés de très belles choses. ouvrage, est un pédantisme.

Il faut qu'un auteur reçoive avec une égale modestie les éloges et la critique que l'on fait de

ses ouvrages.

Bien des gens vont jusqu'à sentir le mérite d'un manuscrit qu'on leur lit, qui ne peuvent se déclarer en sa faveur, jusqu'à ce qu'ils aient vu le cours qu'il aura dans le monde par l'impression, ou quel sera son sort parmi les habiles : ils ne hasardent point leurs suffrages, et ils veulent être portés par la foule et entraînés par la multitude. Ils disent alors qu'ils ont les premiers approuvé cet ouvrage, et que le public est de leur avis.

Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la bonne; on ne la rencontre pas toujours en parlant ou en écrivant. Il est vrai néanmoins qu'elle existe, que tout ce qui ne l'est point est foible, et ne satisfait point un homme d'esprit qui veut se faire entendre. Un bon auteur, et qui écrit avec soin, éprouve souvent que l'expression qu'il cherchoit depuis long-temps sans la connoître, et qu'il a enfin trouvée, est celle qui étoit la plus simple, la plus naturelle, et qui sembloit devoir se pré-mains; c'est un premier ouvrage, l'auteur ne senter d'abord et sans effort.

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La même justesse d'esprit qui nous fait écrire de bonnes choses, nous fait appréhender qu'elles ne le soient pas assez pour mériter d'être lues. Un esprit médiocre croit écrire divinement: un bon esprit croit écrire raisonnablement.

L'on m'a engagé, dit Ariste, à lire mes ouvrages à Zoïle, je l'ai fait; ils l'ont saisi d'abord, et, avant qu'il ait eu le loisir de les trouver mauvais, il les a loués modestement en ma présence, et il ne les a pas loués depuis devant personne; je l'excuse, et je n'en demande

Boileau et Racine.

pas

Ces gens laissent échapper les plus belles occasions de nous convaincre qu'ils ont de la capacité et des lumières, qu'ils savent juger trouver bon ce qui est bon, et meilleur ce qui est meilleur. Un bel ouvrage tombe entre leurs

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s'est pas encore fait un grand nom, il n'a rien qui prévienne en sa faveur : il ne s'agit point de faire sa cour ou de flatter les grands en applaudissant à ses écrits. On ne vous demande pas, Zélotes, de vous récrier: « C'est un chefd'œuvre de l'esprit; l'humanité ne va pas plus loin; c'est jusqu'où la parole humaine peut < s'élever on ne jugera à l'avenir du goût de quelqu'un qu'à proportion qu'il en aura pour <cette pièce! phrases outrées, dégoûtantes, qui sentent la pension ou l'abbaye; nuisibles à cela même qui est louable, et qu'on veut louer. Que ne disiez-vous seulement : Voilà un bon livre? Vous le dites, il est vrai, avec toute la France, avec les étrangers comme avec vos compatriotes, quand il est imprimé par toute l'Europe, et qu'il est traduit en plusieurs langues : il n'est plus temps.

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Quelques uns de ceux qui ont lu un ouvrage en rapportent certains traits dont ils n'ont pas

compris le sens, et qu'ils altèrent encore par | fondit tout entier au milieu de la critique, si son auteur vouloit en croire tous les censeurs, qui ôtent chacun l'endroit qui leur plaît le moins.

tout ce qu'ils y mettent du leur; et ces traits ainsi corrompus et défigurés, qui ne sont autre chose que leurs propres pensées et leurs expressions, ils les exposent à la censure, soutiennent qu'ils sont mauvais, et tout le monde convient qu'ils sont mauvais; mais l'endroit de l'ouvrage que ces critiques croient citer, et qu'en effet ils ne citent point, n'en est pas pire. Que dites-vous du livre d'Hermodore? Qu'il est mauvais, répond Anthime; qu'il est mauvais; qu'il est tel, continue-t-il, que ce n'est pas un livre, ou qui mérite du moins que le monde en parle. Mais l'avez-vous lu? Non, dit Anthime. Que n'ajoute-t-il que Fulvie et Mélanie l'ont condamné sans l'avoir lu, et qu'il est ami de Fulvie et de Mélanie?

