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rare que l'esprit de discernement, on n'auroit pas trouvé cette réflexion digne d'être écrite '.

C'est par des tournures semblables qu'il sait attacher l'esprit sur des observations qui n'ont rien de neuf pour le fond, mais qui deviennent piquantes par un certain air de naïveté sous lequel il sait déguiser la satire.

« Il n'est pas absolument impossible qu'une per<< sonne qui se trouve dans une grande faveur perde « son procès. >>

« C'est une grande simplicité que d'apporter à la « cour la moindre roture, et de n'y être pas gentil<< homme. >>

Il emploie la même finesse de tour dans le portrait d'un fat, lorsqu'il dit : « Iphis met du rouge, mais << rarement; il n'en fait pas habitude. »

Il seroit difficile de n'être pas vivement frappé du tour aussi fin qu'énergique qu'il donne à la pensée suivante, malheureusement aussi vraie que profonde: «Un grand dit de Timagène, votre ami, « qu'il est un sot; et il se trompe. Je ne demande pas « que vous répliquiez qu'il est homme d'esprit : osez a seulement penser qu'il n'est pas un sot. »

C'est dans les portraits sur-tout que La Bruyère a eu besoin de toutes les ressources de son talent. Théophraste, que La Bruyère a traduit, n'emploie pour peindre ses Caractères que la forme d'énumération ou de description. En admirant beaucoup l'écrivain grec, La Bruyère n'a eu garde de l'imiter; ou, si quelquefois il procède comme lui par énumération, il sait ranimer cette forme languissante par un art dont on ne trouve ailleurs aucun exemple. Relisez les portraits du riche et du pauvre : « Giton a le teint frais, le visage plein, la démarche a ferme, etc. Phédon a les yeux creux, le teint « échauffé, etc.;» et voyez comment ces mots, il est riche, il est pauvre, rejetés à la fin des deux portraits, frappent comme deux coups de lumière, qui, en se réfléchissant sur les traits qui précèdent, y répandent un nouveau jour, et leur donnent un effet extraordinaire.

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Quelle énergie dans le choix des traits dont il peint ce vieillard presque mourant qui a la manie de planter, de bâtir, de faire des projets pour un avenir qu'il ne verra point! « Il fait bâtir une maison de « pierre de taille, raffermie dans les encoignures « par des mains de fer, et dont il assure, en tous « sant, et avec une voix frêle et débile, qu'on ne

La Harpe dit, à propos de cette réflexion de La Bruyère : Quel rapprochement bizarre et frivole, pour dire que le discernement est rare! et puis les diamants et les perles, sont-ce « des choses si rares? » Je ne puis m'empêcher d'être ici du sentiment de La Harpe contre l'ingénieux auteur de la notice. Voyez le chapitre VI.

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« verra jamais la fin. Il se promène tous les jours << dans ses ateliers sur les bras d'un valet qui le sou<< lage; il montre à ses amis ce qu'il a fait, et leur <«< dit ce qu'il a dessein de faire. Ce n'est pas pour << ses enfants qu'il bâtit, car il n'en a point; ni pour << ses héritiers, personnes viles et qui sont brouil«<lées avec lui: c'est pour lui seul; et il mourra << demain. >>

Ailleurs il nous donne le portrait d'une femme aimable, comme un fragment imparfait trouvé par hasard, et ce portrait est charmant; je ne puis me refuser au plaisir d'en citer un passage : « Loin de « s'appliquer à vous contredire avec esprit, ARTÉ« NICE s'approprie vos sentiments: elle les croit << siens, elles les étend, elle les embellit : vous êtes << content de vous d'avoir pensé si bien, et d'avoir << mieux dit encore que vous n'aviez cru. Elle est « toujours au-dessus de la vanité, soit qu'elle parle, << soit qu'elle écrive: elle oublie les traits où il faut << des raisons; elle a déja compris que la simplicité << peut être éloquente. »

