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lui; en quoi il est semblable à nos yeux qui découvrent tout, et sont aveugles seulement pour eux-mêmes. En effet, dans ses plus grands intérêts et dans ses plus importantes affaires où la violence de ses souhaits appelle toute son attention, il voit, il sent, il entend, il imagine, il soupçonne, il pénètre, il devine tout; de sorte qu'on est tenté de croire que chacune de ses passions a une espèce de magie qui lui est propre. Rien n'est si intime et si fort que ses attachements qu'il essaie de rompre inutilement à la vue des malheurs extrêmes qui le menacent. Cependant il fait quelquefois en peu de temps, et sans aucun effort, ce qu'il n'a pu faire avec tous ceux dont il est capable dans le cours de plusieurs années d'où l'on pourroit conclure assez vraisemblablement que c'est par lui-même que ses desirs sont allumés, plutôt que par la beauté et par le mérite de ses objets; que son goût est le prix qui les relève, et le fard qui les embellit; que c'est après lui-même qu'il court, et qu'il suit son gré lorsqu'il suit les choses qui sont à son gré. Il est tous les contraires, il est impérieux et obéissant, sincère et dissimulé, miséricordieux et cruel, timide et audacieux : il a de différentes inclinations, selon la diversité des tempéraments qui le tournent et le dévouent tantôt à la gloire, tantôt aux richesses, et tantôt aux plaisirs. Il en change selon le changement de nos âges, de nos fortunes et de nos expériences; mais il lui est indifférent d'en avoir plusieurs ou de n'en avoir qu'une, parcequ'il se partage en plusieurs, et se ramasse en une quand il le faut, et comme il lui plaît. Il est inconstant, et outre les changements qui viennent des causes étrangères, il y en a une infinité qui naissent de lui et de son propre fonds. Il est inconstant d'inconstance, de légèreté, d'amour, de nouveauté, de lassitude et de dégoût. Il est capricieux, et on le voit quelquefois travailler avec le dernier empressement et avec des travaux incroyables à obtenir des choses qui ne lui sont point avantageuses, et qui même lui sont nuisibles, mais qu'il poursuit parcequ'il les veut. Il est bizarre et met souvent toute son application dans les emplois les plus frivoles ; il trouve tout son plaisir dans les plus fades, et conserve toute sa fierté dans les plus méprisables. Il est dans tous les états de la vie et dans toutes les

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conditions; il vit partout, et il vit de tout; il vit de rien, il s'accommode des choses et de leur privation; il passe même dans le parti des gens qui lui font la guerre; il entre dans leurs desseins, et, ce qui est admirable, il se hait luimême avec eux, il conjure sa perte, il travaille lui-même à sa ruine; enfin il ne se soucie que d'être, et pourvu qu'il soit, il veut bien être son ennemi. Il ne faut donc pas s'étonner s'il se joint quelquefois à la plus rude austérité, et s'il entre si hardiment en société avec elle pour se détruire, parce que, dans le même temps qu'il se ruine en un endroit, il se rétablit en un autre. Quand on pense qu'il quitte son plaisir, il ne fait que le suspendre ou le changer, et lors même qu'il est vaincu et qu'on croit en être défait, on le retrouve qui triomphe dans sa propre défaite. Voilà la peinture de l'amour-propre dont toute la vie n'est qu'une grande et longue agitation. La mer en est une image sensible; et l'amour-propre trouve dans le flux et le reflux de ses vagues continuelles une fidèle expression de la succession turbulente de ses pensées et de ses éternels mouvements. (1665 — no 1.)

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maine, se montre avec un visage naturel, et se | lité de leur bonne fortune. (1665 — no 97.) découvre par la fierté; de sorte qu'à proprement parler, la fierté est l'éclat et la déclaration de l'orgueil. (1665 — no 37. )

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Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur de nos amis, ne vient ni de la bonté de notre naturel, ni de l'amitié que nous avons pour eux ; c'est un effet de l'amourpropre qui nous flatte de l'espérance d'être heu reux à notre tour, ou de retirer quelque uti

On lit dans les éditions de Brotier et de M. de Fortia: pour nous dégager de notre infidélité. Cependant les éditions de 4666, 1671 et 1675, dans lesquelles on retrouve encore cette pensée, sont conformes à celle de 1665,

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XV.

