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Les fecrétaires qui compilèrent les Economies politiques attribuées au duc de Sulli, lorfqu'il était âgé de quatre-vingts ans, font les feuls qui parlent de cette étrange idée.

Je vais examiner une chose non moins étrange; c'eft la comparaifon de Henri IV avec Philippe, roi de Macédoine.

Si le judicieux de Thou avait voulu comparer Henri avec quelqu'autre monarque, il aurait choifi un roi de France. On aurait pu trouver un peu de reffemblance entre lui & Charles VII. Tous deux eurent une guerre civile à foutenir, tous deux virent l'étranger dans la capitale. Les Anglais y bravèrent quelque temps Charles VII, & les Efpagnols Henri IV: ils regagnèrent l'un & l'autre leur royaume pied à pied, par les armes & par les négociations. Tous deux au milieu de la guerre eurent des maîtreffes.

Le parallèle eft affez frappant, & il eft tout à l'honneur de Henri IV, qui par fon courage, fon application & fa fageffe dans le gouvernement, l'emporte fur Charles au jugement de tout le monde.

Pourquoi donc choifir le père d'Alexandre pour le comparer au père de Louis XIII? Ce qui fonde cette comparaison chez M. de Buri, c'eft que Philippe s'empara de la couronne de Macédoine au préjudice d'Amintas fon neveu, dont il était tuteur, & que Henri était héritier légitime.

Qu'Epaminondas préfida à l'éducation de Philippe, & que Florent Chrétien fut précepteur de Henri IV. Que Philippe conftruifit des flottes, & que Henri D'en eut jamais,

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&

Que Philippe trouva des mines d'or dans la Thrace, que Henri IV n'en trouva pas chez lui.

Que Philippe fut tellement couvert de bleffures qu'il en devint borgne & boiteux, & que Henri IV conferva heureusement fes yeux & fes jambes.

Que Demofthènes excita les Athéniens contre le roi de Macédoine, & que les curés prêchèrent dans Paris contre le roi de France.

Il eft vrai que ce parallèle eft relevé par les louanges de Salomon, du roi d'Angleterre d'aujourd'hui, du roi de Danemarck, & de l'impératrice-reine de Hongrie; ce qui fera fans doute débiter fon livre dans toute l'Europe. Une telle fageffe manqua au président de Thou.

Finiffons par les prétendus bons mots, dont la tradition populaire défigure le caractère de Henri IV.

Qu'un payfan qui avait les cheveux blancs & la barbe noire ait répondu au roi que fes cheveux étaient de vingt ans plus vieux que fa barbe, c'est un bon mot de paysan, & non pas du roi. Ce conte eft imprimé dans des facéties italiennes, plus de dix ans avant la naiffance de Henri IV; & la plupart de ces facéties ont fait le tour de l'Europe.

Qu'un autre payfan ait apporté au roi du fromage de lait de bœuf, c'est une infipidité bien indigne de l'hiftoire, & ce n'eft pas Henri IV qui l'a dite.

Mais qu'il eût fait battre de verges fept ou huit praticiens affemblés dans un cabaret pour leurs affaires, & que Henri ait exercé fur eux cette indigne vengeance, parce que ces bourgeois n'avaient pas voulu

voulu partager leur dîner avec un homme qu'ils ne connaiffaient pas; c'eût été une action tyrannique, infame, non-feulement indigne d'un grand roi, mais d'un homme bien élevé. C'est l'Etoile qui rapporte cette fottife fur un ouï-dire. L'Etoile ramassait mille contes frivoles, débités par la populace de Paris. Mais fi une pareille action avait la moindre lueur de vraisemblance, elle déshonorerait la mémoire de Henri IV à jamais; & cette mémoire fi chère deviendrait odieuse. Le bon fens & le bon goût consistent à choisir dans les anecdotes de la vie des grandshommes, ce qui est vraisemblable, & ce qui eft digne de la postérité.

Le grave & judicieux de Thou ne s'eft jamais écarté de ce devoir d'un hiftorien.

Si M. de Buri a cru rendre fon ouvrage recommandable en décriant un homme tel que de Thou, il s'eft bien trompé. Il n'a pas fu qu'il y avait encore dans Paris des hommes alliés à cette illuftre famille, qui prendraient la défense du meilleur de nos hiftoriens; & qui ne fouffriraient pas qu'on attaquât, en mauvais français, une hiftoire chère à la nation, & écrite dans le latin le plus pur.

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ARTICLE X VII.

Sur la révocation de l'édit de Nantes.

LA fameufe révocation de l'édit de Nantes eft regardée comme une grande plaie de l'Etat. Lorfque nous fûmes obligés d'en parler dans le Siècle de Louis XIV, nous fûmes bien loin de vouloir dégrader un monument que nous élevions à la gloire de ce fiècle mémorable; mais (i) Mme de Cailus, nièce de Mme de Maintenon, dit que le roi avait été trompé. La reine Christine (k) écrit que Louis XIV s'était coupé le bras gauche avec le bras droit. Nous dûmes plaindre la France d'avoir porté chez les étrangers, & même chez fes ennemis, fes citoyens, fes trésors, ses arts, fon industrie, fes guerriers. Nous avouâmes que l'indulgence, la tolérance, dont les hommes ont tant de befoin les uns envers les autres, était le feul арраreil qu'on pût mettre fur une blessure si profonde.

Ce divin efprit de tolérance, qui au fond n'est que la charité, charitas humani generis, comme dit Cicéron, a depuis quelques années tellement animé les ames nobles & fenfibles, que M. de Fitz-James, évêque de Soiffons, a dit dans fon dernier mandement : Nous devons regarder les Turcs comme nos frères.

Aujourd'hui nous voyons en France des proteftans, autrefois plus odieux que les Turcs, occuper publiquement des places qui, fi elles ne font pas les plus

(i) Souvenir de madame de Cailus. (A) Lettre de la reine Christine.

confidérables de l'Etat, font du moins les plus avantageuses. Perfonne n'en a murmuré. On n'a pas été plus furpris de voir des fermiers-généraux calvinistes que s'ils avaient été janféniftes.

Le ministère ayant écrit, en 1751, une lettre de recommandation en faveur d'un négociant proteftant, nommé Frontin, homme utile à l'Etat; un évêque d'Agen, plus zélé que charitable, écrivit & fit imprimer une lettre affez violente contre le ministère. Il remontrait, dans cette lettre, qu'on ne doit jamais recommander un négociant huguenot, attendu qu'ils font tous ennemis de DIEU & des hommes. On écrivit contre cette lettre ; & foit qu'elle fût de l'évêque d'Agen, foit de l'abbé de Caveirac, cet abbé la foutint dans fa révocation de l'édit de Nantes. Il voulut perfuader qu'il n'y avait eu aucune perfécution dans la dragonade; que les réformés méritaient d'être beaucoup plus maltraités; qu'il n'en fortit pas du royaume cinquante mille; qu'ils emportèrent trèspeu d'argent; qu'ils n'établirent point ailleurs des manufactures dont aucun pays n'avait befoin &c.. &c..

Autrefois un tel livre eût occupé toute l'Europe: les temps font fi changés qu'on n'en parla point. Nous fûmes les feuls qui prîmes la peine d'observer que M. de Caveirac n'avait pas eu des mémoires exacts fur plufieurs faits.

Par exemple, il difait qu'il n'y a pas cinquante familles françaises à Genève. Nous qui demeurons à deux pas de cette ville, nous pouvons affirmer qu'il y en a plus de mille, fans compter celles que la mort a éteintes, ou qui font paffées dans d'autres familles par les femmes. Et nous ajoutons ici que ce font ces

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