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créance du lecteur, c'eft celle-ci. Je la composai d'abord, comme on fait, fur les mémoires de M. Fabrice, de MM. de Villelongue, & de Fierville, &c fur le rapport de beaucoup de témoins oculaires ; mais comme les témoins ne voient pas tout, & qu'ils voient quelquefois mal, je tombai dans plus d'une erreur, non fur les faits effentiels, mais fur quelques anecdotes qui font affez indifférentes en elles-mêmes, & fur lefquelles les petits critiques triomphent.

J'ai depuis réformé cette hiftoire fur le journal militaire de M. Adlerfeld qui eft très-exacte, & qui a fervi à rectifier quelques faits & quelques dates.

J'ai même fait ufage de l'hiftoire écrite par Norberg, chapelain & confeffeur de Charles XII. Il eft vrai que c'est un ouvrage bien mal digéré, & bien mal écrit, dans lequel on trouve trop de petits faits étrangers à fon fujet, & où les grands événemens deviennent petits, tant ils font mal rapportés. C'est un tiffu de rescrits, de déclarations, de publications qui se font d'ordinaire au nom des rois quand ils font en guerre. Elles ne fervent jamais à faire connaître le fond des événemens; elles font inutiles au militaire & au politique, & font ennuyeufes pour le lecteur: un écrivain peut feulement les confulter quelquefois dans le befoin pour en tirer quelque lumière, ainsi qu'un architecte emploie des décombres dans un édifice.

Parmi les pièces publiques dont Norberg a furchargé fa malheureuse hiftoire, il s'en trouve même de fauffes & d'abfurdes, comme la lettre d'Achmet,

empereur des Turcs, que cet historien appelle fultan bassa, par la grâce de DIEU. (g)

Ce même Norberg fait dire au roi de Suède ce que ce monarque n'a jamais dit ni pu dire au fujet du roi Stanislas. Il prétend que Charles XII, en répondant aux objections du primat, lui dit que Stanislas avait acquis beaucoup d'amis dans fon voyage d'Italie. Cependant il eft très-certain que jamais Stanislas n'a été en Italie, ainfi que ce monarque me l'a confirmé lui-même. Qu'importe, après tout, qu'un polonais dans le dix-huitième fiècle ait voyagé ou non en Italie pour fon plaifir? Que de faits inutiles il faut retrancher de l'hiftoire ! & que je me fais bon gré d'avoir refferré celle de Charles XII!

Norberg n'avait ni lumière, ni efprit, ni connaiffance des affaires du monde ; & c'eft peut-être ce qui détermina Charles XII à le choifir pour fon confeffeur: je ne fais s'il a fait de ce prince un bon chrétien; mais affurément il n'en a pas fait un héros ; & Charles XII ferait ignoré, s'il n'était connu que par Norberg.

Il eft bon d'avertir ici que l'on a imprimé, il quelques années, une petite brochure intitulée: Remarques hifloriques & critiques fur l'hiftoire de Charles XII, par M. de Voltaire. Ce petit ouvrage eft du comte Poniatowski; ce font des réponses qu'il avait faites à de nouvelles queftions de ma part dans fon dernier voyage à Paris; mais fon secrétaire en ayant fait une double copie, elle tomba entre les mains d'un

(g) Voyez la lettre de M. de Voltaire à M. Norberg, à la tête de l'Hiftoire de Charles XII.

libraire qui ne manqua pas de l'imprimer; & un correcteur d'imprimerie de Hollande intitula critique cette inftruction de M. Poniatowski, pour la mieux débiter. C'eft un des moindres brigandages qui s'exercent dans la librairie.

La Motraye, domeftique de M. Fabrice, avait auffi imprimé quelques remarques fur cette hiftoire. Parmi les erreurs & les petiteffes dont cette critique de la Motraye eft remplie, il ne laiffe pas de fe trouver quelque chofe de vrai & d'utile; & j'ai eu soin d'en faire ufage dans les dernières éditions, & furtout dans celle de 1739: car en fait d'histoire, rien n'eft à négliger; & il faut confulter, fi l'on peut, les rois & les valets de chambre.

ARTICLE XII.

Remarques fur la manière d'étudier & d'écrire l'hiftoire.