Dans l'adversité de nos meilleurs amis, nous trouvons toujours quelque chose qui ne nous déplaît pas. (1665- n° 99.)

XVI.

Comment prétendons-nous qu'un autre garde notre secret, si nous n'avons pas pu le garder nous-mêmes? (1665. — no 100.)

XVII.

Comme si ce n'étoit pas assez à l'amourpropre d'avoir la vertu de se transformer luimême, il a encore celle de transformer les objets, ce qu'il fait d'une manière fort étonnante; car non seulement il les déguise si bien qu'il y est lui-même trompé, mais il change aussi l'état et la nature des choses. En effet, lorsqu'une personne nous est contraire et qu'elle tourne sa haine et sa persécution contre nous, c'est avec toute la sévérité de la justice que l'amour-propre juge de ses actions: il donne à ses défauts une étendue qui les rend énormes, et il met ses bonnes qualités dans un jour si désavantageux, qu'elles deviennent plus dégoûtantes que ses défauts. Cependant dès que cette même personne nous devient favorable, ou que quelqu'un de nos intérêts la réconcilie avec nous, notre seule satisfaction rend aussitôt à son mérite le lustre que notre aversion venoit de lui ôter. Les mauvaises qualités s'effacent, et les bonnes paroissent avec plus d'avantage qu'auparavant ; nous rappelons même toute notre indulgence pour la forcer à justifier la guerre qu'elle nous a faite. Quoique toutes les passions montrent cette vérité, l'amour la fait voir plus clairement que les autres; car nous voyons un amoureux agité de la rage où l'a mis l'oubli ou l'infidélité de ce qu'il aime, méditer pour sa vengeance tout ce que cette passion inspire de plus violent. Néanmoins aussitôt que sa vue a calmé la fureur de ses mouvements, son ravissement rend cette beauté innocente; il n'accuse plus que lui-même, il condamne ses condamnations; et par cette vertu miraculeuse de l'amour-propre, il ôte la noirceur aux mauvaises actions de sa maîtresse,

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Ceux qui voudroient définir la victoire par sa naissance seroient tentés, comme les poètes, de l'appeler la fille du ciel, puisqu'on ne trouve point son origine sur la terre. En effet, elle est reproduite par une infinité d'actions, qui, au lieu de l'avoir pour but, regardent seulement les intérêts particuliers de ceux qui les font; puisque tous ceux qui composent une armée, allant à leur propre gloire et à leur élévation, procurent un bien si grand et si général. (1665 − n 252. )

XLII.

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La vérité est le fondement et la raison de la perfection et de la beauté; une chose, de quelque nature qu'elle soit, ne sauroit être belle et parfaite, si elle n'est véritablement tout ce qu'elle doit être, et si elle n'a tout ce qu'elle

On ne peut répondre de son courage, quand on n'a jamais été dans le péril. (1665-no 256.) | doit avoir. (1665- no 260.)

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De toutes les passions, celle qui est la plus inconnue à nous-mêmes, c'est la paresse; elle est la plus ardente et la plus maligne de toutes, quoique sa violence soit insensible, et que les dommages qu'elle cause soient très cachés: si nous considérons attentivement son pouvoir, nous verrons qu'elle se rend en toutes rencontres maîtresse de nos sentiments, de nos intérêts et de nos plaisirs : c'est la rémore qui a la force d'arrêter les plus grands vaisseaux, c'est une bonace plus dangereuse aux plus importantes affaires que les écueils et que les plus grandes tempêtes. Le repos de la paresse est un charme secret de l'ame qui suspend soudainement les plus ardentes poursuites et les plus opiniâtres résolutions. Pour donner enfin la véritable idée de cette passion, il faut dire que la paresse est comme une béatitude de l'ame, qui la console de toutes ses pertes, et qui lui tient lieu de tous les biens. (1665- n° 290.)

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On craint toujours de voir ce qu'on aime, quand on vient de faire des coquetteries ailleurs. (1675- no 372.)

LXIV.

On doit se consoler de ses fautes, quand on a la force de les avouer. (1675 — no 375. )

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