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Hm 131

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1855

Vignand Lib.

7-31-1925

AU LECTEUR.

L'homme est né pour la liberté, la paix et le bonheur, et partout il est esclave, en lutte et malheureux. Maître de la terre, qui est son royaume, il y vit plutôt en exilé qu'il n'y règne en souverain; il y arrive nu, et rien ne lui est donné qu'il ne l'ait arraché avec effort ou arrosé de ses sueurs. Son intelligence, qui le place au-dessus de tous les autres êtres animés, est une arme qui le blesse autant qu'elle le sert. Aux douleurs du présent elle ajoute les regrets, les remords du passé et les soucis de l'impénétrable avenir.

Frappé de ce spectacle étrange qui accuserait la bonté de Dieu, si accuser sa bonté n'était pas nier son existence, j'en ai cherché la cause et l'ai demandée à l'humanité elle-même. Je l'ai interrogée sur tous les points du globe, à tous les âges, à tous les degrés de civilisation et de barbarie, et à tous les âges, à tous les degrés de civilisation ou de barbarie elle m'a répondu qu'elle portait la peine d'un crime héréditaire, et que les suites de ce crime avaient

profondément altéré sa nature. Poursuivant mes recherches à la lueur de la tradition et de l'histoire écrite, j'ai vu, en effet, que l'homme, dans son orgueil, avait voulu être Dieu; que, ne pouvant être le Dieu de l'univers, il avait cherché à être le Dieu de ses semblables, et que, pour y parvenir, il avait au droit substitué la force, à la vérité l'erreur, car avec la force seule on tue, on n'asservit pas. J'ai vu l'homme en famille tuer son frère; lorsqu'il s'est multiplié et que les sociétés se sont formées, j'ai vu d'illustres scélérats, appelés héros ou conquérants, pratiquer le meurtre sur une vaste échelle et donner le nom de droit à l'horrible fait de la guerre. A côté de ces héros, j'ai vu des fourbes, appelés prêtres, aider à l'asservissement des corps par l'asservissement des intelligences (1); j'ai vu ces conquérants et ces prêtres se donner la main, partager la puissance quelquefois, et, dit le prophète Daniel (2), les bénéfices de la puissance toujours. J'ai vu une autre classe de fourbes, appelés philosophes, se réunir aux premiers, travailler de concert à obscurcir l'intelligence

(1) Sic et homines principes, non sane justi, ea quæ vana esse noverant, religionis nomine populis tanquam vera suadebant, hoc modo eos civili societati velut arctius alligantes, quo similiter subditos possiderint. (S. AUGUSTIN. De civit. Dei, lib. iv, cap. xxxII.)

(2) Voyez, au chap. XIV, avec quelle énergie Daniel démasque Fbypocrisie du sacerdoce de Babylone, qui a été l'origine de tous les sacerdoces païens.

en faussant les idées révélées (1), les seules idées vraies qu'il puisse y avoir dans le monde, et contribuer ainsi, par la perversion de l'esprit, à la perversion du cœur, à la domination des passions brutales, et à leur fin dernière, l'universelle servitude.

Un grand événement, que je raconterai en son lieu, était venu briser les fers du genre humain en rallumant le flambeau éteint de l'éternelle vérité; mais la domination humaine travaille de nos jours avec plus d'audace que jamais à ramener la servitude par l'erreur, et tels sont ses succès que, pour beaucoup de bons esprits, un nouveau Bas-Empire ne paraît ni impossible ni éloigné.

Devant ce danger immense, je me suis dit: Le devoir du prêtre de Jésus-Christ, du dépositaire de la vérité, n'est-il pas de courir sus à l'erreur et de répandre la lumière qu'il a reçue? Mettre en avant son insuffisance pour se taire, n'est-ce pas un calcul de la lâcheté autant qu'un raffinement de la vanité? Le soldat qui vole à la frontière menacée se demande-t-il,

(1) Le sens large que j'attribue ici à ces deux mots : idées révélées, est emprunté à saint Paul, dans son épître aux Romains, chap. Ier, lorsqu'il dit : Revelabitur enim ira Dei de cœlo super omnem impietatem et injustitiam hominum eorum qui veritatem Dei in injustitia detinent. Quia quod notum est Dei, manifestum est in illis Deus enim illis manifestavit. Toute idée manifestée est une idée révélée, ou, si l'on veut, une idée objectivée. Mais cette idée cût détruit la domination usurpée des hommes, ils la faussèrent avec une iniquité que flétrit saint Paul, et que je flétris avec lui.

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IV

avant de partir, s'il est un Bayard, un Turenne, un Napoléon? Non, il va au feu.

Tel est le sentiment qui, après de longues études, de longues méditations, et j'ajouterai de longues hésitations, m'a déterminé à prendre la plume. Qu'on ne cherche pas un système dans ce volume. Comme avant de construire il faut déblayer le terrain, je montre ici toute l'inanité des religions, des philosophies et des politiques de l'antiquité. Dans un second volume, j'essayerai d'édifier, et, Dieu me venant en aide, j'aurai le bonheur, sinon d'avoir contribué, au moins d'avoir aspiré à rendre au genre humain ses droits trop longtemps usurpės.

Paris, 1er juin 1854.

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