Arsène, du plus haut de son esprit, contemple les hommes; et, dans l'éloignement d'où il les voit, il est comme effrayé de leur petitesse. Loué, exalté, et porté jusqu'aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s'admirer réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu'il a, posséder tout celui qu'on peut avoir, et qu'il n'aura jamais : occupé et rempli de ses sublimes idées, il se donne à peine le loisir de prononcer quelques oracles: élevé par son caractère au-dessus des jugements humains, il abandonne aux ames communes le mérite d'une vie suivie et uniforme; et il n'est responsable de ses inconstances qu'à ce cercle d'amis qui les idolâtrent. Eux seuls savent juger, savent penser, savent écrire, doivent écrire. Il n'y a point d'autre ouvrage d'esprit si bien reçu dans le monde, et si universellement goûté des honnêtes gens, je ne dis pas qu'il veuille approuver, mais qu'il daigne lire, incapable d'être corrigé par cette peinture, qu'il ne lira point.

Théocrine sait des choses assez inutiles; il a des sentiments toujours singuliers, il est moins profond que méthodique, il n'exerce que sa mémoire; il est abstrait, dédaigneux, et il semble toujours rire en lui-même de ceux qu'il croit ne le valoir pas. Le hasard fait que je lui lis mon ouvrage, il l'écoute. Est-il lu, il me parle du sien. Et du vôtre, me direz-vous, qu'en pense-t-il? Je vous l'ai déja dit, il me parle du sien.

C'est une expérience faite, que, s'il se trouve dix personnes qui effacent d'un livre une expression ou un sentiment, l'on en fournit aisément un pareil nombre qui les réclame; ceux-ci s'écrient : Pourquoi supprimer cette pensée? elle est neuve, elle est belle, et le tour en est admirable; et ceux-là affirment, au contraire, ou qu'ils auroient négligé cette pensée, ou qu'ils lui auroient donné un autre tour. Il y a un terme, disent les uns, dans votre ouvrage, qui est rencontré, et qui peint la chose au naturel; il y a un mot, disent les autres, qui est hasardé, et qui d'ailleurs ne signifie pas assez ce que vous voulez peut-être faire entendre: et c'est du même trait et du même mot que tous ces gens s'expliquent ainsi; et tous sont connoisseurs et passent pour tels. Quel autre parti pour un auteur, que d'oser pour lors être de l'avis de ceux qui l'approuvent?

Un auteur sérieux n'est pas obligé de remplir son esprit de toutes les extravagances, de toutes les saletés, de tous les mauvais mots que l'on peut dire, et de toutes les ineptes applications que l'on peut faire au sujet de quelques endroits de son ouvrage, et encore moins de les supprimer. Il est convaincu que, quelque scrupuleuse exactitude que l'on ait dans sa manière d'écrire, la raillerie froide des mauvais plaisants est un mal inévitable, et que les meilleures choses ne leur servent souvent qu'à leur faire rencontrer une sottise.

Si certains esprits vifs et décisifs étoient crus, ce seroit encore trop que les termes pour exprimer les sentiments; il faudroit leur parler par signes, ou sans parler se faire entendre. Quelque soin qu'on apporte à être serré et concis, et quelque réputation qu'on ait d'être tel, ils vous trouvent diffus. Il faut leur laisser tout à suppléer, et n'écrire que pour eux seuls; ils conçoivent une période par le mot qui la commence, et par une période tout un chapitre : leur avezvous lu un seul endroit de l'ouvrage, c'est assez; ils sont dans le fait et entendent l'ouvrage. Un tissu d'énigmes leur seroit une lecture divertissante; et c'est une perte pour eux que ce

Il n'y a point d'ouvrage si accompli qui ne style estropié qui les enlève soit rare, et que

peu d'écrivains s'en accommodent. Les comparaisons tirées d'un fleuve dont le cours, quoique rapide, est égal et uniforme, ou d'un embrasement qui, poussé par les vents, s'épand au loin dans une forêt où il consume les chènes et les pins, ne leur fournissent aucune idée de l'éloquence. Montrez-leur un feu grégeois qui les surprenne, ou un éclair qui les éblouisse, ils vous quittent du bon et du beau.

