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zèle; tandis que, fans citer d'autres provinces, les feuls émigrans de Saltzbourg avaient laissé leur patrie déferte.

Le système de la tolérance a fait des progrès rapides dans le nord, depuis le Rhin jufqu'à la mer Glaciale, parce que la raison y a été écoutée, parce qu'il eft permis de penser & de lire. On a connu dans cette vafte partie du monde que toutes les manières de fervir DIEU peuvent s'accorder avec le service de l'Etat. C'était la maxime de l'empire romain dès le temps des Scipions jufqu'à celui des Trajans. Aucun potentat n'a plus fuivi cette maxime que Catherine II. Non-feulement elle établit la tolérance chez elle mais elle a recherché la gloire de la faire renaître chez fes voisins. Cette gloire est unique. Les fastes du monde entier n'ont point d'exemple d'une armée envoyée chez des peuples confidérables pour leur dire Vivez juftes & paifibles.

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Si l'impératrice avait voulu fortifier fon empire des dépouilles de la Pologne, il ne tenait qu'à elle. Il fuffifait de fomenter les troubles au lieu de les apaifer. Elle n'avait qu'à laiffer opprimer les grecs, les évangéliques, & les réformés ; ils feraient venus en foule dans fes Etats. C'eft tout ce que la Pologne avait à craindre. Le climat ne diffère pas beaucoup ; & les beaux arts, l'efprit, les plaifirs, les fpectacles, les fêtes, qui rendaient la cour de Catherine II la plus brillante de l'Europe, invitaient tous les étrangers. Elle formait un empire & un fiècle nouveau, & l'on eût été chez elle de plus loin pour l'admirer.

Tandis que l'impératrice de Ruffie fefait naître chez elle les lois & les plaifirs, la difcorde, sous le

à

mafque de la religion, bouleverfa la Pologne; les plus ardens catholiques, ayant le nonce du pape leur tête, implorèrent l'Eglife des Turcs contre la grecque & la proteftante. L'Eglife turque marcha fur la frontière avec l'étendard de Mahomet; mais Mahomet fut battu pendant quatre années de fuite par St Nicolas patron des Ruffes, fur terre & fur mer. L'Europe vit avec étonnement des flottes pénétrer du fond de la mer Baltique auprès des Dardanelles, & brûler les flottes turques vers Smyrne. Il y eut fans doute plus de héros ruffes dans cette guerre qu'on n'en fuppofa dans celle de Troie. L'hiftoire l'emporta fur la fable. Ce fut un beau spectacle que ce peuple naiffant, qui feul écrafait par-tout la grandeur ottomane fi long-temps victorieufe de l'Europe réunie, & qui fefait revivre les vertus des Miltiades, lorfque tant d'autres nations dégénéraient.

La faction polonaife oppofée à fon roi n'eut d'autre reffource que l'intrigue ; & comme la religion était mêlée dans ces troubles, on eut bientôt recours aux affaffinats.

A quelques lieues de Varfovie eft une NotreDame auffi en vogue dans le Nord que celle de Lorette en Italie. Ce fut dans la chapelle de cette ftatue que les conjurés s'engagèrent par ferment de prendre le roi, mort ou vif, au nom de JESUS & de fa mère. Après ce ferment, ils allèrent fe cacher dans Varfovie chez des moines, & n'en fortirent que pour accomplir leur promeffe à la Vierge. Le carroffe du roi fut entouré, plufieurs domeftiques tués aux portières, le roi bleffé de coups de fabre, & effleuré

de coups de fufil. Il ne dut la vie qu'aux remords d'un des affaffins. Ce crime, qu'on avait voulu rendre facré, ne fut que lâche & inutile.

La fuite de tant d'horreurs fut le démembrement de la Pologne, que Staniflas Leczinsky avait prédit. L'impératrice-reine de Hongrie Marie-Thérèfe, l'impératrice Catherine II, Fréderic le grand roi de Prufse, firent valoir les droits qu'ils réclamaient fur trois provinces polonaifes. Ils s'en emparèrent; on n'osa s'y oppofer. Tel fut le débrouillement du chaos polonais.

