Page images
PDF
EPUB

rieuse ou « les femmes pourront répudier leurs maris sans en pouvoir être répudiées; mais elles seront un an après sans se pouvoir remarier. Point d'orateurs dans tout l'État que de certains orateurs entretenus par le public et destinés à entretenir le peuple de la bonté de son gouvernement. On érigera des statues aux grands hommes, en quelque espèce que ce soit, même aux belles femmes. On pourra même, pour une plus grand ressemblance, conserver toutes leurs figures en cire dans un palais magnifique fait exprès. On ferait le procès à ces statues ou figures pour les choses qui ne mériteraient pas d'attirer des peines corporelles aux personnes. » Vous voyez par lå que Fontenelle avait de bonnes raisons pour rester coi dans ses académies. Avec de pareilles idées politiques, il eût joué un bien joli rôle dans la comédie de la régence.

Après avoir publié la Pluralité des Mondes, il entra armé de pied en cap dans la petite guerre des anciens et des modernes; il se fit le champion des modernes ; aussi Boileau, qui n'aimait la satire que dans ses mains, se déclara pour toujours l'ennemi de Fontenelle; et, si ce nom ne se trouve pas aujourd'hui entre Cassagne et Colletet, c'est parce qu'alors Boileau ne faisait plus de satires. Boileau ne s'en vengea pas moins; dès que Fontenelle se présenta à l'Académie, le vieux satirique se mit en campagne pour le repousser. Partout après la visite de Fontenelle c'était la visite de Boileau : Fontenelle fut repoussé cinq fois. En homme d'esprit, il fit un Discours sur la patience, qu'il envoya à l'Académie. On ne refusa pas plus longtemps un poëte qui prenait si bien son parti le patient fut accueilli peu de temps après.

Cependant son esprit courait, avec un succès de plus en plus bruyant, la cour, la ville et la province. Tout provincial venant à Paris avec un peu de grammaire dans la tête voulait avant tout voir Fontenelle; il s'en retournait disant à tout propos : « J'ai vu l'Opéra et M. de Fontenelle, M. de Fontenelle ! quel génie! Il disait il n'y a pas quatre ans à la duchesse du Maine, qui lui demandait quelle différence il y avait entre elle et une pendule: Madame la duchesse, la pendule marque les heures, et

Votre Altesse les fait oublier. Et puis, l'an passé, il disait à madame de Tencin Ma chère dame, votre raison est comme ma montre, elle avance toujours. » Aussi, c'était un engouement sans bornes pour Fontenelle, au point qu'il dinait à peine en son logis une fois par semaine. Il payait sa bienvenue par un mot préparé à l'avance; souvent le même mot lui revenait vingt fois en aide. Dieu sait que de mines de caillette avant et après sa victoire jamais femme, jamais coquette, jamais comédienne, ne fit tant de façon pour dire : Je vous aime. La Bruyère, qui voyait clair en plein midi, à l'encontre de bien des beaux esprits du temps, trace ainsi l'esquisse de Fontenelle << Cydias est bel esprit, c'est sa profession. En société, après avoir incliné le front, relevé sa manchette, étendu la main et ouvert les doigts, il débite gravement ses pensées quintessenciées et ses raisonnements sophistiques. Fade discoureur, il n'a pas mis plutôt le pied dans une assemblée, qu'il cherche quelques femmes auprès de qui il puisse s'insinuer, se parer de son bel esprit ou de sa philosophie car, soit qu'il parle ou qu'il écrive, il ne doit pas être soupçonné d'avoir en vue ni le vrai, ni le faux, ni le raisonnable, ni le ridicule; il évite uniquement de donner dans le sens des autres. Cydias s'égale à Lucien et à Sénèque, mais ce n'est qu'un composé du pédant et du précieux, fait pour être admiré de la bourgeoisie et de la province. >>

Pour décourager la critique, Fontenelle avait déclaré qu'il brûlerait sans les lire toutes les gazettes qui s'en prendraient à ses livres comme il était d'ailleurs très-répandu dans le monde, comme il avait un pied partout, comme il savait tendre la main à propos, nul ne lui fut amer, hormis Rousseau et La Bruyère. Tout le monde chanta ses louanges: le Mercure galant et la Gazette de France, Bayle et Voltaire, les femmes savantes du Pérou et les poëtes de Stockholm, en prose et en vers, même en vers latins. Et quels vers! et quelles louanges! C'est Platon, c'est Orphée, c'est plus qu'un homme, c'est un demi-dieu. Écoutez Crébillon le tragique :

Poëte que la Grèce
Eût placé dès l'enfance au rang des demi-dieux.

Écoutez aussi M. de Nivernois : « Tous les temples du génie consacrent son culte. Semblable à ces chefs-d'œuvre d'architecture qui rassemblent les trésors de tous les ordres, il a recueilli les palmes de l'universalité. » Vous voyez que M. de Nivernois n'était obligé à rien par la rime Ce n'est plus la langue des dieux; mais Fontenelle n'eût pas dédaigné cette prose. Et celle-ci « Les livres de M. Fontenelle sont émaillés de belles pensées. C'est mieux qu'une prairie, c'est le majestueux spectacle du ciel, dont l'azur est relevé avec agrément par l'or étincelant des étoiles. »Ainsi parlait l'abbé Trublet. Que pensez-vous de cet agrément? Fontenelle eût trouvé cela de son goût. Jusqu'à Voltaire qui a dit :

:

L'ignorant l'entendit, le savant l'admira.

Mais Voltaire, sans doute pour imiter Fontenelle, termine sa tirade par une pointe :

Né pour tous les talents, il fit un opéra.

