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cher en l'espace de quinze jours; mais, pour notre terre, elle la voit toujours suspendue au même endroit du ciel. Cette immobilité apparente ne convient guère à un corps qui doit passer pour un astre, mais aussi elle n'est pas parfaite. La lune a un certain balancement qui fait qu'un petit coin du visage se cache quelquefois, et qu'un petit coin de la moitié opposée se montre. Or, elle ne manque pas, sur ma parole, de nous attribuer ce tremblement, et de s'imaginer que nous avons, dans le ciel, comme un mouvement de pendule qui va et vient.

Toutes ces planètes, dit la marquise, sont faites comme nous, qui rejetons toujours sur les autres ce qui est en nous-mêmes. La terre dit: Ce n'est pas moi qui tourne, c'est le soleil. La lune dit: Ce n'est pas moi qui tremble, c'est la terre. Il y a bien de l'erreur partout. Je ne vous conseille pas d'entreprendre d'y rien réformer, répondis-je; il vaut mieux que vous acheviez de vous convaincre de l'entière ressemblance de la terre et de la lune. Représentez-vous ces deux grandes boules suspendues dans les cieux. Vous savez que le soleil éclaire toujours une moitié des corps qui sont ronds, et que l'autre moitié est dans l'ombre. Il y a donc toujours une moitié, tant de la terre que de la lune, qui est éclairée du soleil, c'est-à-dire, qui a le jour, et une autre moitié qui est dans la nuit. Remarquez, d'ailleurs, que, comme une balle a moins de force et de vitesse après qu'elle a été donner contre une muraille qui l'a renvoyée d'un autre côté, de même la lumière s'affaiblit lorsqu'elle a été réfléchie par quelque corps. Cette lumière blanchâtre, qui nous vient de la lune, est la lumière même du soleil; mais elle ne peut venir de la lune à nous que par une réflexion. Elle a donc beaucoup perdu de la force et de la vivacité qu'elle avait lorsqu'elle était reçue directement sur la lune ; et cette

lumière éclatante, que nous recevons du soleil, et que la terre réfléchit sur la lune, ne doit plus être qu'une lumière blanchâtre quand elle y est arrivée. Ainsi, ce qui nous paraît lumineux dans la lune, et qui nous éclaire pendant nos nuits, ce sont des parties de la lune qui ont le jour; et les parties de la terre qui ont le jour, lorsqu'elles sont tournées vers les parties de la lune qui ont la nuit, les éclairent aussi. Tout dépend de la manière dont la lune et la terre se regardent. Dans les premiers jours du mois que l'on ne voit pas la lune, c'est qu'elle est entre le soleil et nous, et qu'elle marche de jour avec le soleil. II faut nécessairement que toute sa moitié, qui a le jour, soit tournée vers le soleil, et que toute sa moitié, qui a la nuit, soit tournée vers nous. Nous n'avons garde de voir cette moitié qui n'a aucune lumière pour se faire voir; mais cette moitié de la lune qui a la nuit, étant tournée vers la moitié de la terre qui a le jour, nous voit sans être vue, et nous voit sous la même figure que nous voyons la pleine lune c'est alors pour les gens de la lune pleine terre, s'il est permis de parler ainsi. Ensuite la lune, qui avance sur son cercle d'un mois, se dégage de dessous le soleil, et commence à tourner vers nous un petit coin de sa moitié éclairée, et voilà le croissant. Alors aussi les parties de la lune qui ont la nuit commencent à ne plus voir toute la moitié de la terre qui a le jour, et nous sommes en décours pour elles.

:

Il n'en faut pas davantage, dit brusquement la marquise; je saurai tout le reste quand il me plaira ; je n'ai qu'à y penser un moment, et qu'à promener la lune sur son cercle d'un mois. Je vois, en général, que dans la lune ils ont un mois à rebours du nôtre, et je gage que, quand nous avons pleine lune, c'est que toute la moitié lumineuse de la lune est tournée vers toute la moitié

obscure de la terre; qu'alors ils ne nous voient point du tout, et qu'ils comptent nouvelle terre. Je ne voudrais pas qu'il me fût reproché de m'être fait expliquer tout au long une chose si aisée. Mais les éclipses, confment vont-elles? Il ne tient qu'à vous de le deviner, répondisje. Quand la lune est nouvelle, qu'elle est entre le soleil et nous, et que toute sa moitié obscure est tournée vers nous, qui avons le jour, vous voyez bien que l'ombre de cette moitié obscure se jette vers nous. Si la lune est justement sous le soleil, cette ombre nous le cache, et en même temps noircit une partie de cette moitié lumineuse de la terre qui était vue par la moitié obscure de la lune. Voilà donc une éclipse de soleil pour nous pendant notre jour, et une éclipse de terre pour la lune pendant sa nuit. Lorsque la lune est pleine, la terre est entre elle et le soleil, et toute la moitié obscure de la terre est tournée vers toute la moitié lumineuse de la lune. L'ombre de la terre se jette donc vers la lune ; si elle tombe sur le corps de la lune, elle noircit cette moitié lumineuse que nous voyons, et à cette moitié lumineuse qui avait le jour, elle lui dérobe le soleil. Voilà donc une éclipse de lune pendant notre nuit, et une éclipse de soleil pour la lune pendant le jour dont elle jouissait. Ce qui fait qu'il n'arrive pas des éclipses toutes les fois que la lune est entre le soleil et la terre, ou la terre entre le soleil et la lune, c'est que souvent ces trois corps ne sont pas exactement rangés en ligne droite, et que, par conséquent, celui qui devrait faire l'éclipse jette son ombre un peu à côté de celui qui en devrait être couvert.

