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nous fîmes, il y a cinquante ans, je ne fais quel poëme épique dans lequel il eft parlé de la Saint-Barthélemi. Un de nos parens fut tué dans cette journée: mais nous nous tenons très-heureux d'en être quittes. aujourd'hui pour des injures.

ARTICLE XVI.

Le président de Thou juflifié contre les accufations de M. de Buri, auteur d'une vie de Henri IV.

TOUT

OUT homme de lettres, tout bon français, doit être étonné & affligé de voir notre illuftre préfident de Thou indignement traité dans la préface que M. de Buri a mise au-devant de fon hiftoire de la vie de Henri IV. Voici comme il s'exprime fur un des plus grands-hommes que nous ayons jamais eus dans la magiftrature & dans les lettres.

‚ L'histoire, dit-il, ne doit point être un recueil ,, de bons mots & d'épigrammes, encore moins de "fatires & de médifances, auxquels fe livrent les ,, hiftoriens qui veulent donner de l'efprit, & le font

fouvent aux dépens de la vérité. Nous avons beau" coup d'écrivains qui ont acquis leur principale ,, réputation par le mal qu'ils ont affecté de dire des " princes & des particuliers; tels font, entre autres, " de Thou & Mézerai, écrivains recherchés par les ,, médifances qu'ils ont répandues dans leurs ouvra"ges, parce que beaucoup de perfonnes s'imaginent " que ce font des actes de vérité. ››

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Il faudrait au moins favoir parler fa langue, lorfqu'on ofe cenfurer fi durement un hiftorien qui a écrit auffi purement que le président de Thou, dans une langue étrangère. On ne dit point donner de l'efprit tout court; on dit donner de l'esprit à ceux que l'on fait parler, & pour cela il faut en avoir. Cette expreffion donner de l'efprit n'eft pas française. On ne dit point des actes de vérité, comme on dit des actes de foi, de charité, de justice.

,, La plupart des auteurs, continue-t-il, ont voulu ,, imiter Tacite, dont le style a gâté beaucoup d'hifto"riens par la malignité de fes réflexions, qui n'ont ,, rien de naturel ni d'innocent.",

Il aurait dû voir que le ftyle n'a rien de commun avec la malignité des réflexions. On peut avoir un bon ou un mauvais style, foit qu'on faffe une fatire, foit qu'on faffe un panégyrique. Et une malignité qui n'a rien d'innocent eft affurément une phrase qui n'a rien de fpirituel.

Eft il permis à un homme qui écrit ainfi de reprocher à M. de Thou du pédantifme? Il le condamne furtout parce qu'il a écrit en latin. Ne fait-il pas que du temps de M. de Thou le latin était encore la langue univerfelle des favans? Le français n'était pas formé ; il fallait écrire en latin pour être lu de toutes les

nations.

Une telle préface révolte tout honnête-homme; & lorsqu'on voit enfuite l'auteur parler de lui-même, en commençant la vie de Henri IV, & dire qu'il a déjà donné au public la Vie de Philippe de Macédoine, on voit que ce pédant de Thou, qui peut-être était en droit, , par fon rang & fon mérite, d'ofer parler de lui Mélanges hift. Tome II, F

dans fon admirable histoire, n'a pourtant point eu un pédantifme fi déplacé.

Le fieur de Buri ne devait ni fe citer ainfi luimême, ni infulter un grand-homme, mais il devait mieux écrire.

,, Son courage, dit-il, (en parlant d'Henri IV.) était " presque au-deffus de l'humanité. Il est toujours "forti des occafions périlleufes victorieux & avec avantage. "

Le terme d'humanité fait ici une équivoque qui n'eft pas permife, & quand on fort victorieux d'une action périlleuse, apparemment qu'on en fort auffi avec avantage. Ce n'est pas là le style du pédant de

Thou.

Je ne remarque ces fautes, dans le début de cette hiftoire, que pour faire voir combien il eft indécent à un homme qui écrit fi mal de fe déchaîner contre le plus éloquent de nos hiftoriens. Je ne parlerai point des fautes de langage qui font en trop grand nombre dans cet ouvrage ; je paffe à des objets plus importans.