Jusqu'à Rigaud, qui nous a laissé un portrait de Fontenelle, embelli par je ne sais quel charmant sourire qui est presque un sourire de femme qui a aimé.

Pourquoi ces mauvais vers et cette mauvaise prose? Pourquoi ces temples, cet encens, ce culte, qui est une profanation de la poésie? Cherchons un peu les titres de Fontenelle. Son meilleur titre, n'est-ce pas d'avoir vécu cent ans? La postérité a beau faire un poëte qui vit ùn siècle va plus loin qu'un

autre.

Il a débuté dans le Mercure par les lettres galantes du chevalier d'ller—, où il a tenté de mettre en jeu tout son esprit. Ainsi je relis la lettre à Mademoiselle de V— sur un cheveu blanc qu'elle avait. Après bien des tournures fatigantes, il s'écrie: « Ne sauriez-vous, mademoiselle, avoir un peu de passion, sans blanchir aussitôt? L'amour est fait pour mettre un nouveau brillant dans vos yeux, pour peindre vos joues d'un nouvel incarnat, mais non pas pour répandre des neiges sur

votre tête. Son devoir est de vous embellir! ce serait grand'pitié qu'il vous vieillit, lui qui rajeunit tout le monde. Arrachez de votre tête ce cheveu blanc, et en même temps arrachez-en la racine qui est dans votre cœur. » J'ai copié le plus joli alinéa. Toutes les lettres sont ainsi : on dirait Benserade mis en prose.

Presque en même temps Fontenelle écrivait la Pluralité des Mondes, prenant pour guide Descartes en ses chimériques tourbillons. C'est là qu'il brille dans tout le jeu de son esprit. Il voulait donner le fruit sous la fleur, la philosophie sous l'image des grâces, la vérité sous l'écharpe ondoyante du mensonge. « Je suis le premier, » disait-il sans façon. Il comptait sans La Fontaine. Mais pouvait-il songer à La Fontaine, celui qui écrivait «Le naïf est une nuance du bas. » Pour la Pluralité des Mondes, le seul livre de Fontenelle qui soit venu jusqu'à nous, je reproduis le jugement de Voltaire : « Ce livre, fondé sur des chimères, ne peut devenir classique; la philosophie est surtout la vérité; la vérité ne doit pas se cacher sous les faux ornements. >>

[ocr errors]
[ocr errors]

Il faut le dire, ce n'est pas avec la galanterie qu'on s'en va à la recherche des mondes inconnus : la rêverie serait une meilleure compagne de voyage. On trouve dans les Mondes de Fontenelle un grand amas de matières célestes où le soleil est cramponne. L'aurore est une grâce que la nature nous donne par-dessus le marché. De tout l'équipage céleste, il n'est resté à la terre que la lune, qui a l'air d'y tenir beaucoup. Tout cela est fort joli, mais surtout pour des écoliers rieurs qui apprennent la géographie, ou pour des femmes qui écoutent en regardant les chinoiseries de leur éventail. La galanterie était la fleur des muses il y a cent cinquante ans; la rêverie, la passion des poëtes d'aujourd'hui, n'était alors, suivant Fontenelle, que la montagne où la rime prend sa source. Cette montagne a d'autres sources, s'il faut en croire Goëthe, Byron, Hugo et tant d'autres de notre temps, qui eussent révélé un nouveau monde à Fontenelle.

Une amère critique de la Pluralité des Mondes serait de dire

que ce livre est écrit pour les femmes de la pire espèce, pour les femmes savantes. Au temps de Fontenelle, les marquises de l'hôtel de Rambouillet se dispersaient çà et là dans tous les salons, ayant sur les lèvres non pas un sourire, mais, hélas! un trait de bel esprit. Fontenelle, qui avait été à cette école, Fontenelle, trop faible pour vivre avec les hommes, dressa de bonne heure sa tente du côté des femmes. Comme il n'avait pas d'amour, il rechercha l'hymen de l'esprit : il se maria aux femmes savantes.

Avant de se former avec les femmes savantes, il s'était pris d'un beau caprice pour Voiture, d'Urfé et mademoiselle de Scudéri; il avait promené son esprit le long du fleuve de Tendre, avec les bergères du Lignon, écrivant à la première venue, dans le Mercure galant, à la manière de Voiture. Cette fâcheuse aurore poétique a répandu ses lueurs trompeuses sur toute sa vie : il n'a jamais pu se défendre de certains retours malencontreux vers sa jeunesse. Il en était loin déjà quand il décrivit, dans le Mercure, l'Empire de la Poésie. Cette divagation est encore de la fameuse école. Ainsi, Fontenelle débute par ceci : « Cet empire est divisé en Haute et Basse-Poésie, comme le sont la plupart de nos provinces. La capitale de cet empire s'appelle le Poëme-Épique. On trouve toujours à la sortie des gens qui s'entretuent, au lieu que, quand on passe par le Roman, qui est le faubourg du Poëme-Épique, on ne va jamais jusqu'au bout sans rencontrer des gens dans la joie et qui se préparent à se marier. La Basse-Poésie tient beaucoup des PaysBas: ce ne sont que marécages. Le Burlesque en est la capitale. Deux rivières arrosent le pays : l'une est la rivière de la Rime, qui prend sa source au pied des montagnes de la Rêverie. Ces montagnes ont des pointes élevées qu'on appelle les Pointesdes-Pensées-Sublimes. Plusieurs y arrivent à force d'efforts surnaturels; mais on en voit tomber une infinité qui sont longtemps à se relever. L'autre rivière est celle de la Raison. Ces deux rivières sont assez éloignées l'une de l'autre. Il n'y a qu'un bout de la rivière de la Rime qui réponde à la rivière de la Raison de là vient que plusieurs villages situés sur la Rime,

« PreviousContinue »