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grand'chose; les calomnies même ne sont point nouvelles. Néanmoins je ne laisse pas d'y prendre quelque petit intérêt, et je vous serai obligé si vous voulez bien continuer. Je vous avertis seulement que je reçois ordinairement deux ou trois exemplaires du même numéro; c'est augmenter vos frais sans aucune utilité.

« M. Augier nous dit que le vertueux Giboyer va partir pour l'Amérique. Je ne le crois point. Giboyer ne se décidera pas à quitter sa patrie, où il est puissant et honoré. Si pourtant ce démocrate éprouvé venait à nous manquer, permettezmoi de vous informer que je sais à peu près l'adresse de trois ou quatre de ses pareils qui m'empruntent parfois cinq francs pour dîner. Ils sont tous très-capables de servir les journaux de votre couleur qui auraient besoin de se pourvoir, et je les leur adresserais bien volontiers. Je vous promets d'avance qu'ils ne ménageront aucun clérical, et moins qu'un autre celui qui a l'honneur d'être,

« Monsieur,

<< Votre très-humble serviteur. >>

Paris, 25 janvier 1863.

GIBOYER

DANS LES DÉPARTEMENTS

L'histoire de la mission de Giboyer dans les départements serait curieuse. J'espère que quelqu'un la fera. On y verra la destination future des muses approuvées.

De tous les détails donnés par les journaux, il semble d'ailleurs résulter que, jusqu'à présent du moins, la province n'est pas mûre. Giboyer s'est montré à peu près partout, il n'a eu de grand succès nulle part. Deux ou trois représentations contestées, en certains endroits une demi-douzaine, et il a fallu lever le pied. Là où l'on ne s'est point battu, l'on a bâillé. Quand la police avait fait sortir les siffleurs, l'ennui chassait le reste. Ainsi, asphyxié dans sa victoire, Giboyer est mort à Lyon, 'à Marseille, à Bordeaux, à Tou

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louse, à Rennes1, à Lille. Dans cette dernière ville, la chute a été morne. Le préfet de Lille ne s'est point du tout si mal conduit que l'a prétendu M. Sarcey, et n'a fait nul obstable au triomphe de Giboyer. On ne cite qu'un grand fonctionnaire qui se soit décidément mis en travers: c'est le maréchal duc de Malakoff, gouverneur général de l'Algérie. D'après les journaux, il aurait dit aux amateurs de la comédie sociale : « Votre Giboyer << est un drôle. Je n'ai pas besoin qu'il vienne ici << insulter les honnêtes gens, et je lui ferme la << porte. Si vous n'êtes pas contents, adressez<< vous à l'Empereur. » Il faut croire que le zélé Sarcey n'a point su cela, car je n'ai point ouï dire qu'il ait tancé Malakoff.

A Nîmes, l'administration a mérité les éloges du zélé Sarcey, autant qu'à Alger elle aurait justifié ses plaintes.

La population catholique de Nîmes, qui forme

1 Je trouve dans les journaux le détail suivant :

« A Rennes, le Fils de Giboyer avait été frénétiquement sifflé au premier acte; le préfet ayant fait expulser les siffleurs, la pièce a pu marcher; mais ce qui n'a plus marché du tout, ce sont les réceptions préfectorales. Le jour suivant, les salons de M. le préfet se trouvaient déserts. »

la grande majorité, ne voulait point de Giboyer et menaçait de lui faire un mauvais parti. Naturellement, la population protestante lui réservait un accueil contraire. Il semblait bon d'éviter le conflit; c'était le désir des catholiques. Les plus pacifiques et les plus fermes parmi eux rappelaient que sous Louis-Philippe on avait interdit la représentation du Prophète, afin de ne point provoquer des protestations dangereuses pour la paix publique. Ces considérations parurent puériles; l'administration, éprise de la belle littérature, tint bon, et Giboyer fut représenté,

Voici un récit où l'exactitude est aussi évidente que la modération. Je l'emprunte à l'Opinion du Midi, journal catholique, rédigé par un jeune écrivain fort digne de cette tâche très-rude aujourd'hui.

LE FILS DE GIBOYER A NIMES.

« Salle comble, succès complet! » s'écriait le Courrier du Gard quelques heures après la représentation du Fils de Giboyer, en quoi il avait pleinement raison. Oui, avant-hier la salle était comble et l'on a eu tout le succès qu'on voulait.

L'Opinion du Midi vient rendre compte de cette solennité littéraire, où l'on a vu, pour la première fois, les applaudissements de tout un parterre se mêler au bruit de la cavalerie sur nos pavés. Tout, en effet, devait être étrange dans cette comédie dont la représentation du soir n'était en quelque sorte que le cinquième acte, car elle durait, on peut le dire, depuis plus d'un mois.

Quelques jours après Noël, parut pour la première fois sur nos murs une affiche de théâtre où se lisaient ces mots : « Incessamment le Fils de Giboyer! » Le lendemain, ce fut très-incessamment! Puis cette promesse disparut, puis on la vit reparaître, et cela dura plus d'un mois. Dieu sait les bruits qui coururent. Tantôt l'acteur principal de la pièce était indisposé, tantôt les rôles n'étaient point sus; tantôt... mais à quoi bon répéter tous ces commérages; bref, on en désespérait.

Mais on n'a rien perdu pour attendre, et le Fils de Giboyer a fait avant-hier son apparition sur notre scène, où tout était disposé pour le recevoir. Certes, il faut du plaisir à la foule, mais il faut de l'ordre aussi, et ce n'est point nous qui blâmerons l'autorité d'avoir pris des mesures pour l'assurer. Des soldats dans tous les couloirs, des agents de police presque à toutes les portes, et de la gendarmerie par-dessus le marché, voilà pour l'intérieur de la salle. Encore une fois, c'était bien, mais c'était encore mieux dehors.

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