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controverfe, les perfécutions, les guerres enfantées par cette démence, & les horreurs qu'elles ont produites.

Si on ne rendait pas cette connaiffance familière aux jeunes gens; s'il n'y avait qu'un petit nombre de favans inftruits de ces faits, le public ferait auffi imbécille qu'il l'était du temps de Grégoire VII. Les calamités de ces temps d'ignorance renaîtraient infailliblement, parce qu'on ne prendrait aucune précaution pour les prévenir. Tout le monde fait à Marseille par quelle inadvertance la pefte fut apportée du Levant, & on s'en préferve.

Anéantiffez l'étude de l'hiftoire, vous verrez peutêtre des St Barthélemi en France, & des Cromwell en Angleterre.

ARTICLE X V.

Fragment fur la Saint-Barthélemi.

ON prétend en vain que le chancelier de l'Hospilal

& Chriflophe de Thou, premier préfident, difaient fouvent Excidat illa dies, (que ce jour périffe.) (h) Il ne périra point; ces vers même en confervent la mémoire. Nous fîmes auffi nos efforts autrefois pour la perpétuer. Virgile avait mieux réuffi que nous à transmettre aux fiècles futurs la journée de la ruine de Troie. La grande poëfie s'occupa toujours d'éternifer les

malheurs des hommes.

(h) Ce font des vers de Silius Italicus: Excidat illa dies avo, nec poflera credant fæcula.... &c.

Nous fûmes étonnés de trouver en 1758, près de deux cents ans après la Saint-Barthélemi, un livre contre les proteftans, dans lequel eft une differtation fur ces maffacres; l'auteur veut prouver ces quatre points qu'il énonce ainfi :

1°. Que la religion n'y a eu aucune part. 2°. Que ce fut une affaire de profcription. 3o. Qu'elle n'a dû regarder que Paris.

4°. Qu'il y a péri beaucoup moins de monde qu'on n'a écrit.

Au 1°. nous répondrons. Non fans doute, ce ne fut pas la religion qui médita, & qui exécuta les maffacres de la St Barthélemi; ce fut le fanatisme le plus exécrable. La religion eft humaine, parce qu'elle eft divine; elle prie pour les pécheurs, & ne les extermine pas; elle n'égorge point ceux qu'elle veut inftruire. Mais fi on entend ici par religion ces querelles fanguinaires de religion, ces guerres intestines qui couvrirent de cadavres la France entière pendant plus de quarante années, il faut avouer que cet effroyable abus de la religion arma les mains qui commirent les meurtres de la Saint-Barthélemi. Nous convenons que Catherine de Médicis, le duc de Guife, le cardinal de Birague, & le maréchal de Retz, qui confeillèrent ces maffacres, n'avaient pas plus de religion que monfieur l'abbé (*) qui en veut diminuer l'horreur. Il nous reproche d'avoir appelé Birague cardinal, fous prétexte qu'il ne fut décoré de la pourpre romaine, qu'après avoir répandu le fang des Français. Mais ne dit-on pas tous les jours que le (*) Caveyrac.

cardinal de Retz fit la première guerre de la fronde, quoiqu'il ne fût alors que coadjuteur de Paris? Que fait aux maffacres de la Saint-Barthélemi le quantième du mois où un Birague reçut fa barrette? eft-ce par de tels fubterfuges qu'on peut défendre une fi déteftable cause? Oui, le fanatisme religieux arma la moitié de la France contre l'autre; oui, il changea en affaffins ces Français aujourd'hui fi doux & fi polis, qui s'occupent gaiement d'opéra comiques, de querelles de danfeufes, & de brochures. Il faut le redire cent fois; il faut le crier tous les ans le 24 augufte, ou le 24 août, afin que nos neveux ne foient jamais tentés de renouveler religieusement les crimes de nos détestables pères.

2°.

Que ce fut une affaire de profcription.

