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Quand l'instruction précédoit le baptême, | res, les Chrétiens d'aujourd'hui ne témoignent tous étoient instruits; mais maintenant que le baptême précède l'instruction, l'enseignement qui étoit nécessaire pour le sacrement est devenu volontaire, et ensuite négligé, et enfin presque aboli. La raison persuadoit de la nécessité de l'instruction; de sorte que, quand l'instruction précédoit le baptême, la nécessité de l'un faisoit que l'on avoit recours à l'autre nécessairement: au lieu que le baptême précédant aujourd'hui l'instruction, comme on a été fait Chrétien sans avoir été instruit, on croit pouvoir demeurer Chrétien sans se faire instruire; et au lieu que les premiers Chrétiens témoignoient tant de reconnoissance pour une grace que l'Église n'accordoit qu'à leurs longues priè

que de l'ingratitude pour cette même grace qu'elle leur accorde avant même qu'ils aient été en état de la demander. Si elle détestoit si fort les chutes des premiers Chrétiens, quoique si rares, combien doit-elle avoir en abomination les chutes et les rechutes continuelles des derniers, quoiqu'ils lui soient beaucoup plus redevables, puisqu'elle les a tirés bien plus tôt et bien plus libéralement de la damnation où ils étoient engagés par leur première naissance! Elle ne peut voir, sans gémir, abuser de la plus grande de ses graces, et que ce qu'elle a fait pour assurer leur salut devienne l'occasion presque assurée de leur perte; car elle n'a pas changé d'esprit, quoiqu'elle ait changé de coutume.

FIN DES PENSÉES DE PASCAL.

RÉFLEXIONS

OU

SENTENCES ET MAXIMES

MORALES

DE LA ROCHEFOUCAULD;

AVEC UN EXAMEN CRITIQUE

PAR L. AIMÉ-MARTIN.

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AVIS DE L'ÉDITEUR.

Depuis la mort de La Rochefoucauld les éditions du livre des Maximes ont été très multipliées; mais il n'en est aucune dont le texte n'ait souffert de nombreuses altérations. M. Suard est le premier qui se soit permis cette espèce d'infidélité : il est vrai qu'il annonça la découverte d'un manuscrit de l'auteur; mais ce qui prouve jusqu'à l'évidence que ce manuscrit est supposé, c'est que toutes les corrections sont grammaticales, et qu'on y fait parler à La Rochefoucauld une langue dont les règles n'ont été posées que par les grammairiens du dix-huitième

siècle.

Un autre reproche non moins grave qu'on peut lui adresser, c'est d'avoir replacé dans le corps de l'ouvrage vingt-quatre des Maximes que l'auteur en avoit retranchées.

Le savant Brottier s'est élevé avec force contre cette falsification du texte de La Rochefoucauld; mais soit qu'il n'ait pu se procurer les éditions originales, soit qu'il n'ait pas eu le temps de mettre la dernière main à son travail, l'édition qui porte son nom n'est point exempte de ce genre de fautes. Nous en avons compté cinquante-cinq qui n'ont pu être faites que par l'éditeur.

Ces deux éditions ont servi de type à toutes les autres, personne n'ayant pris la peine de les comparer avec celles publiées du vivant de l'auteur, et qui sont au nombre de cinq.

L'édition de 1665 renferme trois cent dix-sept Maximes, en comptant la dernière sur la Mort, qui ne porte pas de numéro. L'édition de 1666 fut réduite à trois cent deux Maximes. Celle de 1671 en renferme trois cent quarante-une, et celle de 1675, quatre cent treize : c'est dans cette édition que se trouve, pour la première fois, l'épigraphe : Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés. Enfin l'édition de 1678, où le nombre des Maximes s'élève à cinq cent quatre; c'est la dernière que l'auteur ait revue. Nous la reproduisons ici sans aucune altération.

Tout ce que nous a fourni notre travail sur les premières éditions se retrouve dans celle-ci; mais nous avons cru nécessaire de faire une distinction entre les Maximes que l'auteur avoit supprimées et celles dont il n'avoit que changé la rédaction. Les premières sont rejetées dans un supplément; les secondes, devant être considérées comme des variantes, ont trouvé place au bas du texte.

Ce travail devoit nécessairement précéder celui que nous avons essayé de faire sur la partie morale du livre; car il importoit de n'attaquer l'auteur que sur ses paroles, et surtout de ne lui point reprocher des Maximes qu'il sembloit avoir jugées lui-même en les supprimant'.

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PORTRAIT

DU DUC DE LA ROCHEFOUCAULD,

FAIT PAR LUI-MÊME, IMPRIMÉ EN 1658.

porter d'adoucissement pour dire les avantages que l'on a, c'est, ce me semble, cacher un peu de vanité sous une modestie apparente, et se servir d'une manière bien adroite

pour faire croire de soi beaucoup plus de bien que l'on n'en

dit. Pour moi, je suis content qu'on ne me croie ni plus beau que je me fais, ni de meilleure humeur que je me dépeins, ni plus spirituel et plus raisonnable que je le suis. J'ai donc de l'esprit, encore une fois, mais un esprit que la mélancolie gâte; car, encore que je possède assez bien ma langue, que j'aie la mémoire heureuse, et que je ne pense pas les choses fort confusément, j'ai pourtant une si forte application à mon chagrin, que souvent j'exprime assez mal ce que je veux dire.