Comment donnera-t-il plus de saillie au ridicule d'une femme du monde qui ne s'aperçoit pas qu'elle vieillit, et qui s'étonne d'éprouver la foiblesse et les incommodités qu'amènent l'âge et une vie trop molle? Il en fait un apologue. C'est IRÈNE qui va au temple d'Epidaure consulter Esculape. D'abord elle se plaint qu'elle est fatiguée : « L'oracle prononce << que c'est par la longueur du chemin qu'elle vient « de faire. Elle déclare que le vin lui est nuisible; « l'oracle lui dit de boire de l'eau. Ma vue s'affoi« blit, dit Irène. Prenez des lunettes, dit Esculape. « Je m'affoiblis moi-même, continue-t-elle; je ne << suis ni si forte, ni si saine que j'ai été. C'est, dit << le dieu, que vous vieillissez. Mais quel moyen de << guérir de cette langueur? Le plus court, Irène, « c'est de mourir comme ont fait votre mère et votre << aïeule.» A ce dialogue, d'une tournure naïve et originale, substituez une simple description à la manière de Théophraste, et vous verrez comment la même pensée peut paroître commune ou piquante, suivant que l'esprit ou l'imagination sont plus ou moins intéressés par les idées et les sentiments accessoires dont l'écrivain a su l'embellir.

La Bruyère emploie souvent cette forme d'apologue, et presque toujours avec autant d'esprit que de goût. Il y a peu de chose dans notre langue d'aussi parfait que l'histoire d'ÉMIRE : c'est un petit roman plein de finesse, de grace, et même d'intérêt.

Ce n'est pas seulement par la nouveauté et par la variété des mouvements et des tours que le talent de La Bruyère se fait remarquer : c'est encore par un

Voyez le chapitre III.

reux usage que La Bruyère. Il a un grand nombre de pensées qui n'ont d'effet que par le contraste.

choix d'expressions vives, figurées, pittoresques; | mieux connu ce secret, et n'en a fait un plus heuc'est surtout par ces heureuses alliances de mots, ressource féconde des grands écrivains dans une langue qui ne permet pas, comme presque toutes les autres, de créer ou de composer des mots, ni d'en transplanter d'un idiome étranger.

« Tout excellent écrivain est excellent peintre, »> dit La Bruyère lui-même; et il le prouve dans tout le cours de son livre. Tout vit et s'anime sous son pinceau; tout y parle à l'imagination: « La véritable « grandeur se laisse toucher et manier...... elle se « courbe avec bonté vers ses inférieurs, et revient << sans effort à son naturel. »

« Il n'y a rien, dit-il ailleurs, qui mette plus subi<«< tement un homme à la mode, et qui le soulève << davantage, que le grand jeu. »

Veut-il peindre ces hommes qui n'osent avoir un avis sur un ouvrage avant de savoir le jugement du public: «Ils ne hasardent point leurs suffrages; ils « veulent être portés par la foule, et entraînés par « la multitude. »>

La Bruyère veut-il peindre la manie du fleuriste : il vous le montre planté et ayant pris racine devant ses tulipes; il en fait un arbre de son jardin. Cette figure hardie est piquante, sur-tout par l'analogie des objets.

« Il n'y a rien qui rafraîchisse le sang comme d'a« voir su éviter une sottise. » C'est une figure bien heureuse que celle qui transforme ainsi en sensation le sentiment qu'on veut exprimer.

L'énergie de l'expression dépend de la force avec laquelle l'écrivain s'est pénétré du sentiment ou de l'idée qu'il a voulu rendre. Ainsi La Bruyère, s'élevant contre l'usage des serments, dit : « Un honnête « homme qui dit oui, ou non, mérite d'être cru; « son caractère jure pour lui. »

Il est d'autres figures de style d'un effet moins frappant, parceque les rapports qu'elles expriment demandent, pour être saisis, plus de finesse et d'attention dans l'esprit ; je n'en citerai qu'un exemple : « Il y a dans quelques femmès un mèrite paisible, « mais solide, accompagné de mille vertus qu'elles « ne peuvent couvrir de toute leur modestie. »> Ce mérite paisible offre à l'esprit une combinaison d'idées très fines, qui doit, ce me semble, plaire d'autant plus qu'on aura le goût plus délicat et plus

exercé.