Quelle affaire! profcrire fes propres fujets, fes meilleurs capitaines, fes parens, le prince de Condé; notre Henri IV, depuis reftaurateur de la France, notre héros, notre père, qui n'échappa qu'à peine à cette boucherie! On dit une affaire de finance, une affaire d'honneur ou d'intérêt, affaire de barreau, affaire au confeil, affaires du roi, homme d'affaires. Mais qui avait jamais entendu parler d'affaires de profcription? il femble que ce foit une chofe fimple & en ufage. Il n'eft que trop vrai que ce fut une proscription : & c'est ce qui excitera toujours nos cris & nos larmes.

Mais on laiffa au peuple fanatique & barbare le foin de choifir fes victimes. Le frère pouvait affaffiner fon frère, le fils plonger le couteau dans les mamelles qui l'avaient alaité. Il n'eft que trop vrai qu'on

égorgea des femmes & des enfans. Les charrettes chargées de corps morts de damoifelles, femmes, filles, & enfans, étaient menées & déchargées dans la rivière. Quelle affaire !

3°. Que cette affaire n'a jamais dû regarder que Paris.

Et pour nous prouver cette étrange affertion, monfieur l'abbé nous affure qu'à Troies un catholique voulut fauver la vie à Etienne Marguien; mais il ne nous dit point qu'Etienne Marguien échappât au carnage. Si cette affaire n'avait regardé que Paris, pourquoi la cour envoya-t-elle des ordres à tous les gouverneurs des provinces & des villes de répandre par-tout le fang des fujets? Il y en eut qui s'en excufèrent. Les feigneurs de Saint-Herem, de Chabot, d'Ortes, d'Ognon, de la Guiche, Gordes, & d'autres, écrivirent au roi en différens termes, qu'ils avaient des foldats pour fon fervice, & non des bourreaux.

Au refte, il doit nous être permis d'en croire les véridiques Augufte de Thou & Maximilien duc de Sulli, qui virent de bien plus près la Saint-Barthélemi que monfieur l'abbé qui n'y était pas, & qui ne passe peut-être pas pour auffi véridique.

4°. Qu'il y a péri beaucoup moins de monde qu'on n'a

écrit.

Il n'eft pas poffible de favoir le nombre des morts; on ne fait pas dans les villes le nombre des vivans. Tel auteur exagère, tel autre diminue, perfonne ne compte. Nous n'avons jamais cru aux trois cents mille farrazins tués par Charles Martel; il n'eft pas question ici de favoir au jufte combien de Français

furent maffacrés par leurs compatriotes. Qui pourra jamais avoir une lifte exacte des habitans de Theffalonique égorgés par l'ordre de Théodofe dans le cirque, où il les invita par des jeux folemnels? il est avéré que tout ce qui entra fut tué. Theffalonique était une ville marchande, opulente, & peuplée. Il n'eft pas vraisemblable qu'elle ne contînt que fept mille ames. Mais que Théodofe, dans fa Saint-Barthélemi, ait fait maffacrer quinze mille de fes fujets, ou trente mille, le crime est égal.

L'archevêque Péréfixe pouffe jufqu'à cent mille le nombre des victimes frappées dans la profcription de Charles IX. Le fage de Thou réduit ce nombre à foixante & dix mille. Prenons une moyenne proportionnelle arithmétique, nous aurons quatre-vingtcinq mille: Quelle affaire, encore une fois!

De nos jours, un avocat irlandais a plaidé pour les maffacres d'Irlande, exécutés fous le règne de l'infortuné Charles I. Il a foutenu que les Irlandais catholiques n'avaient affaffiné que quarante mille proteftans. Nous ne voulons pas compter après lui; mais en vérité ce n'eft pas peu de chofe que quarante mille citoyens expirans dans des tourmens recherchés, des filles attachées vivantes encore au cou de leurs mères fufpendues à des potences; les parties génitales des pères de famille, mifes toutes fanglantes dans la bouche de leurs femmes égorgées; & leurs enfans coupés par morceaux fous les yeux des pères & des mères; le tout à la plus grande gloire de DIEU.

Nous aurions mauvaise grâce de nous plaindre des reproches que nous fait monfieur l'abbé sur ce que

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