Je suis fort étonnée, dit la marquise, qu'il y ait si peu de mystère aux éclipses, et que tout le monde n'en devine pas la cause. Ah! vraiment, répondis je, il y a bien des peuples qui, de la manière dont ils s'y prennent, ne

la devineront encore de longtemps. Dans toutes les Indes orientales, on croit que, quand le soleil et la lune s'éclipsent, c'est qu'un certain dragon, qui a les griffes fort noires, les étend sur ces astres, dont il veut se saisir; et vous voyez, pendant ce temps-là, les rivières couvertes de têtes d'Indiens, qui se sont mis dans l'eau jusqu'au cou, parce que c'est une situation très-dévote, selon eux, et très-propre à obtenir du soleil et de la lune qu'ils se défendent bien contre le dragon. En Amérique, on était persuadé que le soleil et la lune étaient fàchés quand ils s'éclipsaient; et Dieu sait ce qu'on ne faisait pas pour se raccommoder avec eux. Mais les Grecs, qui étaient si raffinés, n'ont-ils pas cru longtemps que la lune était ensorcelée, et que des magiciennes la faisaient descendre du ciel, pour jeter sur les herbes une certaine écume malfaisante? Et nous, n'eûmes-nous pas belle peur, il n'y a que trente-deux ans (en 1654), à une certaine éclipse de soleil, qui, à la vérité, fut totale? Une infinité de gens ne se tinrent-ils pas enfermés dans des caves? Et les philosophes, qui écrivirent pour nous rassurer, n'écrivirent-ils pas en vain, ou à peu près? Ceux qui s'étaient réfugiés dans les caves, en sortirent-ils ?

que

En vérité, reprit-elle, tout cela est trop honteux pour les hommes; il devrait y avoir un arrêt du genre humain qui défendît qu'on parlat jamais d'éclipse, de peur l'on ne conserve la mémoire des sottises qui ont été faites ou dites sur ce chapitre-là. Il faudrait donc, répliquai-je, que le même arrêt abolit la mémoire de toutes choses, et défendît qu'on parlât jamais de rien; car je ne sache rien au monde qui ne soit le monument de quelque sottise des hommes.

Dites-moi, je vous prie, une chose, dit la marquise; ont-ils autant de peur des éclipses dans la lune que

nous en avons ici? Il me paraîtrait tout à fait burlesque que les Indiens de ce pays-là se missent à l'eau comme les nôtres; que les Américains crussent notre terre fâchée contre eux; que les Grecs s'imaginassent que nous fussions ensorcelés, et que nous allassions gâter leurs herbes, et qu'enfin nous leur rendissions la consternation qu'ils causent ici-bas. Je n'en doute nullement, répondis-je. Je voudrais bien savoir pourquoi messieurs de la lune auraient l'esprit plus fort que nous. De quel droit nous feront-ils peur sans que nous leur en fassions? Je croirais même, ajoutai-je en riant, que, comme un nombre prodigieux d'hommes ont été assez fous, et le sont encore assez pour adorer la lune, il y a des gens dans la lune qui adorent aussi la terre, et que nous sommes à genoux les uns devant les autres. Après cela, dit-elle, nous pouvons bien prétendre à envoyer des influences à la lune, et à donner des crises à ses malades; mais, comme il ne faut qu'un peu d'esprit et d'habileté dans les gens de ce pays-là pour détruire tous ces honneurs dont nous nous flattons, j'avoue que je crains toujours que nous n'ayons quelque désavantage.

Ne craignez rien, répondis-je; il n'y a pas d'apparence que nous soyons la seule sotte espèce de l'univers. L'ignorance est quelque chose de bien propre à être généralement répandu; et, quoique je ne fasse que deviner celle des gens de la lune, je n'en doute non plus que des nouvelles les plus sûres qui nous viennent de là.

Et quelles sont ces nouvelles sûres? interrompit-elle. Ce sont celles, répondis-je, qui nous sont rapportées par ces savants qui y voyagent tous les jours avec des lunettes d'approche. Ils vous diront qu'ils y ont découvert des terres, des mers, des lacs, de très-hautes montagnes, des abîmes très-profonds.

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