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subisse le timbre. Le timbre m'inspire une véritable aversion; j'ai préféré l'inconvénient d'une apparente prolixité. Si la loi, dans sa prévoyance, avait fixé le nombre de lettres que doit contenir un écrit non timbré, je me serais tu probablement. Elle a, Dieu merci, négligé ce détail, et j'ai pu m'arranger avec mon habile imprimeur pour occuper la dimension réglementaire sans noyer trop la pensée. Nous nous sommes donné de belles marges, nous avons multiplié les blancs, enfin nous sommes arrivés à peu près. Il ne restait que quarante-sept pages absolument vides,

Quoique je me trouve excusable d'aimer mieux vendre au public du papier blanc que du timbré, il faut pourtant couvrir ces pages de quelque figure de raison. Ce sera l'objet de cette préface. J'essayerai de la rendre intéressante par la peinture d'une souffrance trop peu connue, la souffrance de l'homme qui veut

faire un doigt de politique et qui hait le papier timbré. Je dirai ensuite quelles raisons, plus fortes que les dispositions où je m'étais trouvé d'abord, m'ont décidé à élever la voix.

Je vais au-devant d'une objection. Giboyer fait, à bouche que veux-tu, de la politique et de l'économie sociale, qui sont par excellence les deux choses à timbrer; cependant il paraît à nos yeux dans un complet affranchissement de l'aunage légal et des pompons du timbre. On peut dire que l'on ne voit pas pourquoi moi, si proche parent de Déodat, si malmené de Giboyer, je n'aurais point les mêmes priviléges pour défendre Déodat et rétorquer Giboyer? Je ne le vois pas non plus, mais je sens que ce n'est pas la même chose. Les régulateurs de la lice ne regardent point du même œil Giboyer et Déodat. Il y a un suspect, c'est Déodat. L'on ne m'ôtera pas de l'esprit que le te

nant de Déodat fait bien de prendre deux précautions pour une. Qu'il s'emmaillotte de papier blanc, puisqu'il s'est prévenu contre cette figure du timbre dont Giboyer a gaillardement affranchi son écu d'or! Le timbre représente une belle femme à l'antique, armée d'une balance.

C'est vraiment une cruelle chose que ce timbre! Je viens d'en prendre, à l'occasion d'une biographie de Pie IX dont j'ai désiré quelques exemplaires en grand papier. Sur chaque feuille d'impression in-8o, deux affreux cachets, l'un de cinq centimes, l'autre d'un centime et demi; deux maculatures d'encre grasse, chacune de la dimension d'un gros sou, plaquées au milieu du texte; deux coups de poing en plein visage! Et souvent l'employé du timbre, ne trouvant pas son tatouage assez visible, s'y reprend par deux et trois

fois, semblable à l'Auvergnat courroucé et vainqueur qui se fait un plaisir de poser des noirs sur le visage de sa victime.

Assurément, je n'élève pas l'audace de mes vœux jusqu'à réclamer l'exemption du timbre pour les écrits qui friseraient la politique ou la matière inconnue que l'on appelle «l'économie sociale. » L'État doit tirer un petit bénéfice des maniaques qui veulent toucher à ces choses supérieures, souvent sans en être priés. Mais pourquoi deux cachets, et si larges, et si pâteux, et sur toutes les feuilles? En sorte qu'un écrit de huit feuilles peut être maculé au moins seize fois! Dans le temps que l'on timbrait les hommes, l'employé se contentait de deux petites lettres, et sur une seule épaule. Cela suffisait, même pour les travaux forcés à perpétuité. (Dans ce temps-là aussi, les hommes attachés au pilori en étaient quittes pour une seule représentation.). Je voudrais être aca

démicien en faveur : je solliciterais au profit de la littérature politique le retour à cet usage de l'ancienne barbarie. Un seul petit timbre, à l'encre rouge ou bleue, dans une couronne impériale bien dessinée, appliqué sur une seule page, que nous serions heureux! On payerait ce qu'il faut, mais l'on aurait l'illusion de ne pas traîner le boulet. Pour cette seule mitigation, j'échangerais de bon cœur tous les avantages de la loi sur la propriété littéraire. Je ne saurais dire combien l'aspect du timbre actuel est propre à décourager un homme qui se propose d'écrire, et je n'imagine pas ce que l'on pourrait inventer de mieux quand même il s'agirait de dégoûter du métier.

Dans ma détresse, j'ai rêvé d'appeler à César. Un jour, certain pauvre poëte, malade, et qui croyait que sa mauvaise santé l'empêchait seule de vendre ses vers à bon prix, considérant que l'Em

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