ARTICLE X X III.

De la mort de Louis XV, & de la fatalité.

LOUIS

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JOUIS XV a été le feul roi de France qui soit mort de cette funefte maladie nommée variole, ou petite vérole. Il a été le feul fur dix mille perfonnes qui en ait été attaqué deux fois; car on affure qu'il l'avait eue à quatorze ans.

C'est encore un événement non moins unique, que ce venin l'ait comme choifi au milieu de toute fa cour, pour le faire périr à l'âge de foixante & quatre ans, dans le temps que perfonne n'en éprouvait la moindre atteinte ni dans le château, ni dans la ville de Verfailles.

Voilà trois fatalités étranges. Une quatrième eft la manière dont on prétend qu'il prit la variole dont il est mort.

Il avait rencontré à la chaffe un enterrement ; il s'en approcha, & demanda qui on allait enfevelir. On lui répondit que c'était une jeune fille, morte de la petite vérole.

Cette rencontre parut ne lui faire aucune impreffion; mais depuis ce moment, fon teint sembla un peu obfcurci; & deux jours après, fon chirurgien dentifte nommé Bourdet, homme très -expérimenté, en examinant fes gencives, leur trouva un caractère qui annonçait une maladie dangereufe. Il en avertit un miniftre d'Etat. Sa remarque fut négligée; bientôt cette maladie fe déclara, & le roi mourut.

Il eft à croire qu'il n'avait eu, cinquante ans auparavant, qu'une petite vérole volante, qui n'eft pas la petite vérole proprement dite: car le nombre des maladies qui affligent le genre humain eft fi énorme que nous manquons de termes pour les exprimer. Il en eft des maux du corps comme de ceux de l'ame point de langue qui peigne par la parole toutes ces triftes nuances. Mais il résulte de cet exemple que la petite vérole tue, & que l'inoculation fauve.

M. le duc d'Orléans donna une grande & falutaire leçon à la famille royale, en fefant inoculer fes enfans. Le duc de Parme fit bientôt après fur fon fils une épreuve auffi heureuse.

Le roi de Danemarck, & enfuite le roi de Suède & fes frères, en fubiffant l'inoculation, ont excité tout le Nord à les imiter ; &, en affurant leur précieufe vie, ont confervé celle de la fixième partie de leurs fujets.

L'impératrice-reine de Hongrie a fait le même bien à l'Allemagne.

L'impératrice de la vaste Ruffie, en essayant sur elle-même l'inoculation qu'elle préparait à fon fils unique, en lui donnant la petite vérole de fon propre ferment, en fefant parcourir tous fes Etats par des chirurgiens inoculateurs, a sauvé la vie au quart de fes peuples, qui mourait auparavant de cette pefte continuelle répandue fur toute la terre, & plus funefte en Ruffie qu'ailleurs.

Enfin, pour remonter à la fource de ces grands exemples, l'épouse du roi d'Angleterre George II, en donnant la première cette variole artificielle aux princes fes enfans, pour leur épargner la naturelle, fut la première qui fauva l'Europe chrétienne.

Les Turcs, que leur système de la prédestination abfolue, & plus encore leur négligence empêchent de se préserver de la pefte, emploient pourtant l'inoculation depuis long-temps pour fe préferver de cette autre pefte de la petite vérole. Les Tartares leur ont enfeigné cette méthode qu'ils tenaient de l'Inde; & l'Inde la tenait de la Chine.

Même lorsque le médecin Mead (1) fit en Angleterre les premières expériences de l'inoculation en 1721, il la tenta à la manière chinoise fur un des fujets qu'on lui donna, & elle réuffit.

Non-feulement tout notre hémisphère conspire à détruire ce poifon que les conquérans arabes apportèrent au feptième fiècle de notre ère; mais

(1) On prononce Mide.

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