Quelle prodigieuse distance entre un bel ouvrage et un ouvrage parfait ou régulier! Je ne sais s'il s'en est encore trouvé de ce dernier genre. Il est peut-être moins difficile aux rares génies de rencontrer le grand et le sublime, que d'éviter toutes sortes de fautes. Le Cid n'a eu qu'une voix pour lui à sa naissance, qui a été celle de l'admiration : il s'est vu plus fort que l'autorité et la politique, qui ont tenté vainement de le détruire; il a réuni en sa faveur des esprits toujours partagés d'opinions et de sentiments, les grands et le peuple : ils s'accordent tous à le savoir de mémoire, et à prévenir au théâtre les acteurs qui le récitent. Le Cid enfin est l'un des plus beaux poëmes que l'on puisse faire; et l'une des meilleures critiques qui aient été faites sur aucun sujet, est celle du Cid. Quand une lecture vous élève l'esprit, et qu'elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l'ouvrage; il est bon, et fait de main d'ouvrier.

Capys, qui s'érige en juge du beau style, et qui croit écrire comme BOUHOURS et RABUTIN, résiste à la voix du peuple, et dit tout seul que Damis n'est pas un bon auteur. Damis cède à la multitude, et dit ingénument, avec le public, que Capys est un froid écrivain.

Le devoir du nouvelliste est de dire : Il y a un tel livre qui court, et qui est imprimé chez Cramoisy, en tel caractère ; il est bien relié, et en beau papier; il se vend tant. Il doit savoir jusqu'à l'enseigne du libraire qui le débite: sa folie est d'en vouloir faire la critique.

Le sublime du nouvelliste est le raisonnement creux sur la politique.

Le nouvelliste se couche le soir tranquillement sur une nouvelle qui se corrompt la nuit, et qu'il est obligé d'abandonner le matin à son réveil.

Le philosophe consume sa vie à observer les hommes, et il use ses esprits à en démêler les vices et le ridicule : s'il donne quelque tour à ses pensées, c'est moins par une vanité d'auteur, que pour mettre une vérité qu'il a trouvée dans tout le jour nécessaire pour faire l'impression qui doit servir à son dessein. Quelques lecteurs croient néanmoins le payer avec usure, s'ils disent magistralement qu'ils ont lu son livre, et qu'il y a de l'esprit ; mais il leur renvoie tous leurs éloges qu'il n'a pas cherchés par son travail et par ses veilles. Il porte plus haut ses projets, et agit pour une fin plus relevée : il demande des hommes un plus grand et un plus rare succès que les louanges, et même que les récompenses, qui est de les rendre meilleurs.

Les sots lisent un livre, et ne l'entendent point; les esprits médiocres croient l'entendre parfaitement; les grands esprits ne l'entendent quelquefois pas tout entier; ils trouvent obscur ce qui est obscur, comme ils trouvent clair ce qui est clair. Les beaux esprits veulent trouver obscur ce qui ne l'est point, et ne pas entendre ce qui est fort intelligible.

Un auteur cherche vainement à se faire admirer par son ouvrage. Les sots admirent quelquefois, mais ce sont des sots. Les personnes d'esprit ont en eux les semences de toutes les vérités et de tous les sentiments; rien ne leur est nouveau; ils admirent peu, ils approuvent.

Je ne sais si l'on pourra jamais mettre dans des lettres plus d'esprit, plus de tour, plus d'agrément, et plus de style, que l'on en voit dans celles de BALZAC et de VOITURE. Elles sont vides de sentiments qui n'ont régné que depuis leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire. Elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche : elles sont heureuses dans le choix des termes, qu'elles placent si juste, que, tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, et semblent être faits seulement pour l'usage où elles les mettent. Il n'appartient qu'à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée qui est

délicate. Elles ont un enchaînement de discours | n'aient su faire de Ronsard, d'ailleurs plein de

inimitable qui se suit naturellement, et qui n'est lié que par le sens. Si les femmes étoient toujours correctes, j'oserois dire que les lettres de quelques unes d'entre elles seroient peutêtre ce que nous avons dans notre langue de

mieux écrit 1.

