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monie, par lequel tous les accords entre les idées et les sentimens sont sentis comme un accord unique. Dans la vie commune, l'harmonie, toujours mêlée de beaucoup de dissonnances, ne peut agir avec la force qu'elle a, lorsque ses accords sont purs comme dans les beaux-arts; mais lorsque cette douce harmonie se trouve en effet dans le cœur de ce qu'on aime, c'est le ciel descendu sur la terre.

L'on voit par tout ce que je viens de dire, que l'imagination n'a partout qu'un même développement et qu'une même jouissance, qui est la beauté révélée par l'harmonie.

Ces élémens de l'harmonie sont à la fois des élémens de haine comme d'amour, de sympathie comme d'antipathie; plus on aime plus aussi l'on devient capable de haïr; et c'est un des inconvéniens des grandes affections du cœur de rendre exclusif, quelquefois injuste, et de nous isoler peu-à-peu dans tous nos rapports, an point de nous mettre enfin en hostilité avec tout ce qui n'est pas l'objet particulier de notre affection.

Que de rapports ne suppose pas un amour parfait ! Rapports réciproques des âmes, toujours si difficiles à trouver, et encore plus difficiles à soutenir; rapports entre la figure

et l'âme, rapports entre les nuances des sentimens, toujours si mobiles, avec l'expression de ses sentimens dans le geste, dans le langage, dans le rythme, et jusques dans le son de la voix. L'accomplissement de tous ces rapports ne se trouve complet que dans la grâce, qui est le mouvement de la beauté, et l'harmonie suprême de tant de rapports mobiles et fugitifs, dont le sentiment semble élever l'homme au-dessus de lui-même.

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Dans la réalité ces rapports ne se trouvent que par éclairs, et il importe en amour, comme en amitié, de chercher plutôt à nous rendre plus aimans, qu'à trop exiger de ce que nous aimons. Ce que nous ajoutons à notre sentiment, nous l'ajoutons réellement à l'idée que nous nous créons de la personne aimée. Nous rendre meilleurs et plus aimans, est donc le moyen le plus sûr de réaliser une partie des perfections que notre cœur exige, puisque en aimant davantage, on ajoute quelque charme à l'idée qu'on se fait de ce que l'on aime; et qu'en se rendant meilleur, on augmente le sentiment qu'on inspire.

CHAPITRE

III.

De l'origine des sentimens religieux.

AVANT

1. VANT de quitter les passions primitives, je vais développer l'origine d'un sentiment presqu'universel chez toutes les nations, et que, par conséquent, on peut, dans son principe, ranger parmi les passions primitives: ce sentiment est celui qui a fait naître la re-ligion chez toutes les nations de la terre.

J'ai dit que l'intelligence devoit son premier éveil à la sensibilité: voyons comment les idées les plus sublimes peuvent avoir leur origine dans l'imagination.

Nous avons vu les idées de préférence naître des rapports préétablis entre les sentimens et les idées. En vertu de cette loi chaque sentiment a ses idées de préférence; la crainte à ses idées; la reconnoissance a ses idées; l'espérance à ses idées. Ces idées une fois placées hors de nous, sont, comme l'idée réalisée par les beaux-arts, augmentées, agrandies et façonnées à la mode du pays; car ce u'est jamais que les idées, qu'on a déjà, que l'imagination emploie.

Lorsque les sentimens, créateurs de nos idées sont produits par une cause plus qu'humaine, qui, comme celle des grands phéno mènes de la nature, passe le pouvoir des agens ordinaires, l'imagination extraordinairement affectée par un sentiment surnaturel, enfantera des idées surnaturelles.

L'idée d'une force surnaturelle, irrégulière, donne ensuite l'idée d'une volonté, dont les mouvemens, aussi irréguliers que ceux de nos propres fantaisies, ont donné naissance à tous les Dieux; et ensuite à tous les cultes, créés par des homines ignorans, tour-à-tour affectés par la crainte, l'espoir ou la reconnoissance.

Je range les idées religieuses parmi les passions primitives, parce qu'émanées directement de la sensibilité, elles produisent des idées passionnées, qui ne s'épurent que peu-à-peu à mesure qu'elles s'élèvent de l'imagination à l'intelligence; et ne s'épurent jamais dans la classe nombreuse des hommes, qui, toujours privés de raison, sont éternellement condamnés à être intolérans, fanatiques et superstitieux.

Les sentimens de religion, émanés dans leur origine de la nature même, peuvent, par le moyen de fictions embellies par les beaux

arts, s'allier au sentiment du beau. Unies dans la suite avec l'intelligence on en voit naître les vérités les plus sublimes et les plus relevées.

J'observerai encore que c'est à la religion que nous devons tout ce qu'il y a de grand et de sublime dans les beaux-arts: il falloit une inspiration surnaturelle, émanée des sentimens religieux pour inspirer de grandes idées plus dignes des Dieux que des hommes. Si l'harmonie inattendue des grandes pensées est ce qui produit le sublime, quels objets étoient plus digne de le faire naître que les Dieux et les Héros !

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Des passions secondaires, ou passions pour les moyens.

§ 1. Caractère des passions secondaires. § 2. Comment elles se forment. §3. Comment l'amour de la patrie vient à naître.

UN $ 1. N désir, d'abord subordonné, devenu dominant dans la suite, produira les passions secondaires, ou passion pour les moyens. Il

en

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