L'auteur remonte jufqu'à la mort de François I, & dit que ce monarque laiffa dans fon tréfor quatre millions d'espèces. Je ne veux point trop blâmer ici l'ufage où font tant d'auteurs de répéter ce que d'autres ont dit; mais il faut au moins s'expliquer d'une manière intelligible. Quatre millions d'efpèces ne fignifient rien. Le pédant de Thou nous apprend que François I laiffa quatre cents mille écus d'or, outre le quart des revenus, dont le recouvrement n'était pas encore fait, ce qui ne compofe point quatre millions

d'espèces, mais feize cents mille livres numériques, quatre livres l'écu d'or.

à

Venant enfuite à la paix de Cateau-Cambrefis, faite avec Philippe II, l'auteur dit (*) qu'on rendit les conquêtes de part & d'autre, excepté Metz, Toul, & Verdun. On croirait, par cet énoncé, que Henri II avait pris Metz, Toul, & Verdun, fur Philippe; mais il les avait prises fur l'Allemagne, & il n'en fut point du tout queftion dans le traité de Cateau-Cambrefis.

Il est bien étrange que dans la Vie de Henri IV on parle des batailles de Jarnac, de Moncontour, & de la Saint-Barthelemi, avant de parler de la naissance de ce prince, de fon éducation, & de la part qu'il eut à tous ces événemens; & il eft encore plus étrange que l'auteur en revenant fur fes pas, & en parlant de la Saint-Barthelemi, ne nomme aucun de ceux qui étaient alors auprès de Henri de Navarre, & qui fe cachèrent jufque fous le lit de la princeffe Marguerite, fa femme. Il ne parle point de ceux qui furent égorgés entre ses bras. La réticence fur des faits si intéressans n'eft point pardonnable.

Il est encore plus répréhenfible de ne pas dire que Henri IV, étant gardé à vue après la Saint-Barthelemi, changea de religion. C'eft un fait fi important, & le nom de relaps, qu'on lui donna depuis, fufcita contre lui tant d'ennemis, & fut pour eux un prétexte fi fpécieux, qu'il eft impoffible de fe faire une idée nette des traverses qu'il efsuya, quand on omet ce qui en a été le principe; c'eft pécher contre la principale loi de l'histoire. Il eft vrai que quarante pages après,

(*) Tome I, page 13.

il dit un mot qui fuppofe cette abjuration de Henri IV: mais un mot qui n'eft pas à sa place ne fuffit pas ; & jam nunc dicat jam nunc &c.

Je paffe bien des fautes de cette espèce pour arriver à la mort du prince Henri de Condé en 1587. On ne trouve que cinq ou fix lignes fur ce fatal événement. Henri IV alors roi de Navarre, n'était qu'à quelques lieues de Saint-Jean d'Angeli, où le prince Henri de Condé était mort. Les lettres qu'il écrivit fur cette mort font un des plus précieux monumens de l'histoire; elles font connues, elles font authentiques : je les tranfcrirais ici fi elles n'étaient pas imprimées dans l'Essai fur les mœurs & l'efprit des nations. (Tom. IV, pages 31 & fuiv. de cette édition).

Ce font là des monumens précieux, abfolument néceffaires à un hiftorien qui doit s'inftruire avant que d'inftruire le public. Ce n'eft pas la peine de répéter des faits rebattus, & de tranfcrire fans choix les mémoires compofés par les fecrétaires du duc de Sulli, & trop corrigés par l'abbé de l'Eclufe. Qui n'a rien de nouveau à dire doit fe taire, ou du moins fe faire pardonner fon inutilité par fon éloquence.

Il faut furtout, quand on répète, ne fe pas tromper. L'exactitude doit venir au fecours de la ftérilité.

L'auteur s'exprime ainfi fur le prince palatin Cafimir, qui vint plufieurs fois faire la guerre en France : (*) "On donna au prince Cafimir, pour le renvoyer dans ,, fes Etats, une fatisfaction tant en argent qu'en ›› présens. ››

Ce prince Cafimir ne put être renvoyé dans fes Etats, car il n'en avait point; il était le quatrième fils (*) Tome I, page 86.

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