« Il s'est trouvé des filles qui avoient de la vertu, << de la santé, de la ferveur, et une bonne vocation, << mais qui n'étoient pas assez riches pour faire dans << une riche abbaye vœu de pauvreté. »

Ce dernier trait, rejeté si heureusement à la fin de la période pour donner plus de saillie au contraste, n'échappera pas à ceux qui aiment à observer dans les productions des arts les procédés de l'artiste. Mettez à la place, «qui n'étoient pas assez riches << pour faire vœu de pauvreté dans une riche abbaye ; » et voyez combien cette légère transposition, quoique peut-être plus favorable à l'harmonie, affoibliroit l'effet de la phrase! Ce sont ces artifices que les anciens recherchoient avec tant d'étude, et que les modernes négligent trop lorsqu'on en trouve des exemples chez nos bons écrivains, il semble que c'est plutôt l'effet de l'instinct que de la réflexion.

On a cité ce beau trait de Florus, lorsqu'il nous montre Scipion, encore enfant, qui croit pour la ruine de l'Afrique : Qui in exitium Africæ crescit. Ce rapport supposé entre deux faits naturellement indépendants l'un de l'autre plaît à l'imagination, et attache l'esprit. Je trouve un effet semblable dans cette pensée de La Bruyère :

<< Pendant qu'Oronte augmente, avec ses années, « son fonds et ses revenus, une fille naît dans quel« que famille, s'élève, croît, s'embellit, et entre « dans sa seizième année. Il se fait prier à cinquante << ans pour l'épouser, jeune, belle, spirituelle; cet « homme, sans naissance, sans esprit et sans le « moindre mérite, est préféré à tous ses rivaux. »

Si je voulois, par un seul passage, donner à-lafois une idée du grand talent de La Bruyère, et un exemple frappant de la puissance des contrastes dans le style, je citerois ce bel apologue qui contient la plus éloquente satire du faste insolent et scandaleux des parvenus:

<< Ni les troubles, Zénobie, qui agitent votre em« pire, ni la guerre que vous soutenez virilement <«< contre une nation puissante depuis la mort du roi « votre époux, ne diminuent rien de votre magnifi«cence. Vous avez préféré à toute autre contrée les ri« ves de l'Euphrate, pour y élever un superbe édifice: << l'air y est sain et tempéré; la situation en est riante:

Mais les grands effets de l'art d'écrire, comme de « un bois sacré l'ombrage du côté du couchant; les tous les arts, tiennent sur-tout aux contrastes.

Ce sont les rapprochements ou les oppositions de sentiments et d'idées, de formes et de couleurs, qui, faisant ressortir tous les objets les uns par les autres, répandent dans une composition la variété, le mouvement et la vie. Aucun écrivain peut-être n'a

« dieux de Syrie, qui habitent quelquefois la terre, «< n'y auroient pu choisir une plus belle demeure. << La campagne autour est couverte d'hommes qui << taillent et qui coupent, qui vont et qui viennent, << qui roulent ou qui charrient le bois du Liban, l'ai<< rain et le porphyre; les grues et les machines gé

:

On trouveroit aussi quelques traits d'un style précieux et maniéré. Marivaux auroit pu revendiquer cette pensée : « Personne presque ne s'avise de lui« même du mérite d'un autre. »>

«< missent dans l'air, et font espérer à ceux qui | bien délicat : « Il faut juger des femmes depuis la « voyagent vers l'Arabie de revoir à leur retour en <«< chaussure jusqu'à la coiffure exclusivement, à« leurs foyers ce palais achevé, et dans cette splen- << peu-près comme on mesure le poisson, entre tête « deur où vous desirez de le porter avant de l'habi- « et queue. >> «ter, vous et les princes vos enfants. N'y épargnez « rien, grande reine employez-y l'or et tout l'art « des plus excellents ouvriers; que les Phidias et les <«< Zeuxis de votre siècle déploient toute leur science <«< sur vos plafonds et sur vos lambris; tracez-y de « vastes et de délicieux jardins, dont l'enchantement « soit tel qu'ils ne paroissent pas faits de la main des « hommes; épuisez vos trésors et votre industrie sur « cet ouvrage incomparable; et après que vous y au<< rez mis, Zénobie, la dernière main, quelqu'un de « ces pâtres qui habitent les sables voisins de Pal« myre, devenu riche par les péages de vos rivières, « achètera un jour à deniers comptants cette royale « maison, pour l'embellir, et la rendre plus digne de « lui et de sa fortune. »

Mais ces taches sont rares dans La Bruyère : on sent que c'étoit l'effet du soin même qu'il prenoit de varier ses tournures et ses images; et elles sont effacées par les beautés sans nombre dont brille son ouvrage.

