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DE FRANCE

DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULES JUSQU'EN 1789

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Henri IV mort, l'inquiétude fut extrême en France, comme la douleur. A en juger par les apparences, rien ne justifiait l'excès des alarmes. L'édit de Nantes' avait mis fin, pour les Français, aux guerres de religion. Le traité de Vervins entre la France et l'Espagne, la trève de douze ans entre l'Espagne et les Provinces-Unies, la mort de Philippe II et l'alliance de la France avec l'Angleterre semblaient avoir pacifié l'Europe. On pouvait croire qu'il n'y restait plus que des questions secondaires, comme la possession du marquisat de Saluces et la succession des duchés de Clèves et de Juliers. Mais l'instinct des peuples voit plus loin que les négociations des diplomates pour le public européen Henri IV était le représentant et le garant de l'ordre, de la

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paix, de la politique nationale et équitable, de la sagesse intelligente et efficace. Ainsi pensait Sully quand, à la mort de son roi, il alla se renfermer dans l'Arsenal, aussi alarmé que désolé, et le peuple avait raison d'être de l'avis de Sully. La confiance publique s'attachait à la personne du roi. Les spectateurs lui pardonnaient, presque en souriant, ses faiblesses tendres, que pourtant sa vieillesse prochaine rendait plus choquantes. Ils lui savaient gré d'avoir pris, de l'éducation du dauphin Louis son fils, un soin clairvoyant et sévère; il écrivait à sa gouvernante, madame de Montglas : « Je me plains de vous de ce que vous ne m'avez pas mandé que vous aviez fouetté mon fils, car je veux et vous commande de le fouetter toutes les fois qu'il fera l'opiniâtre en quelque chose de mal, sachant bien par moi-même qu'il n'y a rien au monde qui fasse plus de profit que cela. » Et à Marie de Médicis elle-mème, il ajoutait : « D'une chose je vous assure, c'est qu'étant de l'humeur que je vous connais, et prévoyant celle de votre fils, vous entière, pour ne pas dire têtue, madame, et lui opiniâtre, vous aurez sûrement maille à partir ensemble. »>

Henri IV était aussi clairvoyant sur sa femme que sur son fils. Les personnes qui connaissaient le mieux le caractère de Marie de Médicis et qui en jugeaient avec le plus d'indulgence, disaient d'elle, en 1610, quand elle avait déjà trente-sept ans : « Qu'elle était courageuse, hautaine, ferme, discrète, glorieuse, opiniâtre, vindicative et méfiante, disposée à la paresse, peu curieuse des affaires, et n'aimant de la royauté que la pompe et les honneurs. » Henri n'avait pour elle ni goût ni confiance, et dans son intime ménage il avait eu avec elle de fréquentes querelles. Il avait pourtant fait célébrer son sacre et pourvu d'avance aux nécessités du gouvernement; à la mort du roi le parlement déclara Marie régente du royaume sur les impérieuses instances du duc d'Épernon, qui lui avait amené aussitôt la reine, et dit en pleine séance, en montrant son épée : « Elle est encore dans le fourreau; mais il faudra qu'elle en sorte si on n'accorde pas à l'instant à la reine un titre qui lui est dù selon l'ordre de la nature et de la justice.» Grâce à la ferme administration de Sully, les dépenses ordinaires et annuelles une fois payées, il y avait, à cette époque, dans les caves de la Bastille ou en créances promptement réalisables, quarante et un millions trois cent quarante-cinq mille livres, et rien n'annonçait que des dépenses extraordinaires et urgentes vinssent entamer cette grosse épargne; l'armée fut licenciée et réduite à douze ou quinze

mille hommes, Français ou Suisses. Depuis bien longtemps, aucun pouvoir en France n'avait eu, à son avénement, autant de force matérielle et d'autorité morale.

Mais Marie de Médicis avait, dans sa maison et dans sa cour, de quoi dissiper rapidement ce double trésor. En 1600, lors de son mariage, elle avait amené, de Florence à Paris, Léonore Galigaï, fille de sa nourrice, et Concino Concini, mari de Léonore, fils d'un notaire florentin, tous deux grossièrement ambitieux, avides, vaniteux, et décidés à profiter de leur situation nouvelle pour s'enrichir et s'élever sans mesure et à tout prix. Marie leur donnait à cet égard toutes les facilités qu'ils pouvaient désirer; ils étaient ses confidents, ses favoris, ses instruments, pour ses propres affaires comme pour les leurs. A ces serviteurs intimes et subalternes vinrent bientôt se joindre des grands seigneurs, des hommes de cour, ambitieux et vaniteux aussi, égoïstes, brouillons, que la forte et habile main d'Henri IV avait tenus à l'écart, mais qui, à sa mort, rentrèrent en scène, uniquement préoccupés de leur fortune et de leurs rivalités. Je ne ferai ici que les nommer pêlemêle, membres ou parents de la famille royale ou simplement grands seigneurs, les Condé, les Conti, les Enghien, les ducs d'Épernon, de Guise, d'Elbeuf, de Mayenne, de Bouillon, de Nevers, grands noms et petits caractères qu'on rencontre à chaque pas sous la régence de Marie de Médicis, et qui formaient autour d'elle, avec leur clientèle, une nation de cour aussi remuante qu'inutile. Le temps rend justice à quelques hommes et fait justice de la foule; il faut avoir valu beaucoup pour mériter de n'être pas oublié. Sully reparut à la cour après sa retraite momentanée à l'Arsenal; mais, malgré les apparences de faveur que Marie de Médicis jugea prudent et convenable de lui conserver quelque temps, il reconnut bientôt que ce n'était plus là sa place, et qu'il y était aussi inutile à l'État qu'à lui-même; il donna successivement sa démission de toutes ses grandes charges et termina sa vie dans une retraite solennelle à Rosny et à Sully-sur-Loire. Du Plessis Mornay essayait d'exercer encore sur son parti une influence salutaire : « Qu'on ne parle plus entre nous de huguenots ni de papistes, disait-il, ces mots sont défendus par nos édits. Quand il n'y aurait pas d'édit au monde, si nous sommes Français, si nous aimons notre patrie, nos familles, nous-mêmes, ils doivent être désormais effacés en nos âmes. Qui sera bon Français me sera citoyen, me sera frère. » Ce vertueux et patriotique langage n'était pas dénué de toute

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