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SUR

L'AVARE.

CETTE Comédie en prose et en cinq actes avoit été présentée au public en 1667. Le peu d'accueil qu'on lui fit alors engagea Molière à la retirer; mais il ne désespéra point que les partisans du bon goût et de la vraie comédie n'en fissent concevoir par la suite une meilleure opinion.

Il la fit reparoître en effet le 9 septembre de l'année suivante avec beaucoup moins de contradiction, quoique des circonstances particulières lui eussent fait à cette reprise un ennemi bien plus considérable que ceux de 1667. C'étoit l'illustre Racine avec lequel il ne se trouvoit déjà plus, depuis la chute d'Alexandre sur son théâtre.

Une critique d'Andromaque, sous le titre de la Folle Querelle, eut en 1668 plus de succès qu'elle n'en méritoit, et l'illusion du public, sur cette parodie, l'avoit fait attribuer à Molière, quoiqu'elle fût du comédien Subligny.

On sait combien Racine étoit délicat sur le chapitre de sa gloire; et l'erreur dans laquelle il étoit, avec

une partie du public, sur le véritable auteur de la Folle Querelle, ne lui permit pas d'abord de rendre assez de justice au nouveau chef-d'œuvre de Molière. Il alla même jusqu'à reprocher à Despréaux d'avoir ri seul au théâtre à une des représentations de l'Avare. « Je vous estime trop, lui répondit le poète satirique, « pour croire que vous n'y avez pas ri vous-même, du moins intérieurement. » Il y a apparence que Racine, désabusé de l'opinion que Molière avoit cherché à lui nuire, ne compromit pas plus long-temps ses lumières et son goût, en continuant de fronder une pièce dont le succès devenoit chaque jour plus

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assuré.

Le préjugé qui avoit fait tomber le Festin de Pierre, parce qu'il étoit écrit en prose, avoit également nui (dit-on) au succès de l'Avare en 1667. Mais ce prétendu préjugé n'avoit pas empêché le Pédant joué de Cyrano de réussir en 1654. Et le Festin de Pierre étoit si peu digne de la raison supérieure de Molière, qu'il ne faut point chercher d'autres motifs de sa chute que la bizarrerie du sujet. Quant à l'Avare, il faut toujours se souvenir que les ennemis de notre auteur balancèrent le succès de presque tous ses chefs-d'œuvre. Ils avoient borné ses talens à la simple farce, pour laquelle ils vouloient bien lui accorder quelques dispositions. Il falloit que la voix publique étouffàt par degrés leur manége et leur cabale.

On a fait voir, dans l'Examen d'Amphitryon, comment Molière imitoit les anciens; on n'entrera point, à l'égard de l'Avare, dans une discussion aussi détaillée, parce que ce seroit prouver une seconde fois qu'il ne se proposoit des modèles que pour les surpasser. D'ailleurs ce qu'il emprunta de Plaute, pour son Avare, est bien moins considérable que ce qu'il en avoit imité pour son Amphitryon.

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Il y a dans l'Avare (dit M. de Voltaire) quelques << idées prises de Plaute et embellies par Molière.

« Plaute avoit imaginé le premier de faire en même

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temps voler la cassette et séduire la fille de l'Avare. « C'est de lui qu'est toute l'invention de la scène du

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jeune homme qui vient avouer le rapt, et que l'autre prend pour le voleur. Mais on ose dire que Plaute « n'a point assez profité de cette situation, il ne l'a a inventée que pour la manquer. Que l'on en juge par « ce seul trait : l'amant de la fille ne paroît que dans ⚫ cette scène ; il vient sans être annoncé ni préparé, « et la fille elle-même n'y paroît point du tout.

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« Tout le reste de la pièce (continue le même au⚫teur) est de Molière. Caractères, intrigues, plaisanteries: il n'a imité que quelques lignes, comme cet

'Elle paroît dans la pièce à la scène vii du Ive acte. Il est vrai qu'elle n'y vient que pour crier qu'elle sent des tranchées, et qu'elle va accoucher :

Perii mea nutrix! obsecro te, uterum dolet.
no lucina, tuam fidem!. . . . .

"

endroit où l'Avare parlant, peut-être mal à propos,

« aux spectateurs, acte iv, scène ix, dit, mon voleur

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n'est-il point parmi vous ? Ils me regardent tous et «< se mettent à rire. Quid est quod ridetis? Novi om«nes, scio fures hic esse complures; et cet autre endroit où ayant examiné les mains du valet qu'il « soupçonne, il demande à voir la troisième, ostende

« encore,

"

« tertiam.

Mais si l'on veut connoître la différence du style « de Plaute et du style de Molière, qu'on voye les portraits que chacun fait de son Avare. Plaute dit, scène IV:

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« acte II,

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Clamat

Suam rem periisse, seque eradicarier,

De suo tigillo fumus si qua exit foras.

Quin cum it dormitum, follem sibi obstringit ob gulam,
Ne quid animæ forte amittat dormiens.

Eliamne obturat inferiorem gutturem? etc.

Il crie qu'il est perdu, qu'il est abîmé, si la fumée

de son feu va hors de sa maison. Il se met une vessie

« à la bouche pendant la nuit, de peur de perdre son

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souffle. Se bouche-t-il aussi la bouche d'en bas? etc. »>

La comédie de l'Avare a été traduite ou imitée chez toutes les nations qui ont des théâtres. Sadhwell, auteur médiocre anglois, la donna à Londres dans sa langue, du vivant même de Molière. La préface qu'il mit à la tête de sa traduction respire l'orgueil et l'insolence. Il ose se croire au-dessus de Molière parce

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