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CHAPITRE VI.

L'harmonie qui constitue le bonheur suppose l'immatérialité de l'âme.

S 1. Pourquoi il faut supposer une substance spirituelle! $ 2. L'union des deux substances contient les rapports de cause à effet. § 5. La pensée domine la matiere. § 4. La pensée ne peut être dans la matière.

1.

JE E ne doute pas que l'on ne vienne à découvrir un jour des rapports physiques entrè les organes des sentimens, et les organes des idées. Plus ces rapports, que je suppose exister dans leur mouvement, seroient précis, plus ils excluroient ce qui n'est pas cès rapports, je veux dire les phénomènes correspondans que j'attribue à l'âme, parce que je ne puis les attribuer à aucune autre substance. Les organes donnent le mouvement, mais l'âme seule est capable de sentir l'unité dans le multiple, dont se compose l'harmonie ; l'âme seule jouit ou souffre; elle seule est capable de bonheur. Sentiment, idée, harmonie, bonheur, et tous ces êtres divers qui,

aussi bien que la matière peuplent l'espace de la vie , supposent une chose à laquelle ils appartiennent, et sans laquelle je ne puis les concevoir, et ce quelque chose d'inconnu, je l'appelle substance spirituelle, áme.

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L'idée d'une substance pensante est-elle autre chose qu'une conception née de cette nécessité d'un centre de rapport, sans lequel je ne puis concevoir les phénomènes nombreux de l'âme ? Nier l'existence de la substance matérielle, ce seroit détruire la possibilité de concevoir l'idée de la matière; ce seroit aller contre un fait qui est la présence de cette idée. Il en est de même de l'âme; nier une substance pensante c'est nier la pensée même, puisque la substance n'est que ce qui me rend l'idée de la pensée, du sentiment, et de tous les phénomènes de l'âme, possible et concevable.

§2. L'union de deux substances ne m'étonne pas davantage que l'action combinée de toutes les forces de la nature, où il faut, pour produire un effet, supposer encore une espèce d'union. Et cette union, dont résulte l'effet, est-elle autre chose qu'une réciprocité d'action, c'est-à-dire ce que noue voyons partout? Le merveilleux de l'union de l'âme et du corps

seroit-il donc dans la permanence et dans les lois de cette union? Mais la nature entière est-elle autre chose, qu'ordre, rapports, loi et permanence?

§3. Les phénomènes si évidens de l'âme, leur parfaite correspondance avec les phénomènes matériels de l'automate, laissent entrevoir la possibilité d'une existence de quelque chose, de supérieur à la matière, qui imprime à la matière cet ordre, qui seul en constitue l'excellence. Il me semble que c'est dans le moi infaillible, et dans le sanctuaire de l'âme, qu'il m'est donné d'entrevoir et de présager l'existence d'une intelligence ordonnatrice, suprême législatrice de l'univers.

Les mouvemens les plus savamment combinés sont-ils autre chose que des mouvemens simples, très-multipliés ? Et si le mouvement simple ne peut expliquer la pensée, le mouvement simple accumulé l'expliquera-t-il mieux?

§ 4. Il y a une erreur qui semble innée dans l'homme; celle de placer la sensation dans l'objet de la sensation. Qui, parmi le peuple a jamais douté que le feu ou le soleil ne fussent chauds, et que ce ne soit pas la glace qui est froide ? L'opinion de placer le sentiment et la pensée dans les organes qui nous donnent le

sentiment et la pensée, ne seroit-elle pas un reste de cette erreur populaire, souvent plus tenace chez le philosophe, qui raisonne, que chez le peuple, chez lequel les erreurs n'ont d'autres racines que l'habitude?

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J'aime à placer la sensibilité et la pensée au nombre des élémens de l'existence; et si le pays de l'ignorance est si vaste, pourquoi peupler ses ténèbres de phantômes funestes, que l'esprit désavoue et que le cœur rejette, plutôt que de l'embellir d'opinions conformes à la raison et au vœu universel de tout ce qui sent, de tout ce qui pense, et de tout ce qui désire?

Ne diroit-on pas que, ce que nous appelons matière, nous est parfaitement connu? Et parce que nous voyons des changemens autour de nous, s'ensuit-il que ce soit la mort et non la vie qui s'agite dans l'univers? s'ensuit-il que tout ce qui passe devant le champ étroit de quelques organes, soit pour ainsi dire, sur la route du passé plutôt que sur celle de l'avenir? Les hommes de tous les systèmes conviennent du moins de l'ignorance de l'homme, et de la nullité de ce qu'on connoît auprès l'immensité de la nature. Je ne sais pourquoi l'on se plaît quelquefois à ne placer que la mort derrière

la toile abaissée devant l'inconnu, et à ne voir que lenéant dans l'univers de l'existence.

CHAPITRE VII.

Influence de la raison sur le bonheur.

§ 1. Nécessité de la raison. § 2. Ses avantages. § 3. Elle calme les mouvemens de la sensibilité. § 4. Avantage des idées générales. § 5. Les principes seuls donnent de l'unité à la vie. § 6. Harmonie dans le monde moral. § 7. Harmonie universelle.

1.

ON

On sent combien il est nécessairc que,

N

parmi tant de mouvemens opposés de l'âme il y ait quelque part un régulateur et un principe d'ordre, qui guérisse de ce roulis continuel de l'imagination, qui nous rend incapables d'aucune jouissance réelle. Le gouvernail du navire quel seroit-il si ce n'est la raison?

Si la vie de chaque individu formoit un système isolé, si chaque être suivoit toutes ses lois, et pouvoit ne suivre que ses lois particulières, sans doute que sa vie seroit heureuse; mais l'homme, toujours entraîné hors de sa carrière, et jeté dans le vaste torrent de la vie

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