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de fon capital, fous prétexte qu'elle aurait reçu la valeur de ce capital en plufieurs années. Cette propofition révoltante ferait la deftruction de la fociété.

Tous les calculs qui fuivent font également fautifs. De fept autres millions, dit l'auteur, qui ne devront être remboursés qu'au denier fix, qui eft le prix courant de telles charges, elles pourront être remboursées en huit années & demie. Cet auteur n'entend pas un mot de la matière, & n'entend pas mieux l'arithmétique la plus fimple qu'il ne fait le français. Au lieu du denier fix il devait dire le denier feize & un quart, parce que fix pour cent font la feizième partie & un quart de cent; & il eft bien clair qu'en huit années & demie, un capital à fix pour cent d'intérêt ne ferait pas remboursé par la jouiffance. Six fois huit & demi font cinquante & un; de forte qu'il s'en manquerait prefque la moitié. Et que fignifie rembourfes qu'au denier fix? fix pour cent font-ils moins que cinq pour cent? Autant de paroles, autant d'inepties.

Nous ne pouvons affez nous étonner que des abfurdités fi groffières aient été imputées au cardinal de Richelieu, & nous ne pouvons qu'applaudir à M. de Voltaire qui a perfévéré conftamment à défendre fa mémoire.

19°. Nous avions penfé d'abord qu'il s'était exprimé avec trop peu d'exactitude, & trop d'exagération, quand il a reproché à l'auteur du teftament d'avoir voulu impofer les cours fouveraines à la taille: mais il n'eft que trop certain que cette propofition se trouve expreffément énoncée (page 175.) La taille est une ancienne impofition établie par les feigneurs des terres fur leurs vaffaux roturiers, fur les villains

nommés alors leurs fujets, impôt devenu humiliant. refte de fervitude, titre de baffeffe, auquel chacun cherche à fe dérober aujourd'hui, dès qu'il s'est élevé un peu par fon industrie.

Affujettir toute la robe à cette humiliation, ce ferait avilir la magiftrature au point qu'aucun citoyen ne voudrait embraffer cet état. La noble fonction de rendre la juftice ferait confondue avec les dernières claffes des hommes ; l'honneur de juger la nation deviendrait un opprobre; le commis d'un receveur des tailles ferait trembler fon juge. Une chimère auffi tyrannique rendrait le nom d'un miniftre éternellement odieux, s'il avait pu la propofer.

Il est très-vrai encore (page 101 ) que l'auteur du teftament propose d'ordonner à tous les gentilshommes qui auront paffe vingt ans de porter les armes, & d'ordonner à tous les capitaines de cavalerie, d'enrôler dans leurs compagnies au moins la moitié des gentilshommes.

C'eft dans le même chapitre (page 103) que l'auteur dit que fi l'on veut avoir cinquante mille hommes, il en faut lever cent mille.

Saifis d'étonnement à la lecture de tant d'étranges propofitions, nous croirions en effet être coupables envers la nation comme envers la mémoire d'un grand ministre, fi nous pouvions le foupçonner un moment d'avoir eu la moindre part à de tels fystèmes, qui nous paraiffent enfantés par un écrivain bien indigne du grand nom qu'il ufurpe. Nous penfons que pour peu qu'on ait de justice, on doit des remercîmens à celui qui nous a ouvert les yeux.

pu

faire

Il reste à rechercher comment il s'eft qu'on ait fi long-temps attribué au cardinal de Richelieu

ce teftament politique. Il est trop vrai, comme l'a dit M. de Voltaire, que bien qu'il y ait une foule immenfe de livres, on lit peu & on lit mal: l'efprit fe repose fur la foi d'un grand nom; il est plus aisė & plus commun de croire que d'examiner ; le temps donne de l'autorité à l'erreur ; ceux qui la combattent trop tard, passent pour téméraires ; & on emploie quelquefois pour la foutenir, toutes les armes dont on ne devrait fe fervir que pour défendre la vérité.

Enfin, pour réfumer tout ce que nous avons dit, nous penfons que M. de Foncemagne a faifi le vrai, en fefant voir que le cardinal de Richelieu commanda, lut & margina fon manifeste sous le nom de narration fuccincte; & que M. de Voltaire a prouvé que le teftament politique, joint à cette narration, n'eft, ni ne peut être l'ouvrage d'un miniftre dont le nom sera toujours illuftre, & qui nous devient cher de jour en jour par les mérites & les fervices des héritiers de fon nom & de fa gloire.

EXAMEN

DU

TESTAMENT POLITIQUE

DU CARDINAL ALBERONI.

APRÈS

PRÈS tant de teftamens caffés par le public, celui du cardinal Albéroni vient de paraître. Je fouhaite à l'éditeur qu'en effet le cardinal Albéroni l'ait mis fur fon teflament. Cet éditeur, ou cet auteur, connaît fans doute affez les hommes, les affaires, & le train du monde, pour ne pas favoir qu'un bon legs, qui procure une vie heureuse, vaut mieux que toutes les fpéculations politiques. Un écrivain fait un beau livre plein de profonds raifonnemens fur le commerce ruineux de l'Europe avec les grandes Indes: un négociant d'un trait de plume y envoie, fans railonner, des effets; il s'enrichit & ne lit point le livre. Il en est de même dans la politique; l'homme d'efprit oifif fait des projets pour changer la face de l'Europe; ceux qui gouvernent fuivent leur routine, & ne s'informent pas feulement fi on a fait des projets.

L'abbé de Bourzey's, dans la crainte de n'être point lu, prit fans façon le nom du cardinal de Richelieu, D'autres ont pris le nom de Mazarin, de Colbert, de Louvois, du duc de Lorraine. Tous ces teflamens font faits dans le goût de celui de Crifpin, qui prend la Mélanges hift. Tom. II.

Z

robe de chambre & le nom de Géronte dans le Légataire univerfel. On voit bien que ce n'eft pas Géronte qui a fait ce teftament-là; on y reconnaît bien vîte Crispin.

Ce n'eft pas un Crispin à la vérité qui a composé le teftament du cardinal Albéroni; c'eft un homme paffablement inftruit: mais il faut qu'il fe détrompe de la vanité de faire accroire que ce teftament foit effectivement l'ouvrage du cardinal. Il a beau dans fa préface vouloir éluder la loi que j'ai fait valoir, que ce feul mot teftament d'un miniftre, impose le devoir indifpenfable de dépofer dans des archives publiques l'original de l'ouvrage, ou d'en' conftater l'authenticité par des voies équivalentes; cette loi ne peut être violée fans que le public foit en droit de crier à la fuppofition. Il eft abfolument néceffaire de montrer au public qu'on ne le trompe pas, quand il s'agit d'ouvrages de cette importance. Lorsque je fis imprimer à la Haye l'Anti-Machiavel, j'en dépofai l'original à l'hôtel de ville, & il y eft encore. Auffi l'auteur ne prétend pas que le teftament du cardinal Alberoni foit l'ouvrage de ce miniftre; il dit feulement que ce font fes intentions; que c'eft un recueil de quelques penfées du cardinal, auxquelles l'éditeur a joint les fiennes; & par-là c'est un ouvrage qui peut devenir doublement précieux. Qu'on l'appelle teftament ou non, il n'importe: les titres des livres font comme ceux des hommes aux yeux du philofophe; il ne juge de rien par les titres.

Que ce foit le cardinal Albéroni, ou fon truchement, qui propose au roi d'Espagne d'encourager

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