La conversation des honnêtes gens est un des plaisirs qui me touchent le plus. J'aime qu'elle soit sérieuse, et que la morale en fasse la plus grande partie. Cependant je

Je suis d'une taille médiocre, libre et bien proportionnée. J'ai le teint brun, mais assez uni; le front élevé et d'une raisonnable grandeur; les yeux noirs, petits et enfoncés ; et les sourcils noirs et épais, mais bien tournés. Je serois fort empèché de dire de quelle sorte j'ai le nez fait; car il n'est ni camus, ni aquilin, ni gros ni pointu, au moins à ce que je crois : tout ce que je sais, c'est qu'il est plutôt grand que petit, et qu'il descend un peu trop bas. J'ai la bouche grande, et les lèvres assez rouges d'or-sais la goûter aussi lorsqu'elle est enjouée; et si je ne dis pas dinaire, et ni bien ni mal taillées. J'ai les dents blanches et passablement bien rangées. On m'a dit autrefois que j'avois un peu trop de menton: je viens de me regarder dans le miroir pour savoir ce qui en est; et je ne sais pas trop bien qu'en juger. Pour le tour du visage, je l'ai ou carré, ou en ovale; lequel des deux, il me seroit fort difficile de le dire. J'ai les cheveux noirs, naturellement frisés, et avec cela assez épais et assez longs pour pouvoir prétendre en belle tête.

J'ai quelque chose de chagrin et de fier dans la mine: cela fait croire à la plupart des gens que je suis méprisant, quoique je ne le sois point du tout. J'ai l'action fort aisée, et même un peu trop, et jusqu'à faire beaucoup de gestes en parlant. Voilà naïvement comme je pense que je suis fait au dehors, et l'on trouvera, je crois, que ce que je pense de moi là-dessus n'est pas fort éloigné de ce qui en est. J'en userai avec la même fidélité dans ce qui me reste à faire de mon portrait; car je me suis assez étudié pour me bien connoître, et je ne manquerai ni d'assurance pour dire librement ce que je puis avoir de bonnes qualités, ni de sincérité pour avouer franchement ce que j'ai de défauts. Premièrement, pour parler de mon humeur, je suis mélancolique, et je le suis à un point que, depuis trois ou quatre ans, à peine m'a-t-on vu rire trois ou quatre fois. J'aurois pourtant, ce me semble, une mélancolie assez supportable et assez douce, si je n'en avois point d'autre que celle qui me vient de mon tempérament ; mais il m'en vient tant d'ailleurs, et ce qui m'en vient me remplit de telle sorte l'imagination, et m'occupe si fort l'esprit, que la plupart du temps, ou je rêve sans dire mot, ou je n'ai presque point d'attache à ce que je dis. Je suis fort resserré avec ceux que je ne connois pas, et je ne suis pas même extrêmement ouvert avec la plupart de ceux que je connois. C'est un défaut, je le sais bien, et je ne négligerai rien pour m'en corriger; mais comme un certain air sombre que j'ai dans le visage contribue à me faire paroître encore plus réservé que je ne le suis, et qu'il n'est pas en notre pouvoir de nous défaire d'un méchant air qui nous vient de la disposition naturelle des traits, je pense qu'après m'ètre corrigé au dedans, il ne laissera pas de me demeurer toujours de mauvaises marques au dehors.

J'ai de l'esprit, et je ne fais point difficulté de le dire; car à quoi bon façonner là-dessus? Tant biaiser et tant ap

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beaucoup de petites choses pour rire, ce n'est pas du moins que je ne connoisse pas ce que valent les bagatelles bien dites, et que je ne trouve fort divertissante cette manière de badiner, où il y a certains esprits prompts et aisés qui réussissent si bien. J'écris bien en prose, je fais bien en vers; et si j'étois sensible à la gloire qui vient de ce côté-là, je pense qu'avec peu de travail je pourrois m'acquérir assez de réputation.

J'aime la lecture, en général; celle où il se trouve quelque chose qui peut façonner l'esprit et fortifier l'ame, est celle que j'aime le plus. Surtout j'ai une extréme satisfaction à lire avec une personne d'esprit : car, de cette sorte, on réfléchit à tout moment sur ce qu'on lit; et des réflexions que l'on fait, il se forme une conversation la plus agréable du monde et la plus utile.

Je juge assez bien des ouvrages de vers et de prose que l'on me montre; mais j'en dis peut-être mon sentiment avec un peu trop de liberté. Ce qu'il y a encore de mal en moi, c'est que j'ai quelquefois une délicatesse trop scrupuleuse et une critique trop sévère. Je ne hais pas entendre disputer, et souvent aussi je me mêle assez volontiers dans la dispute: mais je soutiens d'ordinaire mon opinion avec trop de chaleur; et lorsqu'on défend un parti injuste contre moi, quelquefois, à force de me passionner pour la raison, je deviens moi-même fort peu raisonnable.

J'ai les sentiments vertueux, les inclinations belles, et une si forte envie d'être tout-à-fait honnéte homme, que mes amis ne me sauroient faire un plus grand plaisir que de m'avertir sincèrement de mes défauts. Ceux qui me connoissent un peu particulièrement, et qui ont eu la bonté de me donner quelquefois des avis là-dessus, savent que je les ai toujours reçus avec toute la joie imaginable et toute la soumission d'esprit que l'on sauroit desirer.

J'ai toutes les passions assez douces et assez réglées : on ne m'a presque jamais vu en colère, et je n'ai jamais eu de haine pour personne. Je ne suis pas pourtant incapable de me venger, si l'on m'avoit offensé, et qu'il y allât de mon honneur à me ressentir de l'injure qu'on m'auroit faite. Au contraire, je suis assuré que le devoir feroit si bien en moi l'office de la haine, que je poursuivrois ma vengeance avec encore plus de vigueur qu'un autre.

L'ambition ne me travaille point. Je ne crains guère de choses, et ne crains aucunement la mort. Je suis peu sen

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