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SCENE DERNIERE.

JASON, seul.

O DIEUX! ce char volant, disparu dans la nue, I)
La dérobe à sa peine, aussi-bien qu'à ma vue;
Et son impunité triomphe arrogamment
Des projets avortés de mon ressentiment.
Créuse, enfans, Médée, amour, haine, vengeance,
Où dois-je désormais chercher quelque allégeance?
Où suivre l'inhumaine? et dessous quels climats
Porter les châtimens de tant d'assassinats?
Va, furie exécrable : en quelque coin de terre
Que t'emporte ton char, j'y porterai la guerre.
J'apprendrai ton séjour de tes sanglans effets,
Et te suivrai par-tout au bruit de tes forfaits.
Mais que me servira cette vaine poursuite,
Si l'air est un chemin toujours libre à ta fuite,
Si toujours tes dragons sont prêts à t'enlever,
Si toujours tes forfaits ont de quoi me braver?
Malheureux, ne perds point, contre une telle audace,
De ta juste fureur l'impuissante menace;
Ne cours point à ta honte, et fuis l'occasion
D'accroître sa victoire et ta confusion.
Misérable, perfide, ainsi donc ta foiblesse
Epargne la sorcière, et trahit ta princesse !

1) Voilà encore un monologue plus froid que tout le reste rien n'est plus insipide que de longues hor

reurs.

Est-ce là le pouvoir qu'ont sur toi ses desirs,
Et ton obéissance à ses derniers soupirs?
Venge-toi, pauvre amant, Créuse le commande:
Ne lui refuse point un sang qu'elle demande ;
Ecoute les accens de sa mourante voix;

Et vole sans rien craindre à ce que tu lui dois.
A qui sait bien aimer il n'est rien d'impossible.
Eusses-tu pour retraite un roc inaccessible,
Tigresse, tu mourras; et, malgré ton savoir
Mon amour te verra soumise à son pouvoir.
Mes yeux se repaitront des horreurs de ta peine.
Ainsi le veut Créuse, ainsi le veut ma haine.
Mais quoi! je vous écoute, impuissantes chaleurs!
Allez, n'ajoutez plus de comble à mes malheurs.
Entreprendre une mort que le ciel s'est gardée,
C'est préparer encore un triomphe à Médée.
Tourne avec plus d'effet sur toi-même ton bras,
Et punis-toi, Jason, de ne la punir pas.

Vains transports, où sans fruit mon désespoir s'amuse,
Cessez de m'empêcher de rejoindre Créuse.
Ma reine, ta belle ame, en partant de ces lieux,
M'a laissé la vengeance, et je la laisse aux dieux:
Eux seuls, dont le pouvoir égale la justice,
Peuvent de la sorcière achever le supplice.
Trouve-le bon, chère ombre ; et pardonne à mes feux
Si je vais te revoir plutôt que tu ne veux.

(Il se tue.)

Fin du cinquième et dernier acte.

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Euri

CETTE ETTE tragédie a été traitée en grec par pide, 1) et en latin par Sénéque; et c'est sur leur exemple que je me suis autorisé à en mettre le lieu dans une place publique, quelque peu de vraisemblance qu'il y ait à y faire parler des rois, et à y voir Médée prendre les desseins de sa vengearice. Elle en fait confidence, chez Euripide, à tout le chœur composé de corinthiennes, sujettes de Créon, et qui devoient être du moins au nombre de quinze, à qui elle dit hautement qu'elle fera périr leur roi, leur princesse, et son mari, sans qu'aucune d'elles ait la moindre pensée d'en donner avis à ce prince.

Pour Sénèque, il y a quelque apparence qu'il ne lui fait pas prendre ces résolutions violentes en

1) Les amateurs du théâtre qui liront cet examen et les suivans s'appercevront assez que Corneille raisonnait plus qu'il ne sentait au lieu que Racine sentait plus qu'il ne raisonnait; et au théâtre il faut sentir.

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Corneille dans ses réflexions sur Médée ne touche aucun des points essentiels, qui sont les personnages inutiles, les longueurs, les froides déclamations, le mauvais style, et le comique mêlé à l'horreur,

présence du chœur, qui n'est pas toujours sur le théâtre, et n'y parle jamais aux autres acteurs : mais je ne puis comprendre comme dans son quatrième acte il lui fait achever ses enchantemens en place publique ; et j'ai mieux aimé rompre l'unité exacte du lieu pour faire voir Médée dans le même cabinet où elle a fait ses charmes, que de l'imiter en ce point.

Tous les deux m'ont semblé donner trop peu de défiance à Créon des présens de cette magicienne, offensée au dernier point, qu'il témoigne craindre chez l'un et chez l'autre, et dont il a d'autant plus de lieu de se défier, qu'elle lui demande instamment un jour de délai pour se préparer à partir, et qu'il croit qu'elle ne le demande que pour ma- 、 chiner quelque chose contre lui, et troubler les noces de sa fille.

J'ai cru mettre la chose dans un peu plus de justesse par quelques précautions que j'y ai apportées. La première, en ce que Créuse souhaite avec passion cette robe que Médée empoisonne, et qu'elle oblige Jason à la tirer d'elle par adresse. Ainsi, bien que les présens des ennemis doivent être suspects, celui-ci ne le doit pas être, parce que ce n'est pas tant un don qu'elle fait, qu'un paiement qu'on lui arrache de la grace que ses en

fans reçoivent. La seconde, en ce que ce n'est pas Médée qui demande ce jour de délai qu'elle emploie à sa vengeance, mais Créon qui le lui donne de son mouvement, comme pour diminuer quelque chose de l'injuste violence qu'il lui fait, dont il semble avoir honte en lui-même. Et la troisième

enfin, en ce qu'après les défiances que Pollux lui en fait prendre presque par force, il en fait faire l'épreuve sur une autre avant que de permettre à sa fille de s'en parer.

L'épisode d'AEgée n'est pas tout à fait de mon invention: Euripide l'introduit en son troisième acte, mais seulement comme un passant, à qui Médée fait ses plaintes, et qui l'assure d'une retraite chez lui à Athènes, en considération d'un service qu'elle promet de lui rendre. En quoi je trouve deux choses à dire. L'une, qu'AEgée étant dans la cour de Créon ne parle point du tout de le voir. L'autre, que bien qu'il promette à Médéc de la recevoir et protéger à Athènes après qu'elle se sera vengée, ce qu'elle fait dès ce jour là même, il lui témoigne toutefois qu'au sortir de Corinthe il va trouver Pithéus à Tréséne, pour consulter avec lui sur le sens de l'oracle qu'on venoit de lui rendre à Delphes, et qu'ainsi Médée seroit demeurée en assez mauvaise posture dans Athènes en l'atten

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