Page images
PDF
EPUB

ce livre peu digne de lui, intitulé Politique tirée de l'écriture fainte; mais ce fublime écrivain aurait bien négligé toute décence, s'il avait fait un tel ouvrage pour l'ufage de Louis XIV. Vous favez mieux qu'un autre, Monfieur, comment il faut parler aux jeunes princes & aux princes d'un âge mûr; & dans le fond de votre cœur, vous fentez encore mieux que moi les prodigieufes disparates que j'ai obfervées, & l'extrême inconvenance de dire à un prince qui règne depuis trente-fix ans, ce qu'on dirait à peine à un enfant qu'on élève, & furtout ce qu'il ne faudrait pas lui dire dans un ftyle prolixe & rebutant.

Queftion importante.

IMAGINONS que Louis XIV, après les batailles d'Hochftet, de Ramillies, d'Oudenarde, de Turin, manquant d'argent, ayant peine à recruter fes armées, demanda au maréchal de Villars un plan qui pût remédier aux maux préfens de la France. Croyez-vous de bonne foi qu'alors le maréchal de Villars, prêt à partir pour entrer en campagne, eût dit au roi, Sire, il faut commencer par reftreindre " les appels comme d'abus; toute contravention à , la pragmatique a été eftimée cas privilégié ; vous " avez tort de prétendre le droit de régale dans ,, certains diocèfes: il faut annexer à la Sainte"Chapelle une abbaye; il ne faut pas croire les , gens de palais, qui jugent de la puiffance du roi " par la forme de fa couronne, qui étant ronde, " n'a point de fin; les univerfités prétendent qu'on leur fait un tort extrême, de ne leur pas laiffer

1

"privativement à tout autre la faculté d'enfeigner ,, la jeuneffe.

"L'hiftoire de Benoît XI contre les cordeliers qui, " piqués fur le fujet de la perfection de la pauvreté, fource des revenus de St François, s'animèrent à tel point qu'ils lui firent ouvertement la guerre " par livres &c.

"Je vous apprends que les meilleurs princes ont , befoin d'un bon confeil: je vous apprends qu'un " prince capable est un grand tréfor dans un Etat, ,, & que beaucoup de qualités font requifes pour "faire un confeiller d'Etat parfait. Je vous apprends ,, qu'un confeiller d'Etat doit être un honnête homme; & voici fept grands paragraphes où je parle des grands confeillers d'Etat, fans dire un feul mot du fait dont il s'agit. (a)

" Il est question, Sire, d'empêcher les ennemis de venir à Paris ; mais n'en parlons point. Apprenez, à votre âge, que le règne de DIEU " eft le principe du gouvernement des Etats, & que la pureté d'un prince chafte bannira plus d'im" pureté du royaume que toutes les ordonnances " qu'on pourrait faire à cette fin.

Ecoutez, Sire, cette vérité fi peu connue; la " raison doit être la règle & la conduite d'un Etat; la lumière naturelle fait connaître à un chacun " que l'homme, ayant été fait raisonnable, ne doit " rien faire que par cette raison.

(Cette maxime eft nouvelle, je l'avoue, mais elle n'en eft pas moins curieufe, & elle prouve

(4) L'abbé de Bourneys avait le titre de conseiller d'Etat.

qu'il ne faut pas croire le P. Canaye qui loue tant le maréchal d'Hocquincourt de n'avoir point de raifon.)

"Je vous apprends que la prévoyance eft néceffaire au gouvernement d'un Etat.

"Je me donnerai bien de garde de vous dire "' quels négociateurs fecrets il faudrait employer " pour détacher l'Angleterre de l'Allemagne & de ,, la Hollande, pour oppofer le comte d'Oxford au , duc de Marlborough; mais lifez, fi vous pouvez, ,, mon chapitre VII, où je parle des négociations; je vous y apprends que la faveur peut innocemment avoir lieu dans quelques chofes, lorsque , le trône de cette fauffe déeffe eft élevé au-deffus , de la raison lifez le chapitre VII, où un abbé ,, que j'ai confulté, dit que les Français étant ,, deftitués de flegme, font des viandes fervies fans ,, fauffe.,,

Si le maréchal de Villars avait parlé ainsi, n'eft-il pas vrai que le roi Louis XIV l'aurait cru un peu affaibli du cerveau, & ne l'eût certainement pas envoyé commander fur la frontière ?