Je terminerai cette analyse par observer que cet écrivain, si original, si hardi, si ingénieux et si varié, eut de la peine à être admis à l'Académie Françoise après avoir publié ses Caractères. Il eut besoin de crédit pour vaincre l'opposition de quelques gens de lettres qu'il avoit offensés, et les ciameurs de cette foule d'hommes malheureux qui, dans tous les temps, sont importunés des grands talents et des grands succès; mais La Bruyère avoit pour lui Bossuet, Racine, Despréaux, et le cri pu

Si l'on examine avec attention tous les détails de ce beau tableau, on verra que tout y est préparé, disposé, gradué avec un art infini pour produire un grand effet. Quelle noblesse dans le début! quelle importance on donne au projet de ce palais! que de circonstances adroitement accumulées pour en rele-blic: il fut reçu. Son discours est un des plus ingéver la magnificence et la beauté! et, quand l'imagination a été bien pénétrée de la grandeur de l'objet, l'auteur amène un påtre, enrichi du péage de vos rivières, qui achète à deniers comptants cette royale maison, pour l'embellir, et la rendre plus digne de lui.

nieux qui aient été prononcés dans cette Académie. Il est le premier qui ait loué des académiciens vivants. On se rappelle encore les traits heureux dont il caractérisa Bossuet, La Fontaine et Despréaux. Les ennemis de l'auteur affectèrent de regarder ce discours comme une satire. Ils intriguèrent pour en faire défendre l'impression; et, n'ayant pu y réussir, ils le firent déchirer dans les journaux, qui dès

Il est bien extraordinaire qu'un homme qui a enrichi notre langue de tant de formes nouvelles, et qui avoit fait de l'art d'écrire une étude si appro-lors étoient déja, pour la plupart, des instruments fondie, ait laissé dans son style des négligences, et même des fautes qu'on reprocheroit à de médiocres écrivains. Sa phrase est souvent embarrassée; il a des constructions vicieuses, des expressions incorrectes, ou qui ont vieilli. On voit qu'il avoit encore plus d'imagination que de goût, et qu'il recherchoit plus la finesse et l'énergie des tours que l'harmonie de la phrase.

Je ne rapporterai aucun exemple de ces défauts, que tout le monde peut relever aisément; mais il peut être utile de remarquer des fautes d'un autre genre, qui sont plutôt de recherche que de négligence, et sur lesquelles la réputation de l'auteur pourroit en imposer aux personnes qui n'ont pas un goût assez sûr et assez exercé.

N'est-ce pas exprimer, par exemple, une idée peut-être fausse par une image bien forcée et même obscure, que de dire : « Si la pauvreté est la mère ades crimes, le défaut d'esprit en est le père? »>

La comparaison suivante ne paroit pas d'un goût

de la malignité et de l'envie entre les mains de la
bassesse et de la sottise. On vit éclore une foule d'é-
pigrammes et de chansons où la rage est égale à la
platitude, et qui sont tombées dans le profond oubli
qu'elles méritent. On aura peut-être peine à croire
que ce soit pour l'auteur des Caractères qu'on a fait
ce couplet :

Quand La Bruyère se présente,
Pourquoi faut-il crier haro?

Pour faire un nombre de quarante,
Ne falloit-il pas un zéro?

Cette plaisanterie a été trouvée si bonne, qu'on l'a renouvelée depuis à la réception de plusieurs académiciens.

Que reste-t-il de cette lutte éternelle de la médiocrité contre le génie? Les épigrammes et les libelles ont bientôt disparu; les bons ouvrages restent, et la mémoire de leurs auteurs est honorée et bénie par la postérité.

Cette réflexion devroit consoler les hommes supé- | vent instruire: quand donc il s'est glissé dans rieurs, dont l'envie s'efforce de flétrir les succès et les travaux; mais la passion de la gloire, comme toutes les autres, est impatiente de jouir l'attente est pénible, et il est triste d'avoir besoin d'être con

solé'.

