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d'exécuteurs. Si des officiers & des foldats courent au combat fur un ordre de leurs maîtres, cela eft dans l'ordre de la nature; mais que, fans aucun examen, ils aillent affaffiner de fang - froid un peuple fans défense, c'eft ce qu'on n'oferait pas imaginer des furies même de l'enfer. Ce tableau foulève tellement le cœur de ceux qui fe pénètrent de ce qu'ils lifent, que, pour peu qu'on foit enclin à la tristesse, on est fâché d'être né; on eft indigné d'être homme.

La feule chofe qui puiffe confoler, c'eft que de telles abominations n'ont été commifes que de loin à loin: n'en voilà qu'environ vingt exemples principaux dans l'efpace de près de quatre mille années. Je fais que les guerres continuelles qui ont défolé la terre font des fléaux encore plus deftructeurs par leur nombre & par leur durée; mais enfin, comme je l'ai déjà dit, le péril étant égal des deux côtés dans la guerre, ce tableau révolte bien moins que celui des profcriptions, qui ont été toutes faites avec lâcheté, puifqu'elles ont été faites fans danger, & que les Sylla & les Augufte n'ont été au fond que des affaffins qui ont attendu des paffans au coin d'un bois, & qui ont profité des dépouilles.

La guerre paraît l'état naturel de l'homme. Toutes les fociétés connues ont été en guerre, hormis les brames, & primitifs que nous appelons Quakers, & quelques autres petits peuples. Mais il faut avouer que très-peu de fociétés fe font rendues coupables de ces affaffinats publics appelés profcriptions. Il n'y en a aucun exemple dans la haute antiquité, excepté chez les Juifs. Le feul roi de l'Orient qui se soit livré à ce crime eft Mithridate; & depuis Augufte il n'y a

eu de profcriptions dans notre hémifphère que chez les chrétiens qui occupent une très-petite partie du globe. Si cette rage avait faifi fouvent le genrehumain, il n'y aurait plus d'hommes fur la terre, elle ne ferait habitée que par les animaux qui font fans contredit beaucoup moins méchans que nous. C'est à la philofophie, qui fait aujourd'hui tant de progrès, d'adoucir les mœurs des hommes; c'est à notre fiècle de réparer les crimes des fiècles paffés. Il eft certain que quand l'efprit de tolérance fera établi, on ne pourra plus dire:

Etas parentum pejor avis tulit

Nos nequiores, mox daturos
Progeniem vitiofiorem.

On dira plutôt, mais en meilleurs vers que ceux-ci :

Nos aïcux ont été des monftres exécrables,
Nos pères ont été méchans;

On voit aujourd'hui leurs enfans,

Etant plus éclairés, devenir plus traitables.

Mais pour ofer dire que nous fommes meilleurs que nos ancêtres, il faudrait que, nous trouvant dans les mêmes circonftances qu'eux, nous nous abftinffions avec horreur des cruautés dont ils ont été coupables; & il n'eft pas démontré que nous fuffions plus humains en pareil cas. La philofophie ne pénètre pas toujours chez les grands qui ordonnent, & encore moins chez les hordes des petits qui exécutent. Elle n'eft le partage que des hommes placés dans la médiocrité, également éloignés de

l'ambition qui opprime, & de la basse férocité qui eft à fes gages.

Il eft vrai qu'il n'eft plus de nos jours de perfécutions générales; mais on voit quelquefois de cruelles atrocités. La fociété, la politeffe, la raifon, infpirent des mœurs douces; cependant quelques hommes ont cru que la barbarie était un de leurs devoirs. On les a vu abuser de leurs miférables emplois fi fouvent humiliés, jufqu'à fe jouer de la vie de leurs femblables en colorant leur inhumanité du nom de justice; ils ont été fanguinaires fans néceffité : ce qui n'eft pas même le caractère des animaux carnaffiers. Toute dureté qui n'eft pas néceffaire est un outrage au genrehumain. Les cannibales fe vengent, mais ils ne font pas expirer dans d'horribles fupplices un compatriote qui n'a été qu'imprudent. (*)

Puiffent ces réflexions fatisfaire les ames fenfibles, & adoucir les autres!

(*) Allusion au fupplice du chevalier de la Barre. (Voyez le tome II de Politique & Légiflation.)

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