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ont précédés ne soient pas perdues pour nous et pour ceux qui viendront après nous (1). ›

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Un autre historien protestant, et non des moindres, M. de Pressensé, au contraire, dans son livre, l'Eglise et la Révolution française, n'a que des sarcasmes pour la théophilanthropie.

Il réédite contre elle les calomnies catholiques, celles même que Grégoire n'avait acceptées que sous bénéfice d'inventaire.

Il affirme, par exemple, que les théophilanthropes ne payaient pas seulement leurs orateurs, mais encore les individus qui assistaient à leurs cérémonies (2), et il se félicite du déni de justice par lequel Bonaparte retira aux théophilanthropes l'usage des édifices publics, et leur interdit de se réunir dans des locaux particuliers. Voici le jugement dédaigneux inspiré par le pur esprit de parti qu'il laisse tomber sur cette église déiste dont le grand crime fut de ne pas durer! « Cette niaise pastorale était incapable de ranimer les préoccupations religieuses dans la France révolutionnaire, lors même qu'un de ses premiers magistrats avait accepté la houlette des prêtres à robe blanche et à ceinture rose, singulière façon de gagner le pays de Voltaire et de Beaumarchais. >>

M. Gachon protesta contre ces «< lignes légères», ce << sans-façon hautain »>, cette «< indifférence railleuse (3). » Il ne serait pas difficile de montrer qu'aujourd'hui même des protestants accueillent les entreprises des rationalistes (universités populaires, fêtes laïques, etc.) dans le même esprit qu'ils accueillirent la théophilanthropie.

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LE DIRECTOIRE

ET

LA RÉPUBLIQUE DE GÊNES

(1795-1797)

On a souvent, non sans raison, reproché au Directoire ses actes de propagande révolutionnaire et ses interventions dans les affaires des pays voisins de la France. Parmi les plus odieuses de ces entreprises, le coup de force exécuté à Venise par Bonaparte en floréal an V a toujours été mis au premier rang. On y a fait figurer aussi, dès le premier moment où elle se produisit, la révolution démocratique qui éclata à Gênes presque en même temps, au début de prairial. Déjà le 5 messidor an V (23 juin 1797), à la tribune du Conseil des Cinq-Cents, Dumolard représentait les événements de Gênes et de Venise comme « un envahissement prémédité peut-être avant les événements qui lui servirent de motifs » et comme « tenant aux ramifications d'un même système (1) » de démembrement et de conquête.

Faut-il accepter cette condamnation collective contre le Directoire et ses agents, comme on l'a fait jusqu'ici pres

(1) Journal des débats et décrets, messidor an V, p. 92–93.

que unanimement (1)? Faut-il même, à l'exemple du plus récent historien de l'époque directoriale (2), la rendre plus sévère encore? Je voudrais donner ici les moyens d'en décider en connaissance de cause et sans parti pris, en précisant aussi exactement que possible le rôle joué par la France dans les affaires de Gênes, depuis le début de l'an IV jusques et y compris la révolution de prairial an V.

I

Une des premières mesures que prit le Directoire au début de l'an IV fut de renouveler le personnel de ses ambassadeurs et ministres à l'étranger. Reubell, qui avait pris la charge des relations extérieures et avait établi auprès de lui un bureau diplomatique spécial dirigé par Bonnier d'Alco, se fit faire un rapport sur la conduite antérieure de tous les agents politiques français. Il voulait témoigner publiquement des bonnes intentions du nouveau gouvernement, en rappelant ceux qui s'étaient fait remarquer par leur jacobinisme et leurs liaisons trop étroites avec les révolutionnaires des pays où ils résidaient. C'était le cas du ministre plénipotentiaire de la République à Gênes, Dorothée Villars, qui pourtant n'était entré en fonctions qu'après le 9 thermidor (3). Le Sénat de Gênes

(1) V. cependant l'appréciation très judicieuse de Thiers (Hist. de la Rév. fr., t. IX, p. 135-136).

(2) M. Sciout. (Le Directoire, Paris, 1895, 4 vol. 8o, t. I, p. 664-5, t. II, pp. 28, 62-4, 393-409, et passim). On sait que M. Sciout, dont l'ouvrage jouit encore à l'étranger d'une assez grande autorité, n'a utilisé comme documents manuscrits, même pour la politique extérieure, que les dossiers de la série AFII, aux Archives nationales. Ceux qui sont relatifs à la République de Gênes (cartons AF, 65 et 66) sont remarquablement incomplets, surtout pour l'an V. Je ne dis rien de M. Albert Sorel; la cinquième partie de son grand ouvrage, qui vient de paraître, ne contient pas une ligne sur la révolution de Gênes.