NE ceffera-t-on jamais de nous tromper fur l'avenir,

le préfent, & le paffé? Il faut que l'homme foit bien né pour l'erreur, puifque dans le fiècle éclairé on prend tant de plaifir à nous débiter les fables d'Hérodote, & des fables encore qu'Herodote n'aurait jamais ofé conter même à des Grecs.

Que gagne-t-on à nous redire que Ménes était petit-fils de Noé? & par quel excès d'injustice peut-on fe moquer des généalogies de Moréri, quand on en fabrique de pareilles? Certes Noé envoya fa famille

voyager loin; fon petit-fils Ménès en Egypte, fon autre petit-fils à la Chine, je ne fais quel autre petitfils en Suède, & un cadet en Efpagne. Les voyages alors formaient les jeunes gens bien mieux qu'aujourd'hui: il a fallu chez nos nations modernes des dix ou douze fiècles pour s'inftruire un peu de la géométrie; mais ces voyageurs, dont on parle, étaient à peine arrivés dans des pays incultes, qu'on y prédifait les éclipses. On ne peut douter au moins que l'hiftoire authentique de la Chine ne rapporte des écliples calculées il y a environ quatre mille ans. Confucius en cite trente-fix, dont les miffionnaires mathématiciens ont vérifié trente-deux. Mais ces faits n'embarraffent point ceux qui ont fait Noé grand-père de Fo-hi; car rien ne les embarrasse.

D'autres adorateurs de l'antiquité nous font regarder les Egyptiens comme le peuple le plus fage de la terre; parce que, dit-on, les prêtres avaient chez eux beaucoup d'autorité: & il fe trouve que ces prêtres fi fages, ces législateurs d'un peuple fage, adoraient des finges, des chats, & des oignons. On a beau fe récrier fur la beauté des anciens ouvrages égyptiens, ceux qui nous font reftés font des maffes informes; la plus belle ftatue de l'ancienne Egypte n'approche pas de celle du plus médiocre de nos ouvriers. Il a fallu que Grecs enfeignaffent aux Egyptiens la sculpture; il n'y a jamais eu en Egypte aucun bon ouvrage que de la main des Grecs. Quelle prodigieufe connaissance, nous dit-on, les Egyptiens avaient de l'aftronomie! les quatre côtés d'une grande pyramide font expofes aux quatre régions du monde; ne voilà-t-il pas un grand effort d'aftronomie? Ces Egyptiens étaient-ils

les

autant de Caffini, de Halley, de Keplers, de TichoBrahe? Ces bonnes gens racontaient froidement à Hérodote que le foleil en onze mille ans s'était couché deux fois où il fe lève : c'était-là leur aftronomie.

Il en coûtait, répète M. Rollin, cinquante mille écus pour ouvrir & fermer les éclufes du lac Moris. M. Rollin eft cher en éclufes, & fe mécompte en arithmétique. Il n'y a point d'éclufe qui ne doive s'ouvrir & fe fermer pour un écu, à moins qu'elles ne foient très-mal faites. Il en coûtait, dit-il, cinquante talens pour ouvrir & fermer ces éclufes. Il faut favoir qu'on évalua le talent du temps de Colbert, à trois mille livres de France. Rollin ne fonge pas que depuis ce temps la valeur numéraire de nos espèces eft augmentée prefque du double, & qu'ainfi la peine d'ouvrir les éclufes du lac Moris aurait dû coûter, felon lui, environ trois cents mille francs, ce qui eft à peu près deux cents quatre-vingt-dix - fept mille livres plus qu'il ne faut. Tous les calculs de fes treize tomes se reffentent de cette inattention. Il répète encore après Hérodole, qu'on entretenait d'ordinaire en Egypte,, c'est-à-dire dans un pays beaucoup moins grand que la France, quatre cents mille foldats; qu'on donnait à chacun cinq livres de pain par jour, & deux livres de viande. C'eft donc huit cents mille livres de viande par jour pour les feuls foldats, dans un pays où l'on n'en mangeait presque point. D'ailleurs, à qui appartenaient ces quatre cents mille foldats, quand l'Egypte était divifée en plufieurs petites principautés? On ajoute que chaque foldat avait fix arpens francs de contribution; voilà donc deux millions quatre cents mille

arpens,

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