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CHAPITRE V.

De l'amour-propre.

§1. Les mouvemens de l'imagination éveillent l'intelligence. § 2. Ce que c'est que l'amour-propre.

1.

L'ON

'ON voit donc que l'organe immédiat du bonheur c'est l'imagination. C'est elle qui, douée d'un heureux instinct, sait trouver à chaque sentiment précisément l'idée qui est en rapport avec lui, et, sans l'influence des objets extérieurs, le bonheur de l'homme eût été parfait. Mais il falloit cette influence pour donner l'éveil à la pensée, il falloit cette inquiétude, née des besoins de la sensibilité, pour développer tout notre être. Si nous ne sommes pas toujours heureux, c'est nous que sommes appelés à une félicité d'un ordre plus relevé, que celle que des fragiles organes eussent pu nous donner et l'intelligence, qui nous enseigne une autre route que celle de la sensibilité, nous indique déjà une autre destinée que celle de l'automate.

L'amour du bonheur ou l'amour de nousmêmes, appelé amour-propre, n'est encore que l'imagination émue par cette sensibilité

qui aime, recherche, et éveille précisément les idées qui sont en rapport avec elle; ainsi le véritable principe moteur de l'amour-propre est le principe de l'affinité des sentimens avec les idées, qui appartient à l'imagination.

Les phénomènes de l'amour-propre le prouvent. Quels sont-ils ? si ce n'est d'aimer ou de haïr, d'attirer ou de repousser, de chercher ou de fuir les idées et les choses qui plaisent ou déplaisent.

Mais l'amour et la haine supposent un objet, (une idée) qu'on aime ou qu'on hait, et un sentiment qui fait qu'on attire ou qu'on repousse cet objet : tout cela se retrouve dans l'imagination, qui suivant le sentiment qui l'anime, préfère ou rejette une chose (une idée) et produit ainsi tous les phénomènes de l'amour-propre.

L'amour-propre, et l'amour du bonheur ont donc aussi un même principe d'attraction ou de répulsion pour tel ou tel objet, selon que cet objet se trouve en accord ou en dissonnance avec le sentiment. Telles sont les lois de l'être purement sentant.

Mais lorsqu'il est question de déterminer la volonté, et de s'élever à l'intelligence, il n'est plus permis à l'être pensant de n'agir que par l'imagination.

Demander si l'homme est nécessairement déterminé par son intérêt, c'est demander s'il est nécessairement déterminé par les lois de l'imagination; car par intérêt on ne peut entendre que ce principe d'attraction ou de répulsion qui, toujours déterminé par la sensibilité immédiate, ne suit que les lois de la sensibilité! Or, nous avons vu, que l'être intelligent et libre possédoit la faculté de se déterminer par les lois de la raison et de l'intelligence, même contre sa sensibilité.

L'intelligence conduit au bonheur, mais ne donne le bonheur. Le bonheur est un pas sentiment, et comme tel étranger à l'intelligence.

Le bienfait de l'intelligence est de donner un choix plus étendu, et par là même plus sûr, mais tous ces choix ne se composent que d'élémens de sensibilité. La sensibilité ne voit dans le tems que le moment présent, et dans l'espace que le point qu'elle désire, tandis que l'intelligence embrasse également et le tems et l'espace, et présente ce qui est successif, comme simultané.

Le resultat de l'intelligence est toujours le bonheur le plus grand dont l'être intelligent soit susceptible. La raison est une espèce de

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chimie, qui séparant les élémens du bien et du mal, pour les récomposer ensuite, présente le bien le plus pur, que puisse comporter l'être destiné à vivre dans le tems et l'espace.

On voit que la question: si l'homme est nécessairement déterminé par son intérêt, présente maintenant deux questions différentes.

Demander si la volonté de l'homme est nécessairement déterminée par son intérêt, c'est demander si l'homme est nécessairement déterminé par l'imagination. A cette question je réponds que l'homme peut et doit être déterminé par la raison, et jamais par l'imagination, c'est-à-dire par la sensibilité.

Mais si l'on demande: sil'intérêt est le mobile des actions humaines, je dirai: que le désir du bonheur étant inhérent à la nature humaine, l'homme ne peut agir qu'en vertu de son bonheur. On voit que le bonheur qu'il doit recherche n'est le choix immédiat de son pas sentiment du moment, mais le choix étendu de sa raison : c'est toujours le bonheur qu'on désire, mais ce bonheur, né de la sensibilité, est toujours préparé et offert par la raison. Le premier mobile des actions humaines est le désir du bonheur, mais la route pour y arriver est la raison; et c'est parce que l'être

şensible aime le bonheur, qu'il ne se détermine pas d'après le sentiment du moment présent, mais d'après celui de tous les momens. C'est toujours le ressort qui fait aller la montre; mais c'est le régulateur qui fait qu'elle marque les heures: c'est ainsi que l'amour du bonheur fait aller en avant, mais c'est la raison qui fait qu'on arrive au but, qui est le bonheur le plus parfait dont nos facultés naissantes nous rendent susceptibles.

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CHAPITRE VI.

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