(3) Il devait son entrée dans la carrière à l'influence des Jacobins. Président du Comité de correspondance de la Société en 1790, il avait, l'année

l'accusait d'intriguer avec les meneurs révolutionnaires. Déjà en germinal an II (mars 1795), le Comité de salut public lui avait demandé des explications à ce sujet (1). Il fut sacrifié malgré de très réels services rendus à la République (2), et, dans la nuit du 15 pluviôse an IV (3 février 1796), Cacault, ministre à Florence, vint lui signifier sa révocation et prendre l'intérim de la légation en attendant l'arrivée du nouveau titulaire Faipoult (3).

Guillaume-Charles Faipoult de Maisoncelle était un cidevant noble, protégé de La Revellière et surtout de Carnot, qui l'avait eu pour camarade à l'École du génie de Mézières. Né en 1752, il était devenu en 1769 sous-lieutenant du génie; capitaine en 1789, il fut élu chef de bataillon par la garde nationale de Paris, et passa de là au ministère de l'Intérieur, sous Roland, comme chef de division. Destitué et banni de Paris comme ex-noble par le décret du 27 germinal an II (16 avril 1794), il était devenu après le 9 thermidor chef du bureau de statistique du Comité de salut public. Nommé en dernier lieu ministre des Finances au mois de brumaire an IV, il venait de donner sa démission le 10 pluviôse (29 janvier), quand il fut appelé à la légation

suivante, accompagné à Liége, comme secrétaire de légation, l'ancien président du club, Bonnecarrère, nommé ministre plénipotentiaire près le prince évêque. En avril 1792, il était passé, en qualité de chargé d'affaires, de Liège à Mayence. (Aulard, Jacobins, t. 1, p. LXXVI et suiv.; Moniteur, réimp., t. XI, p. 98; t. XXII, p. 485).

(1) Le Comité de salut public à Villars, 6 germinal an III (26 mars 1795). Original signé de Merlin (de Douai), Chazal, Lacombe (du Tarn, DuboisCrancé, Sieyes, Marec, Fourcroy, et Reubell (Aff. étr., Gênes, Supp., 9, fol. 891.

(2) Dans un mémoire du 18 pluviôse an V (6 févr. 1797), Villars rappelle qu'en messidor an III il avait emprunté sur sa propre signature 40.000 liv. destinées à l'armée de Kellermann (Arch. nat., AFII, 66, doss. 270.

(3) Registre des délibérations secrètes du Directoire, 15 pluviose an IV (3 février 1796). Arch. nat., AF* 20, no 164. Cacault était chargé de négocier secrètement avec les banquiers génois un emprunt de 30 à 40 millions, 3 1/2 p. 100, remboursable après la paix générale et garanti sur les contributions d'Italie et le revenu des forêts nationales. (Ibid., nos 166148). La négociation échoua complètement.

de Gènes (1). C'était un fonctionnaire intelligent, exact, et d'une probité rigoureuse (2). Républicain sincère, il était d'un naturel pacifique et de formes conciliantes; sans manquer ni de fermeté ni de courage, il devait céder trop souvent et sans assez de résistance à la pression des circonstances ou à l'ascendant du génie de Bonaparte. Il emmenait avec lui, comme premier secrétaire, son ami Étienne Poussielgue, ancien directeur des bureaux du Comité de législation et membre de la Commission des revenus nationaux, qui l'avait déjà suivi au ministère des Finances. Le second secrétaire était le fils du représentant du peuple Villetard.

La situation des nouveaux agents français était des plus délicates. Il existait à Gênes un parti révolutionnaire peu nombreux, mais très actif, et surexcité par une persécution maladroite. Longtemps protégés par les représentants de la République française, les «< patriotes génois >> avaient pris l'habitude de se réclamer d'eux à tout propos et de faire couvrir par eux toutes leurs incartades. Le prédécesseur de Villars, Tilly, avait, d'accord avec Saliceti et Robespierre jeune, distribué aux plus remuants d'entre eux des patentes d'employés à l'armée d'Italie. Le plus connu de ces révolutionnaires, et le plus remuant malgré ses soixante-dix ans, était le pharmacien Morando, qui avait fondé à Gênes en 1789 un club patriotique dont les séances se tenaient dans sa boutique. C'était d'ailleurs

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(1) Commissaire près de l'armée Naples en l'an VII, Faipoult devint préfet de l'Escaut après le 18 brumaire. En 1808, il quitta l'administration pour fonder à Oudenarde une filature qui réussit très bien, mais fut détruite par un incendie. Retiré à Paris, il y mourut en 1815. Je dois la plupart de ces renseignements à l'obligeante érudition de M. Louis Farges, chef du bureau historique au ministère des Affaires étrangères. Qu'il me permette de lui en témoigner ici ma vive reconnaissance.

(2) Il en donna la preuve lors de ses démélés avec la compagnie Flachat, stellain et Peragallo, en l'an V.

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