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CHAPITRE V.

Des passions de circonstance ou d'accident.

S 1. Caractère des passions de circonstance. 2. Analise de la conscience morale,

§1.

LES passions primitives et secondaires

ont leur route toute tracée, soit dans la nature primitive de l'organisation de l'automate, soit dans la nature factice de cette organisation, L'amour et l'amitié ont leur marche, et l'ambition et l'avarice ont leur allure, leur point de départ et leur route tracée..

Cette route, cette marche sont des images qui expriment le mouvement du désir tracé dans les organes. Ce désir peut n'être qu'une légère émotion, mais ce même désir prolongé peut ébranler tout le système de l'organisation. Si ce système se trouvoit placé au foyer d'une nation; si cette nation elle-même étoit le foyer de tout le système politique, on verroit les mouvemens d'une âme ébranler la terre et une pensée faire le destin des peuples et des rois.

Mais ces mouvemens du désir peuvent être croisés par une passion d'accident ou de circonstance et produire le mouvement composé, qui forme les passions de circonstance.

Le caractère principal des passions de circonstance est d'aller toujours d'un mouvement composé de deux forces. J'ai de l'impatience en raison du désir arrêté par un obstacle: si j'étois sans désir je serois sans impatience; si j'étois sans amour je serois sans jalousie, etc.

Les sentimens religieux ont leur marche naturelle tracée par la nature de la passion; mais sitôt que ces sentimens éprouvent un obstacle, ils se changent en fanatisme, en intolérance, etc.,

On conçoit que plus on éprouve de passions primitives et secondaires,. plus on est exposé aux passions de circonstances. Voyez le cœur des personnes passionnées, il est sans cesse la proie de quelque passion de circonstance. Que d'incidens dans la vie de l'ambitieux, que d'événemens dans celle des personnes éprises d'amour! L'histoire des nations, faute de connoissance plus réelles, ne se compose presque que de passions de circonstance, nées d'événemens inattendus: car la

sensibilité, semblable à la matière électrique, ne produit des explosions, que lorsque son mouvement naturel est troublé.

§ 2. Il faut placer dans la classe des passions d'accident un phénomène, qu'on a, ce me semble, mieux peint que défini.

Ce phénomène, c'est la conscience.

La conscience suppose un mouvement trèsvif de sensibilité, d'idées, et d'accident.

L'âme humaine a mille idées obscurement senties, comme le ciel a mille étoiles effacées par la vive lumière du soleil. L'homme, toujours agité par quelque passion, n'aperçoit le plus souvent que les idées qui le dominent; car toutes les pensées de l'entendement pâlissent en présence des passions. Parmi ces idées non aperçues, quoique présentes à l'âme, sont les idées du bien et du mal, presque toujours obscurcies par l'éclat des sentimens personnels dont se compose la vie. Lorsque la lumière des grands foyers de la sensibilité est venue à s'amortir par l'âge, par le malheur ou la réflexion, alors les idées inaperçues commencent à briller de partout. Si ces idées du bien et du mal avoient été

préparées par la religion, si, ranimées par la sensibilité, elles étoient liées aux émotions du

sentiment, alors leur éclat, concentré par la réflexion, et relevé par le contraste de nos actions avec nos principes, produiroit ces éclairs souvent terribles, qui précèdent le resentissement plus terrible encore de la conscience et des remords.

Mais la conscience suppose de plus un autre élément, dont elle emprunte ses plus grands effets.

Nous avons vu qu'il y avoit des rapports préexistans entre les sentimens et les idées. Je ne sais pourquoi il y a des momens où ces rapports prennent tout-à-coup une force prodigieuse (1): cet état où une partie de nos idées est subitement illuminée par des éclairs, est ce qu'on appelle inspiration. La dévotion a ses extases, la poésic a sa verve, tous les beaux-arts ont leur inspiration; les passions aussi ont leurs mouvements d'exaltation qui ne se retrouvent pas à volonté. Voyez que d'élémens vout se concentrer dans le foyer de la conscience d'un côté c'est le contraste de nos actions avec nos principes,

(1) Il y a dans les Confessions de Rousseaau plusieurs exemples singuliers de cette disposition de l'esprit à être frappé de quelqu'idée particnlière.

relevé encore par le sentiment de nos peines présentes ou futures; de l'autre ces sentimens si exaltés se trouvent illuminés tout-à-coup par ces inspirations subites, qui semblent prêter aux sentimens un redoublement de puissance sur les idées soumises à leur empire.

La réflexion, c'est-à-dire le développement des idées par l'intelligence, prépare aux mouvemens de la conscience en portant l'attention sur les idées du bien ou du mal, que la conscience sait, dans la suite, si bien mettre en contraste avec nos actions.

Il y a une conscience heureuse dont La Bruyère, l'excellent La Bruyère a si bien peint la sensation, en disant: rien ne rafraíchit le sang comme le plaisir d'avoir évité une sottise qu'on alloit faire.

Il y a une autre différence, qui distingue les passions d'accident ou de circonstance des passions primitives ou secondaires. Les passions primitives et secondaires ont un but et un objet réel et prolongé de recherches; le ressort de ces passions est toujours un désir dominant prolongé, qui les fait aller sur une même ligne vers un but proposé placé en avant d'elles, tandis que les passions d'accident, qui ne sont que l'explosion d'un organe

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