Il n'a manqué à TÉRENCE que d'être moins froid: quelle pureté, quelle exactitude, quelle politesse, quelle élégance, quels caractères! Il n'a manqué à MOLIÈRE que d'éviter le jargon et le barbarisme, et d'écrire purement: quel feu, quelle naïveté, quelle source de la bonne plaisanterie, quelle imitation des mœurs, quelles images, et quel fléau du ridicule! Mais quel homme on auroit pu faire de ces deux comiques!

verve et d'enthousiasme, un plus grand poëte que Ronsard et que Marot, et, au contraire, que Belleau, Jodelle et Saint-Gelais, aient été si tôt suivis d'un RACAN et d'un Malherbe; et que notre langue, à peine corrompue, se soit vue reparée.

MAROT et RABELAIS sont inexcusables d'avoir semé l'ordure dans leurs écrits: tous deux avoient assez de génie et de naturel pour pouvoir s'en passer, même à l'égard de ceux qui cherchent moins à admirer qu'à rire dans un auteur. Rabelais surtout est incompréhensible. Son livre est une énigme, quoi qu'on veuille dire, inexplicable; c'est une chimère, c'est le visage d'une belle femme avec des pieds et une queue de serpent, ou de quelque autre bête J'ai lu Malherbe et THEOPHILE. Ils ont tous plus difforme : c'est un monstrueux assemblage deux connu la nature, avec cette différence, d'une morale fine et ingénieuse et d'une sale que le premier, d'un style plein et uniforme, corruption. Où il est mauvais, il passe bien montre tout à-la-fois ce qu'elle a de plus beau loin au-delà du pire, c'est le charme de la caet de plus noble, de plus naïf et de plus sim-naille; où il est bon, il va jusqu'à l'exquis et à ple; il en fait la peinture ou l'histoire. L'autre, l'excellent, il peut être le mets des plus désans choix, sans exactitude, d'une plume libre et inégale, tantôt charge ses descriptions, s'appesantit sur les détails; il fait une anatomie: tantôt il feint, il exagère, il passe le vrai dans la nature, il en fait le roman.

RONSARD et BALZAC ont eu, chacun dans leur genre, assez de bon et de mauvais pour former après eux de très grands hommes en vers et en prose.

MAROT, par son tour et par son style, semble avoir écrit depuis RONSARD : il n'y a guère entre ce premier et nous que la différence de quelques mots.

RONSARD et les auteurs ses contemporains ont plus nui au style qu'ils ne lui ont servi. Ils l'ont retardé dans le chemin de la perfection; ils l'ont exposé à la manquer pour toujours, et à n'y plus revenir. Il est étonnant que les ouvrages de MAROT, si naturels et si faciles,

Tout ce passage sembleroit avoir été inspiré par la lecture des Lettres de madame de Sévigné; et il en seroit le plus bel éloge. Le recueil n'en fut cependant publié que long-temps après la mort de La Bruyère; mais peut-être en avoit-il eu connoissance pendant qu'elles circuloient manuscrites. Au reste, madame de Sévigné n'étoit pas la seule femme de cette époque qui écrivit des lettres avec un abandon plein de grâce et une piquante originalité de style.

licats.

Deux écrivains dans leurs ouvrages ont blâmé MONTAIGNE, que je ne crois pas, aussi bien qu'eux, exempt de toute sorte de blâme : il paroît que tous deux ne l'ont estimé en nulle manière. L'un ne pensoit pas assez pour goûter un auteur qui pense beaucoup; l'autre pense trop subtilement pour s'accommoder de pen-. sées qui sont naturelles.

Un style grave, sérieux, scrupuleux, va fort loin : on lit AMYOT et COEFFETEAU : lequel lit-on de leurs contemporains? BALZAC, pour les termes et pour l'expression, est moins vieux que VOITURE: mais si ce dernier, pour le tour, pour l'esprit et pour le naturel, n'est pas moderne, et ne ressemble en rien à nos écrivains, c'est qu'il leur a été plus facile de le négliger que de l'imiter; et que le petit nombre de ceux qui courent après lui ne peut l'atteindre.

Le H. G. est immédiatement au-dessous

Nicole et le P. Malebranche. Le premier est celui qui ne pense pas assez, et le second celui qui pense trop subtilement. * LE MERCURE GALANT, par de Visé. C'est par ces initiales H. G., dont la première est fausse, qu'il est désigné dans toutes les éditions des CARACTÈRES, faites du vivant de La Bruyère. Il dit lui-même, dans la préface de son discours de réception à l'Académie Françoise, qu'il a poussé le soin d'éviter les applications

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