PRÉFACE.

un livre quelques pensées ou quelques réflexions qui n'ont ni le feu, ni le tour, ni la vivacité des autres, bien qu'elles semblent y être admises pour la variété, pour délasser l'esprit, pour le rendre plus présent et plus attentif à ce qui va suivre, à moins que d'ailleurs elles ne soient sensibles, familières, instructives, accommodées au simple peuple, qu'il n'est pas permis de négliger, le lecteur peut les condamner, et l'au

une autre, et que j'ai intérêt que l'on veuille suivre, qui est de ne pas perdre mon titre de

Je rends au public ce qu'il m'a prêté : j'ai em-teur les doit proscrire: voilà la règle. Il y en a prunté de lui la matière de cet ouvrage; il est juste que, l'ayant achevé avec toute l'attention pour la vérité dont je suis capable, et qu'il mé-vue, et de penser toujours, et dans toute la rite de moi, je lui en fasse la restitution. Il peut lecture de cet ouvrage, que ce sont les caracregarder avec loisir ce portrait que j'ai fait de tères ou les mœurs de ce siècle que je décris : lui d'après nature, et, s'il se connoît quelques car, bien que je les tire souvent de la cour de uns des défauts que je touche, s'en corriger. France, et des hommes de ma nation, on ne C'est l'unique fin que l'on doit se proposer en peut pas néanmoins les restreindre à une seule écrivant, et le succès aussi que l'on doit moins cour, ni les renfermer en un seul pays, sans se promettre. Mais, comme les hommes ne se que mon Livre ne perde beaucoup de son étendégoûtent point du vice, il ne faut pas aussi se due et de son utilité, ne s'écarte du plan que je lasser de le leur reprocher : ils seroient peut- me suis fait d'y peindre les hommes en général, être pires s'ils venoient à manquer de censeurs comme des raisons qui entrent dans l'ordre des ou de critiques : c'est ce qui fait que l'on prêche chapitres, et dans une certaine suite insensible et que l'on écrit. L'orateur et l'écrivain ne des réflexions qui les composent. Après cette sauroient vaincre la joie qu'ils ont d'être applau- précaution si nécessaire, et dont on pénètre dis; mais ils devroient rougir d'eux-mêmes s'ils assez les conséquences, je crois pouvoir protesn'avoient cherché, par leurs discours ou par ter contre tout chagrin, toute plainte, toute leurs écrits, que des éloges : outre que l'appro- maligne interprétation, toute fausse applicabation la plus sûre et la moins équivoque est tion, et toute censure; contre les froids plaisants le changement de mœurs et la réformation de et les lecteurs mal intentionnés. Il faut savoir ceux qui les lisent ou qui les écoutent. On ne lire, et ensuite se taire, ou pouvoir rapporter doit parler, on ne doit écrire que pour l'in-ce qu'on a lu, et ni plus ni moins que ce qu'on struction; et, s'il arrive que l'on plaise, il ne faut pas néanmoins s'en repentir, si cela sert à insinuer et à faire recevoir les vérités qui doi

* On trouva, dans les papiers de La Bruyère, des Dialogues

sur le Quiétisme, qu'il n'avoit qu'ébauchés. Ils étoient au nom

bre de sept: M. Dupin, docteur de Sorbonne, y en ajouta deux, et publia le tout en 1699. Il peut paroître étonnant d'abord que

La Bruyère, homme du monde et simple philosophe, se soit engagé dans une dispute théologique. Mais la surprise cesse lorsqu'on vient à songer que, dans cette querelle qui divisa l'Église et la société, Bossuet combattit les erreurs du Quiétisme que sembloit défendre Fénelon; que La Bruyère devoit sa fortune au premier de ces deux illustres prélats, et qu'il put être porté par un simple mouvement de reconnoissance à combattre, sous

les drapeaux de son bienfaiteur, pour une cause qui paroissoit

d'ailleurs lui être étrangère. Du reste, les Dialogues sur le Quiétisme sont bien peu dignes de son talent. Quelques personnes ont nié qu'il en fût l'auteur; on aimeroit à les en croire.

