Page images
PDF
EPUB

De bonne foi penfez-vous qu'un capucin ait donné un mémoire au roi, par lequel il lui enfeignait qu'il fallait qu'un roi crût en tout fon premier miniftre, qu'il ne crût rien contre fon premier miniftre, qu'il révélât à fon premier miniftre tout ce qu'on lui dirait contre lui, qu'il comblât d'honneurs & de biens fon premier miniftre, qu'il donnât une autorité fans bornes à fon premier miniftre? Eft-il bien vraisemblable qu'un grand-homme fe foit fervi auprès d'un maître très-défiant, d'un artifice fi groffier? Si un capucin, ami de votre maître-d'hôtel, venait vous présenter un pareil mémoire, vous renverriez le capucin dans fon couvent, & vous pourriez bien vous défaire de votre maître-d'hôtel.

Souffrez qu'après avoir fait avec vous ces petites réflexions, & avoir jusqu'ici écrit en critique fur cette matière, j'ofe vous parler à préfent en citoyen.

Parmi les maximes très-triviales dont le teftament politique est plein, il y en a de fort dures. Parmi les confeils qu'on ofe y donner, il y en a de bien violens. L'auteur du teftament a cru qu'en fefant parler le cardinal de Richelieu, il fallait le faire parler en homme d'une févérité outrée, comme Corneille, en mettant les anciens Romains fur le théâtre, leur a donné quelquefois plus d'orgueil & de férocité qu'ils n'en avaient, ou plutôt comme un domestique parle fouvent avec fierté au nom de fon maître.

Mais, Monfieur, quel fervice rendrait - on aux hommes en voulant mettre fous le nom d'un prêtre, d'un évêque, d'un grand miniftre, des maximes impitoyables? Nous vivons fous un roi doux, bienfefant, indulgent; mais il fe peut faire que dans la fuite des fiècles la nation ait des fouverains moins

remplis d'humanité. Ne feront-ils pas encouragés à la dureté, à l'abus de la fuprême puiffance, quand ils croiront que le plus grand miniftre de l'Europe a confeillé à fon maître de ne point pardonner, de dépouiller tous les magiftrats qui confument leur vie à étudier & à maintenir les lois, qui exercent une des plus nobles fonctions de la royauté, & qui n'ont d'autre récompenfe de leurs travaux que leurs travaux mêmes; de les dépouiller, dis-je, de leurs droits & de leurs priviléges; enfin de faire payer la taille aux parlemens, aux chambres des comptes, au grand confeil &c., & d'enrôler la nobleffe comme des payfans? Ces deux propofitions auffi tyranniques qu'extravagantes, n'auraient-elles dû fuffire pour deffiller les yeux?

pas

Non-feulement je vous foumets, Monfieur, toutes les raifons que j'ai alléguées, mais j'en appelle à toutes celles que votre bon efprit vous fournit; je réclame l'intérêt du genre-humain. Remercions à jamais le jufte, le modéré, l'élégant précepteur du duc de Bourgogne, d'avoir écrit le Télémaque ; & fouhaitons que le cardinal de Richelieu n'ait point écrit ce teftament.

Vous avez un cœur digne de votre génie : que l'un & l'autre s'uniffe pour daigner m'éclairer si je me trompe.

M. de Foncemagne a travaillé depuis à m'éclairer ; il a cherché par-tout des copies du teftament politique; il a fait réimprimer ce célébre ouvrage, & l'a rendu encore plus célébre par fes remarques. Je prends la liberté de lui demander de nouvelles inftructions; & j'entre en matière.

NOUVEAUX DOUTES

Sur l'authenticité du teftament politique attribué au cardinal de Richelieu, & fur les remarques de M. de Foncemagne.

Objection.

IL est dit dans la préface du Teslament politique du

cardinal de Richelieu, nouvellement imprimé à Paris chez le Breton 1764:

,, M. de Voltaire attaqua le teftament politique en 1749, dans une courte differtation intitulée, 19 Des menfonges imprimés &c. Le paradoxe qu'il voulait 2 établir trouva des contradicteurs. Entre les écrits ,, qui furent publiés, on distingua celui qui portait le titre de Lettre fur le teftament politique; lettre " polie & folide, dans laquelle M. de Voltaire ne " put avoir à se plaindre que de la force des preuves " qu'on lui oppofait.

