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pereur cultive les lettres, eut l'idée de s'adresser à Lui comme confrère. Il demanda non à l'Empereur (il se croyait fier), mais à l'homme de lettres couronné, d'assister un homme de lettres affamé. Cette audace réussit, et l'infirme reçut plus de napoléons que les libraires ne lui avaient jamais donné de centimes. Il cessa même de faire des vers; un bienfait n'est jamais perdu. Je considère que l'Empereur est encore plus publiciste qu'homme de lettres proprement dit. C'est, ou du moins ce fut mon métier; je suis publiciste honoraire. A ce titre, ne pourrais-je pas invoquer aussi quelque lointaine confraternité pour obtenir que la clémence et la puissance impériales, nécessaires toutes deux, nous délivrassent enfin de cette figure du timbre, qui n'épargne rien, sauf un peu quelquefois M. de la Guéronnière? Sire, un seul timbre d'une forme gracieuse, et dans un seul endroit! Les

publicistes et les imprimeurs seront trèssoulagés. Et comme les employés se dépiteront certainement d'avoir moins de papier à avilir, il conviendrait aussi que l'employé convaincu d'avoir frappé plus de coups qu'il ne faut fût livré aux académiciens qui font des pièces de théâtre, pour être perpétuellement diffamé dans tout l'empire, sans pouvoir jamais se défendre que sur papier timbré.

Cet allégement, s'il était obtenu, laisserait encore bien assez de soucis à l'écrivain politique qui ne prendra pas le périlleux parti de se délayer en un volume, éloignant ainsi lui-même la foule des lecteurs, par le seul prix et le seul aspect de son ouvrage.

J'ai lu dans la préface de Giboyer que l'on peut honorablement m'insulter jusque sur le théâtre, parce que je suis très

bien armé pour me défendre; et des amis de Giboyer ont insinué que si je n'ai à ma disposition ni la langue des comédiens ni la verge du journaliste, il me reste la brochure.

Cette idée a été particulièrement soutenue par M. Taxile Delord, écrivain libéral, du genre plaisant. Je me persuade qu'en ce moment-là M. Delord voulait être sérieux et parlait de bonne foi; mais, je le vois trop, ce libre penseur ne s'est jamais proposé de rien écrire qui pût tant soit peu sortir du parc politique où le procureur impérial cantonne la libre pensée, et il n'a pas même imaginé qu'il pût un jour se trouver tenté à déplaire.

M. Delord est connu, dit le Dictionnaire Vapereau, « par la verve comique et la << portée de ses articles, par l'élégance et << la correction de son style. » Belles qualités, s'il connaissait le malheur ! Il ne le connaît pas. Il appartient à l'heureuse

cohorte où l'on voit les Limayrac, les Dréolle, les Guéroult, les Sarcey, les Furpille, les Castille et tant d'autres, qui peuvent mettre tous les jours plume au vent pour soutenir les bonnes doctrines gouvernementales ou faire prévaloir leurs vues en politique, littérature, religion, morale, etc. On m'a fait un sort différent! Ce que M. Delord trouve tous les jours si simple et si facile, m'est plus que malaisé. Je suis un publiciste marron ; je n'ai que tout juste la faculté de rôder de temps en temps autour des choses que M. Delord touche et tripote à sa fantaisie; je ne peux les aborder que bien enveloppé d'une triple et quadruple camisole de papier timbré, lourde à porter, qui assourdit la voix et embarrasse le geste.

Heureux charivariste, la direction de la presse le regarde d'un œil fort doux. Elle ne s'inquiète guère de la portée de ses articles, lorsqu'il l'a dissimulée sous une

couche de «verve comique » suffisante pour faire rire Vapereau. Sa flèche part quand il veut, va frapper où il veut. Il tire au Christ, il tire aux prêtres, il tire aux religieuses, il tire aux vaincus, aux blessés, aux morts tout est bien! Pour Vapereau c'est élégant, pour l'administration c'est correct. Moi, qui ne cherche point de tels adversaires, je n'ai point ces priviléges du citoyen français. Quand même je me distinguerais par la verve comique, on ne me laisserait pas faire même un charivari.

Si je veux écrire quelque chose, si je me décide enfin à ramasser le gant de Giboyer, hélas! quel gant! il faut premièrement que cela prenne la dimension d'une brochure et que je me décide à demander à chacun de mes auditeurs cinquante centimes au moins. Il faut ensuite que je me soumette à la censure du libraire-éditeur, exposé à l'amende si l'on

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