a lu; et, si on le peut quelquefois, ce n'est pas
assez, il faut encore le vouloir faire: sans ces
conditions, qu'un auteur exact et scrupuleux
est en droit d'exiger de certains esprits pour
l'unique récompense de son travail, je doute
qu'il doive continuer d'écrire, s'il préfère du
moins sa propre satisfaction à l'utilité de plu-

sieurs et au zèle de la vérité. J'avoue d'ailleurs
que j'ai balancé dès l'année 1690, et avant la
cinquième édition, entre l'impatience de donner
à mon Livre plus de rondeur et une meilleure
forme
par de nouveaux caractères, et la crainte
de faire dire à quelques uns: Ne finiront-ils
point, ces Caractères, et ne verrons-nous jamais
autre chose de cet écrivain? des gens sages me

quelques autres sont plus étendues on pense les choses d'une manière différente, et on les explique par un tour aussi tout différent, par une sentence, par un raisonnement, par une métaphore ou quelque autre figure, par un parallèle, par une simple comparaison, par un fait tout entier, par une peinture: de là procède la longueur ou la brièveté de mes réflexions. Ceux enfin qui font des maximes veulent être crus: je consens au contraire que l'on dise de moi que je n'ai pas quelquefois bien remarqué, pourvu que l'on remarque mieux.

disoient d'une part: La matière est solide, | dant avec les anciennes par la suppression enutile, agréable, inépuisable; vivez long-temps, tière de ces différences, qui se voient par aposet traitez-la sans interruption pendant que vous tille, j'ai moins pensé à lui faire rien lire de nouvivrez; que pourriez-vous faire de mieux? il veau, qu'à laisser peut-être un ouvrage de n'y a point d'année que les folies des hommes mœurs plus complet, plus fini et plus régulier, ne puissent vous fournir un volume. D'autres, à la postérité. Ce ne sont point au reste des avec beaucoup de raison, me faisoient redouter maximes que j'ai voulu écrire : elles sont comme les caprices de la multitude et la légèreté du des lois dans la morale; et j'avoue que je n'ai ni public, de qui j'ai néanmoins de si grands su- assez d'autorité ni assez de génie pour faire jets d'être content, et ne manquoient pas de le législateur. Je sais même que j'aurois péché me suggérer que, personne presque depuis contre l'usage des maximes, qui veut qu'à la trente années ne lisant plus que pour lire, il manière des oracles elles soient courtes et confalloit aux hommes, pour les amuser, de nou-cises. Quelques unes de ces remarques le sont, veaux chapitres et un nouveau titre : que cette indolence avoit rempli les boutiques et peuplé le monde, depuis tout ce temps, de livres froids et ennuyeux, d'un mauvais style et de nulle ressource, sans règles et sans la moindre justesse, contraires aux mœurs et aux bienséances, écrits avec précipitation, et lus de même, seulement par leur nouveauté ; et que, si je ne savois qu'augmenter un livre raisonnable, le mieux que je pouvois faire étoit de me reposer. Je pris alors quelque chose de ces deux avis si opposés, et je gardai un tempérament qui les rapprochoit je ne feignis point d'ajouter quelques nouvelles remarques à celles qui avoient déja grossi du double la première édition de mon ouvrage; mais, afin que le public ne fût point obligé de parcourir ce qui étoit ancien pour passer à ce qu'il y avoit de nouveau, et qu'il trouvât sous ses yeux ce qu'il avoit seulement envie de lire, je pris soin de lui désigner cette seconde augmentation par une marque particulière : je crus aussi qu'il ne seroit pas inutile de lui distinguer la première augmentation par une autre marque plus simple, qui servît à lui montrer le progrès de mes Caractères; et à aider son choix dans la lecture qu'il en voudroit faire: et, comme il pouvoit craindre que ce progrès n'allât à l'infini, j'ajoutois à toutes ces exactitudes une promesse sincère de ne plus rien hasarder en ce genre. Que si quelqu'un m'accuse d'avoir manqué à ma parole, en insérant dans les trois éditions qui ont suivi un assez grand nombre de nouvelles remarques, il verra du moins qu'en les confon

• On a retranché ces marques, devenues actuellement inutiles.

CHAPITRE PREMIER.

Des ouvrages de l'esprit.

Tout est dit et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé : l'on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d'entre les modernes.

Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos sentiments: c'est une trop grande entreprise.

C'est un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule. Il faut plus que de l'esprit pour être auteur. Un magistrat alloit par son mérite à la première dignité, il étoit homme délié et pratique dans les affaires; il a fait imprimer un ouvrage moral qui est rare par le ridicule.

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