Réponse.

L'OPINION de M. de Voltaire, bien loin d'être un paradoxe, eft l'opinion d'Aubery, hiftoriographe du cardinal de Richelieu, & penfionné de la duchesse d'Aiguillon fa nièce. C'eft l'opinion de Gui-Patin, de Richard, de le Vaffor; c'eft le fentiment d'Ancillon, de l'auteur très-inftruit déguifé fous le nom de Vigneul, du père d'Aurigny, auteur des excellens

mémoires pour fervir à l'hiftoire du dix-feptième fiècle, du judicieux & profond le Clerc, & enfin du fage & favant la Monnoie.

Quelle autorité plus forte que celle d'Aubery, qui écrivait fous les yeux de la nièce du cardinal, de fa nièce chérie, dépofitaire de tous fes fentimens & de tous fes papiers? Serait-il poffible que l'écrivain de la vie du cardinal eût fupprimé un fait auffi effentiel que celui du teftament politique, qui devait avoir été préfenté à Louis XIII par la famille du cardinal, & dont une copie authentique devait être entre les mains de cette ducheffe? Ne lui aurait-elle pas fait voir ce fameux teftament? Ne lui aurait-elle pas dit: comment oubliez-vous un ouvrage fi intéressant, fi public, & qu'on croit fi glorieux pour mon oncle? M. de Foncemagne fait affez du moins que c'est ainfi qu'en aurait ufé une troifième duchesse d'Aiguillon, non moins célébre que les deux autres, par tout ce qui peut mériter l'eftime & les hommages du public.

Non-feulement Aubery ne parle point de ce teflament dans cette hiftoire, mais voici comme il s'exprime dans celle du cardinal Mazarin: (a)

" On a imprimé ces derniers jours (c'est-à-dire " en 1688) un teftament politique du cardinal de Richelieu, contre lequel il n'y a point de lecteurs, " pour peu de lumière & ou de connaiffance qu'ils aient de l'hiftoire du temps, qui ne réclament &

(a) Aubery, Hiftoire du cardinal Mazarin, tome IV, pages 337 & 338, édition de 1718, à Amfterdam chez le Cène.

,, ne fe récrient. Il ne faut, pour le détruire, que , les mêmes raifons dont l'imprimeur fe fert pour "effayer de l'établir.

" Ce n'eft en effet qu'un ouvrage de doctrine, " qui traite particulièrement des appels comme ,, d'abus, des cas privilégiés, de la régale prétendue ,, par la fainte chapelle fur tous les évêchés de ,, France, des exemptions du patronage ecclefiaftique " & laïque, du droit d'indult & d'autres matières ,, femblables: de forte que c'est tacitement reprocher ,, à un fi fameux miniftre l'ambition & la honte ❞ d'avoir voulu s'ériger en auteur, & faire à-peu-près ,, des recherches comme celles de Pafquier.

,, D'ailleurs, étant un ouvrage affez gros, & ,, rempli d'observations fort communes, on ne ,, faurait s'imaginer auquel de fes fecrétaires il l'aurait dicté, & encore moins comme il l'aurait " écrit lui-même. Il eft conftant que le cardinal " de Richelieu a toujours dicté, & n'a jamais guère ,, écrit.

,, Mais il y a plus: on y remarque force imper"tinences, bévues, & fuppofitions. Ce prétendu ,, teftament commence par une lettre du teftateur ,, au feu roi, avec la foufcription Armand Dupleffis:

cependant il n'a jamais foufcrit fes lettres à › Louis XIII que de deux manières, ou comme " évêque, ou comme cardinal. La première des ,, deux était l'évêque de Luçon, & l'autre le cardinal de " Richelieu. Il n'y en doit point avoir de troifième ; , & s'il s'en trouve, ce ne peut être qu'une pièce ,, fuppofée.

« PreviousContinue »