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HISTORIQUE

DU COMMENTATEUR

SUR LE CID.

LORSQUE Corneille donna le Cid, les Espagnols avaient sur tous les théâtres de l'Europe la même influence que dans les affaires publiques; leur goût dominait ainsi que leur politique : et même en Italie leurs comédies ou leurs tragi-comédies obtenaient la préférence chez une nation qui avait l'Aminte et le Pastor fido, et qui, étant la première qui eût cultivé les arts se blait plutôt faite pour donner des lóis à la littérature que pour en recevoir.

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Il est vrai que dans presque toutes ces tragédies espagnoles il y avait toujours quelques scènes de boufonnerie. Cet usage infecta l'Angleterre. Il n'y a guère de tragédies de Shakespear où l'on ne trouve des plaisanteries d'hommes grossiers à côté du sublime des héros. A quoi attribuer une mode si extravagante et si honteuse pour l'esprit humain, à la coutume des princes mêmes, qui entretenaient toujours des boufons auprès d'eux ? coutume digne de barbares qui sentaient le besoin des plaisirs de l'esprit, et qui étaient

incapables d'en avoir; coutume même qui a durẻ jusqu'à nos tems, lorsqu'on en reconnaissait la turpitude. Jamais ce vice n'avilit la scène française; il se glissa seulement dans.nos premiers opéra, qui, n'étant pas des ouvrages réguliers, semblaient permettre cette indécence; mais bientôt l'élégant Quinault purgea l'opéra de cette bassesse.

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Quoi qu'il en soit, on se piquait alors de savoir l'espagnol, comme on se fait honneur aujourd'hui de parler français. C'était la langue des cours de Vienne, de Bavière, de Bruxelles, de Naples et de Milan : la ligue l'avait introduite en France; et le mariage de Louis XIII avec la fille de Philippe III avait tellement mis l'espagnol à la mode, qu'il était alors presque

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honteux aux gens de lettres de l'ignorer. La plupart de nos comédies étaient imitées du théâtre de Madrid. Un secrétaire de la reine Marie de Médicis, nommé Châlons, retiré à Rouen dans sa vieillesse, conseilla à Corneille d'apprendre l'espagnol, et lui proposa d'abord le sujet du Cid. L'Espagne avait deux tragédies du Cid; Fune de Diamante, intitulée hel honrador de su padre, qui était la plus ancienne; l'autre el Cid de Guilain de Castro qui était la plus en vogue,:, on voyait dans toutes les deux une infante amoureuse du Cid, et un bouffon appelé le valet gracieux, personnages également ridicules; mais tous les sentimens généreux

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et tendres dont Corneille a fait un si bel usage sont dans ces deux originaux.

Je n'avais pu encore déterrer le Cid de Diamante quand je donnai la première édition des commentaires de Corneille; je marquerai dans celle-ci les principaux endroits qu'il traduisit de cet auteur espagnol.

C'est une chose, à mon avis, très-remarquable, que depuis la renaissance des lettres en Europe, depuis que le théâtre était cultivé, on n'eût encore rien produit de véritablement intéressant sur la scène française, et qui fit verser des larmes, si on en excepte quelques scènes attendrissantes du Pastor fido, et du Cid espagnol. Les pièces italiennes du seizième siècle étaient de belles déclamations imitées du grec; mais les déclamations ne touchent point le cœur. Les pièces espagnoles étaient des tissus d'aventures incroyables; les Anglais avaient encore pris ce goût. On n'avait point su encore parler au cœur chez aucune nation. Cinq ou six endroits très-touchans; mais noyės dans la foule des irrégularités de Guilain de Castro, furent sentis par Corneille, comme on découvre un sentier couvert de ronces et d'épines.

Il sut faire du Cid espagnol une pièce moins irrégulière et non moins touchante. Le sujet du Cid est le mariage de Rodrigue avec Chimène. Ce mariage est un point d'histoire presqu'aussi célèbre en Espagne que

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