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est pas dit un mot dans le teftament; & cependant la narration fuccincte ne peut être que du mois d'août 1641, trois ans après la naissance du dauphin. Ainfi dans cette longue déclamation adreffée à Louis XIII, dans ces confeils donnés à fon fouverain d'un ton de maître, il n'eft queftion, ni de l'héritier de la couronne, ni des grands intérêts du roi, ni de ceux du royaume.

Queftion intéreffante.

SOUFFREZ que je vous propose un de mes doutes, qui me paraît mériter l'attention du public.

Je ne fais s'il eft bien vraisemblable qu'un grand miniftre ait confeillé de perpétuer l'abus de la vénalité des charges; la France eft le feul pays fouillé de cet opprobre.

Je ne fais s'il eft bien vrai que ce qu'on appelle baffe naiffance, produit rarement les qualités néceffaires à un magiftrat, & que de deux perfonnes dont le mérite est égal, celle qui eft plus aifée en fes affaires eft préférable à l'autre. Le teftament ajoute: Il est certain qu'il faut qu'un pauvre magiftrat ait l'ame d'une trempe bien forte, fi elle ne fe laiffe amollir quelquefois par la confidération de fes intérêts.

Le cardinal pouvait-il penfer ainfi, lui qui avait vu les magiftrats les plus pauvres du parlement, Barillon, Sallo, l'Ainé, Bitaut, & le père de Scarron, refifter à fa violence avec le plus de courage?·

Peut-être les hommes d'une fortune médiocre font en tout pays les meilleurs citoyens, puifqu'ils

font

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font au - deffus d'une extrême pauvreté qui peut conduire à des baffeffes, & au-deffous de la grande opulence qui nourrit prefque toujours l'ambition.

A l'égard de ce qu'il appelle baffe naiffance, les avocats dont on tire les magiftrats dans tout le refte de l'Europe, font tous des citoyens de familles honnêtes, & précisément dans cet état également éloigné de la mifère & de la fortune, état convenable à l'intégrité de la magiftrature; tous ont reçu une bonne éducation, tous ont étudié les lois : la diffipation & les plaifirs, fuite ordinaire de la richeffe, ne les ont point corrompus; ils enseignent les magiftrats, & font par conféquent dignes de l'être.

Avouons que la vénalité des charges eft un trèsgrand mal, qui n'a eu fa fource que dans les malheurs de François I, & dans la très-mauvaise administration de fes finances.

Ce ferait une chofe monflrueufe en Angleterre, en Allemagne, en Espagne, & même dans presque toute l'Italie, que d'acheter le droit de juger les hommes, comme on achète un pré & un champ. Cet abus n'eft connu ni en Turquie, ni en Perfe, ni à la Chine.

Enfin, je ne puis imaginer qu'un ministre ait pu confeiller le maintien de ce trafic honteux contre lequel l'univers entier réclame. Tous ceux qui exercent aujourd'hui la magiftrature en France avec tant de dignité & de juftice, aimeraient mieux avoir été élus à la pluralité des voix, comme ils l'auraient été fans doute, que d'avoir tous acheté leur office à prix d'argent. Ainfi cette magiftrature elle-même s'élève avec le refte de la terre contre l'abus qu'on fuppofe approuvé par le cardinal de Richelieu.

Mélanges hift. Tome II.

X

Conclufion.

JE perfifte toujours, Monfieur, dans mon fentiment, qui a été le vôtre, & qui femble encore l'être, c'eft-à-dire, que le cardinal de Richelieu put jeter un coup-d'œil fur la narration fuccincte de l'abbé de Bourzeys; & j'ajoute que, fi le cardinal avait vu le refte, il n'aurait pas eu grande opinion de la capacité de ce projeteur.

Le monde eft plein de ces donneurs d'avis qui font parler les miniftres; mais j'ofe croire que toutes les fois qu'on attribue à un miniftre des projets visiblement impraticables, des calculs erronés, des affertions évidemment fauffes, des erreurs groffières fur les chofes les plus communes', des déclamations de rhétorique fans objet précis, & de vagues réflexions. fans convenance, qui n'ont rien de commun ni avec l'état préfent des chofes, ni avec la fituation du miniftre, ni avec le caractère du prince à qui s'adresfent ces difcours, on peut être affuré que l'ouvrage n'eft point du miniftre.

