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si facile qu'il le croit dans son ingénuité comique. Pour sortir un peu 'des inutilités personnelles ou littéraires et aller au fond, il me faudrait un journal ou une brochure.

« Je n'ai point de journal, et il n'est pas encore question de me replacer à cet égard dans le droit commun. Une brochure exige bien des précautions et laisse bien des risques.

<«< Et puis, le sentiment de la proportion ne permet guère de consacrer une brochure à M. Augier. Il n'est encore qu'un satellite; on ne pourrait le décrire convenablement que dans une étude générale du système.

<< Certain compère de M. Augier, M. Delord, autre ingénu, qui trempe dans le Siècle et qui croit aussi que rien ne manque à personne, observe que j'ai le droit de faire à mon tour ma comédie Giboyer. Ce M. Delord est certainement doué d'un joli rire! Mais si je trouvais séant d'imiter les mauvais exemples, je devrais craindre de perdre au moins mon temps. Faut-il apprendre à M. Delord qu'il y a une censure? Elle pourrait se trouver plus forte contre mon grossier dialogue qu'elle ne l'a été contre celui de M. Augier, académicien rompu au langage des cours.

« Et pourquoi prendrai-je tant de souci? Pour

accabler l'innocence. Car M. Augier, sauf envers moi, est innocent ou repentant. Je viens de lire sa préface. Il proteste de son respect pour tous ceux qu'on l'accuse méchamment d'avoir voulu vilipender; il atteste ses dieux qu'il n'a eu le dessein de vilipender absolument que moi. Un aveu si candide m'imposerait le silence quand même je me sentirais blessé.

« M. Augier, avouant l'intention d'injure et la diffamation envers moi, s'excusant sur le reste, me laisse uniquement le droit d'appeler le sergent de ville, chargé de protéger les citoyens contre l'injure publique, et qui leur doit cette protection dans les environs du Palais-Royal comme ailleurs. Mais demanderai-je aux tribunaux de faire décrocher de ce carrefour de morale le prétendu portrait au-dessous duquel mon nom est inscrit? A Dieu ne plaise? Je ne veux pas priver une partie du peuple français d'une distraction si policée, ni ôter à MM. les comédiens ordinaires de l'Empereur un gain où je perds si peu. Quant à prendre la plume dans le seul but de me venger, je ne l'ai jamais fait. J'ai défendu parfois ma situation, jamais ma personne, et ce n'est pas ici l'occasion de commencer. Le dédain est aussi une force. Je l'ai expérimentée avec un plein suc

cès contre des adversaires desquels je n'estime pas que M. Augier se distingue essentiellement. « Il me traite d'insulteur. Je l'ai peu lu; mais je le soupçonne de n'être pas très-fixé sur la valeur des mots : (il dit des vocables!) J'ai attaqué des adversaires que j'appelais par leur nom, et qui étaient armés comme moi, plus armés que moi. J'ai voulu être et je crois avoir été un combattant. Je ne me souviens pas de m'être embusqué dans une coulisse pour diffamer des pseudonymes, et d'avoir ensuite retiré ou confirmé, suivant ma commodité personnelle, les véritables noms soufflés au public. Cela, c'est le métier de l'insulteur, et le pire du métier. Et quand l'opération s'exerce en sécurité parfaite contre des gens tenus au secret, elle est de telle nature qu'aucun vocable français ne la caractérise parfaitement.

de

« M. Augier me semble avoir fait une mauvaise campagne. Il a reçu des avertissements pénibles. Suivant la belle métaphore qu'il a créée pour peindre les magnificences de l'amour paternel, le voilà réduit à lécher le chemin devant les pas son Fils Giboyer. Cependant, ce fils de sa tendresse n'ira pas loin et arrivera crotté. M. Augier est un imprudent. Il a blessé la conscience publique; ses justifications ne seront pas agréées. Comme le

pauvre M. About, il s'est chargé d'un poids sous lequel il geindra longtemps.

« Je me sens moins à plaindre. J'ai plus d'amis que je n'en vois paraître autour du père de Giboyer, et des amis d'un autre ordre, que les grimaces des comédiens ordinaires n'écartent pas et ne refroidissent pas. Et enfin, pour tout dire, quand mes amis me restent, il ne m'est pas désagréable de voir un homme de quelque mérite, un petit immortel, prendre à ses frais le soin de m'entretenir encore d'ennemis, dans l'impuissance où je suis de me pourvoir moi-même. « Agréez, etc.

« LOUIS VEUILLOT. »

Giboyer m'a contraint d'écrire beaucoup de lettres. J'en donnerai encore deux, qui contribueront à me préserver des attouchements du timbre, et où l'on trouvera quelques traits de la physionomie générale des gens de presse au temps présent. Ces deux lettres n'ont pas été envoyées à leur destination. Toute réflexion faite, je les avais

supprimées. Je ne voulais pas m'occuper toujours de Giboyer, et il ne me paraissait pas bien utile de réclamer contre les acolytes qui m'attaquaient directement, à sa manière, ou contre les compères plus discrets qui affectaient de me défendre. Il faut savoir dédaigner quelque chose. Mais maintenant la situation est bien changée! Il s'agit de - faire un juste volume, et je ne méprise plus rien.

La première lettre était destinée au Courrier du Dimanche, journal singulier, qui voudrait sincèrement servir la cause de la liberté et qui n'en peut pas venir à bout, par suite d'une totale incapacité de savoir ce que c'est. M. Weiss avait entrepris de me protéger contre M. Augier; il me fit voir ce qu'un libéral protestant peut déployer de zèle pour la cause d'un catholique désarmé. Après avoir blâmé mon adversaire, il a fini par trouver que j'avais trop mérité mon sort.

A M. LE RÉDACTEUR DU Courrier du Dimanche.

MONSIEUR.

« A l'occasion des attaques inaccoutumées dont je suis l'objet, votre collaborateur. M. Weiss, me

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