Voilà pourtant très-précisément ce qu'on impute au cardinal de Richelieu.

Maintenant je fuppofe que le cardinal eût donné à lire fon teftament à Louis XIII qui ne lifait jamais; je fupppose même que le roi eût fait l'effort difficile de parcourir cet ouvrage; dans quel excès de furprise ne ferait-il pas tombé ? n'aurait-il pas été en droit de dire à fon miniftre : J'attendais de vous des

confeils un peu plus précis : vous favez de quelle importance il eft d'attacher à mon fervice les

" troupes veimariennes, & que c'eft l'unique moyen d'incorporer l'Alface à la France.

"La Savoie va nous échapper le chancelier " Oxenfliern peut faire une paix avantageuse avec ,, l'Allemagne, & nous abandonner. De grands troubles fe préparent en Angleterre, dont il me ,, femble que nous pouvons profiter.

"Quel avantage tirerons-nous de la révolte de la Catalogne contre le roi d'Efpagne, & de la " prife de Turin par le comte de Harcourt de " Lorraine?

"Quels négociateurs emploierons - nous pour "attacher le landgrave de Heffe aux intérêts de la France? Avons-nous affez d'argent pour lui "des fubfides?

payer

" Quel fecours pouvons nous donner au " Portugal?

"Par quel moyen pourrons-nous diffiper les " confpirations qui fe trament en fecret en France? "Quelles propositions faudra-t-il faire au duc de ,, Bouillon, pour l'engager à céder sa principauté de ,, Sédan, & à n'avoir déformais d'autre intérêt que celui de me fervir?

"Que dois-je faire furtout pour écarter de mon " frère les confeillers pernicieux qui font près de l'engager à prendre les armes ?

,, Parlez-moi de tant d'intérêts importans de qui dépend le deftin de l'Europe & de la France: ces feuls objets font dignes de vous & de moi; laiffez-là vos viandes fervies fans fauffe, & vos , fept paragraphes des devoirs d'un confeiller ,, d'Etat. Je veux bien que l'abbé de Bourzeys &

,, Sirmon, & Salomon, &c..... aient le brevet de ,, confeiller d'Etat pour faire votre panégyrique, ,, mais je ne veux pas qu'ils m'ennuient.

"Votre abbé de Bourzeys m'a déjà fait perdre ,, mon temps à lire une narration fuccincte & erronée , de ce qui s'eft paffé publiquement depuis quelques " années, & de ce que je favais mieux que lui. ,, Tâchez donc de me procurer un mémoire fuccinct " de ce que je dois faire ; que l'un foit la fuite de ,, l'autre ; & fi Bourzeys n'eft pas capable d'un tel ,, ouvrage, donnez le à faire à Colletet ou à " Chapelain.""

Je demande à M. de Foncemagne & à tous les lecteurs, fi un tel difcours dans la bouche de Louis XIII n'aurait pas été d'autant plus raisonnable, que le teftateur politique emploie une section entière à prouver qu'il faut être gouverné par la raison?

Suite de cette queftion.

TROUVEZ bon, Monfieur, que je me ferve encore d'une de vos allégations pour me prouver invinciblement à moi-même que ce célébre ministre n'a point fait le teftament qu'on lui reproche.

Vous le reconnaiffez, dites-vous, au confeil qu'il donne à Louis XIII en ces termes :

Conjurant " votre majefté d'appliquer fon efprit aux grandes chofes importantes à fon Etat, & de méprifer les ", petites. "'

[ocr errors]

Voilà précisément le défaut dans lequel on fait tomber le cardinal; rien n'était plus important que l'éducation du dauphin: quel gouverneur lui donnerat-on? qui mettra-t-on auprès de fa perfonne ? Il n'en

« PreviousContinue »