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publiait sous la république, la société a besoin de ne les pas satisfaire ; et d'ailleurs, on peut s'en convaincre, ils ne sont jamais absolument frustrés.

Mais il faut voir les choses comme elles sont. En un temps de publicité si vaste, lorsqu'il y a d'un côté tant de feuilles incomparablement complaisantes et, à cause de leur complaisance même, incomparablement hardies; lorsqu'on ajoute, toujours du même côté, les complaisances et les hardiesses du théâtre, et qu'on ne laisse de l'autre côté qu'un petit nombre de journaux perpétuellement effrayés, alors LA LIBERTÉ DES OPINIONS N'EXISTE PAS. Pour rétablir l'équilibre entre des forces si démesurement disproportionnées, c'est trop peu de chose, ce n'est rien que la faculté de publier de temps en temps des brochures toujours tardives, toujours coûteuses, toujours timides.

J'ose croire que je ne suis pas un ci

toyen moins digne de penser et de faire connaître ma pensée que M. Havin, par exemple, ou M. Guéroult ; je ne crains pas qu'on m'accuse ni surtout qu'on me soupçonne de moins de sincérité; on ne prétendra pas que j'ai moins le droit de défendre mon opinion. Tous mes papiers sont en règle. Cependant je prie que l'on compare la liberté dont je jouis avec celle qui est assurée aux écrivains que je viens de nommer et à leurs délégués.

J'ai essayé de faire comprendre l'iniquité de ce partage. Convaincu de l'impuissance de la brochure, et trouvant les journaux où je pourrais écrire non moins convaincus des inconvénients de ma collaboration, j'ai sollicité l'autorisation nécessaire pour fonder un journal. Avec une autorisation et deux cent mille francs à

mettre en hasard, on peut, sauf avertissements, dire à peu près ce que l'on pense tous les matins, contredire M. de la Bédollière et même combattre Giboyer.

J'exposai à M. de Persigny, ministre de l'intérieur, mon dessein de me renfermer strictement dans les limites que ses circulaires avaient fixées et que je crois d'ailleurs avoir toujours observées. En effet, je n'ai jamais été accusé de méconnaître les droits constitutionnels de l'Empereur, et je ne suis pas ennemi en principe du suffrage universel, quoique je puisse à l'occasion, comme tout le monde, contester sur la manière de s'en servir.

S'il suffisait d'être écouté avec patience, je n'aurais plus de vœux à former. Après deux longs entretiens, non-seulement je me trouvai personnellement satisfait de l'accueil du Ministre, mais encore je n'étais pas tout à fait sans espoir. Cet espoir aug

menta lorsque j'appris qu'un écrivain qui pétitionnait en même temps que moi, M. Nefftzer (ancien employé de la Presse), avait son autorisation en poche. Au bout d'un mois d'attente, je reçus une lettre de refus dont la forme au moins m'étonna. On ne me reconnaissait pas ce fonds de douceur et cet esprit conciliant qui paraissent maintenant nécessaires pour écrire un journal.

J'accusai reception, sans proposer des objections superflues. Il n'y a rien à objecter contre la toute-puissance, et il m'appartenait seulement de marquer que je ne reconnaissais pas bien mes idées dans le bref résumé qui m'en était fait. S'il avait été convenable de discuter, j'aurais observé qu'en promettant de ne transgresser ni la Constitution ni les circulaires ministérielles, j'avais cru prendre tous les engagements qu'on peut demander à un citoyen libre, contre lequel on

a d'ailleurs les avertissements officieux et officiels, les procès, la suspension et enfin la suppression. Mais il faut offrir encore un esprit de conciliation dont les lois ne parlent pas et dont le gouvernement reste seul appréciateur.

Cette condition surérogatoire me montrait le sort de M. Nefftzer moins digne d'envie que je ne l'avais cru. Faible consolation!

Telle est, du moins en ce qui me concerne, la vérité sur la situation aisée et généreuse que l'initiative du pouvoir aurait faite à la presse; et c'est ce qui me réduit à écrire un volume de deux cent soixante-dix pages pour combattre une pièce de théâtre où les doctrines les plus anti-sociales sont professées et pratiquées, et dans laquelle, en outre, je suis attaqué d'une manière qui prouve que l'esprit de conciliation, requis pour être autorisé à publier un journal, n'est pas exigé des

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