Pouvez-vous penfer autrement, Monfieur, vous qui foupçonnez toujours dans vos remarques, que Bourzeys & Dageant ont fabriqué le teftament politique? vous qui, effrayé des bévues dont les chapitres fur le commerce & la finance fourmillent, dites, page 118 Ce pourrait bien étre le fruit du travail de Dageant; vous n'avez donc écrit en effet que pour confirmer mon opinion, & pour prouver que le teftament n'est pas du cardinal.

Je ne peux imaginer, Monfieur, que vous fouteniez le pour & le contre, & que vous vouliez vous

contredire, parce que le teftament fe contredit en cent endroits. Je crois devoir inférer de tout votre ouvrage, que, quand vous dites le cardinal de Richelieu, vous entendez toujours Dageant & Bourzeys.

Cependant comment se peut-il faire qu'étant vousmême perfuadé que le teftament prétendu n'est pas du cardinal de Richelieu, & que la moitié de cet ouvrage eft un tiffu de lieux-communs, & l'autre moitié un amas de projets impraticables, vous penfiez m'éblouir en me difant qu'il a été loué par la Bruyère? N'eft-il jamais arrivé qu'un homme de lettres se soit laiffé féduire par un grand nom, par l'envie de faire fa cour à des perfonnes puiffantes, enfin par l'erreur populaire, qui domine fouvent les efprits les mieux faits? Si l'abbé de Bourzeys avait donné fes idées politiques fous fon nom, on en aurait ri, comme des projets de M. Ormin & de Caritidės.

Il fentit combien Sofie a raison de dire :

Tous ces difcours font des fottifes,
Partant d'un homme fans éclat;
Ce ferait paroles exquifes,

Si c'était un grand qui parlât.

Dès qu'une fois la prévention eft établie, vous favez que la raifon perd tous fes droits. Les noms en tout genre font plus d'impreffion que les choses.

Vous avez peut-être entendu parler de ce qui fe paffa dans un fouper au Temple chez M. le prince de Vendôme, au fujet des fables de la Motte. Elles venaient de paraître, & par conféquent tout le monde affectait d'en dire du mal. Le célébre abbé

de Chaulieu, l'évêque de Luçon, fils du fameux Buffi Rabutin, & beaucoup plus aimable que fon père, un ancien ami de Chapelle, plein d'efprit & de goût, l'abbé Courtin, & d'autres bons juges des Quvrages, s'égayaient aux dépens de la Motte; le prince de Vendôme & le chevalier de Bouillon encheriffaient fur eux tous; on accablait le pauvre auteur; je leur dis Meffieurs, vous avez tous raison; vous jugez en connaiffance de caufe: quelle différence du ftyle de la Motte à celui de la Fontaine ! Avez-vous vu la dernière édition des Fables de la Fontaine ? Non, dirent-ils. Quoi, vous ne connaissez pas cette belle fable qu'on a retrouvée parmi les papiers de madame la ducheffe de Bouillon? Je leur récitai la fable, ils la trouvaient charmante, ils s'extafiaient. Voilà du la Fontaine ! difaient-ils; c'eft la nature pure; quelle naïveté! quelle grâce! Meffieurs, leur dis-je, la fable eft de la Motte; alors ils me la firent répéter, & la trouvèrent déteftable.

J'ai été fouvent à portée de conter cette histoire à propos; & je crois que c'eft ici fa véritable place.

Vous pensez, Monfieur, juftifier les bévues du miniftre par les miennes; vous feignez de croire que le cardinal de Richelieu a pu prendre le pape Benoît XI pour le pape Jean XXII, parce que mon imprimeur allemand a mis dans l'Effai fur les maurs &c., la Sardaigne pour la Cerdagne. Vous concluez de ce que j'ai dit des fottifes, que le cardinal de Richelieu a pu auffi en dire. Le cas eft bien différent. Il n'eft pas permis à un miniftre de fe tromper quand il donne des leçons à fon maître. Je ne donne de leçons à

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