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m'inspira d'abord aucun désir de le combattre, ni pour mon compte ni pour le compte de la société, plus injuriée et plus diffamée que moi. Cela me parut un médiocre ouvrage, surfait par les colères autant que par les applaudissements, et destiné à tomber sans ressource après quelque mauvais bruit.

Le bruit ne cessant pas, je voulus m'en rendre compte et chercher quelle cause pouvait ameuter tant de vacarme autour de presque rien. J'étudiais par curiosité pure. Je ne voyais nulle apparence de pouvoir utiliser mes réflexions, presque toujours mêlées de cette couleur politique incommode pour un Français qui veut écrire.

Néanmoins, j'étais tenté. La tentation, longtemps écartée par la perspective du papier timbré, reparaissait, pressait davantage à mesure que les journaux et les lettres m'apportaient le récit des aventures

:

de Giboyer dans les départements. Il y avait des détails, des mystères qui m'étonnaient. Je comprenais très-bien que l'appât du gain décidât les directeurs de théâtre à faire jouer la pièce partout où ils pouvaient compter sur un certain nombre de soirées ces entrepreneurs ne sont chargés d'aucun des intérêts du bon ordre. Je m'expliquais aussi, jusqu'à certain point, l'intervention de l'administration et de la force publique pendant le jeu, pour maintenir une certaine paix entre les spectateurs caressés qui voulaient applaudir et les spectateurs offensés qui croient encore au droit de siffler. Mais ce que je trouvais bizarre, c'était la constance inébranlable des directeurs dans plusieurs villes où l'évidente majorité du public les assurait d'une chute comparable à celle de Gaëtana; et ce qui me semblait mystérieux, c'était la complaisance avec laquelle l'administration favorisait,

provoquait même ce divertissement, presque partout régulièrement commencé, continué et terminé par un chaud échange de coups de poings. Chaud échange, non pas libre échange! L'applaudissement passe en franchise, mais le sifflet est frappé d'un temps de violon. Droit protecteur pour la production giboyère !

Giboyer serait-il un personnage politique en mission?

Devant ce point d'interrogation, le « drôle, » comme l'appelle Malakoff, le «chenapan, » comme il se qualifie luimême, prenait une tournure considérable. Sans cesser d'être puissamment ridicule, la prétention de l'Auteur, qui dit avoir fait une comédie sociale, cessait de ne mériter que la risée. On pouvait utilement considérer de près la matière sociale qu'il a mise en œuvre et dont le public reçoit de telles distributions.

Mes dernières hésitations furent em

portées par une apparition de M. Francisque Sarcey.

M. Francisque Sarcey est un virtuose de la libre pensée, un des brillants de l'École normale, un des conquérants de la terre. Il a senti Giboyer, le messie Giboyer, et il a tressailli d'allégresse, sans aucune fausse pudeur. C'est bien le Giboyer qu'il avait rêvé! Et comme il entendait dire que pourtant la pièce manquait de distinction, il fit cette belle réponse: «On vous en « donnera de la distinction, lorsqu'il s'agit de sauver la démocratie en péril! >> Je ne néglige jamais un morceau de M. Francisque Sarcey. Aucun procédé ne me saurait donner plus juste le niveau intellectuel et littéraire de la presse démocratique.

M. Francisque Sarcey m'apparut où je ne le cherchais point, dans un petit jour

nal parisien intitulé le Courrier artistique. C'est là que me fut révélée clairement la haute destination politique et sociale de Giboyer, par une confidence de M. Francisque Sarcey à « son cher Martinet. » Je me décore de cette page que nul autre n'aurait pu écrire; et quoique l'exorde soit étranger à mon sujet, je ne le passerais pas pour toute la gloire d'un premier ministre du roi de Piémont.

<< Vous le voulez, mon cher Martinet, voilà « qui est dit; je causerai théâtre et livres avec « votre public. Si je l'ennuie, que la faute en << retombe sur vous, je m'en lave les mains! »

Je plains ceux qui ne goûteraient point cette prose et cette pose!

M. Francisque Sarcey continue:

« Le Fils de Giboyer est parti pour son tour << de France; il n'y a si mince bourgade où l'on « ne se prépare à le jouer aujourd'hui (il veut

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