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homme et de la transmission à toute sa postérité de ce malheur du père du genre humain.

Le récit de Moïse se retrouve dans les croyances, dans les superstitions de tous les peuples de la terre. Interrogezla à ses âges divers; fouillez dans les cendres et dans les décombres qui couvrent ce que les conquérants anciens en ont connu; cherchez dans la boue sanglante des Amériques où les conquérants modernes ont imprimé leurs pas; sondez les rivages lointains de l'Océanie vous ne trouverez nulle part une nation, une tribu qui ne croie que le père du genre humain, au commencement, a été innocent et heureux; qui n'admette, sous différents noms, un âge d'or, un paradis terrestre, une faute première, et par suite l'altération de la nature humaine. Rien n'a plus fortement frappé l'attention des philosophes que cette croyance ineffaçable et commune à tous les peuples. Il y a là quelque chose d'éclatant comme la lumière du soleil, qui s'élève et reste immuable au-dessus du délire et de la sagesse, de l'orgueil et de la raison des hommes. En effet, cette idée universelle de la déchéance du genre humain est si singulière, qu'on ne peut pas plus l'attribuer à la raison qu'à la folie. Comment se serait-elle répandue parmi tous les peuples sans la vérité du fait? Est-il possible que tous se soient concertés sur ce point unique? Quelle que soit la variété des fictions, la différence des mœurs, des religions, des époques de l'existence des nations, une seule idée reste uniforme, invariable : l'idée de la déchéance du genre humain.

En Orient, berceau des Chaldéens, des Assyriens et des Perses, l'histoire de Moïse ne subit d'autre altération que celle des noms. « Meschia et Meschiané, le premier homme

>> et la première femme, étaient d'abord soumis à Or» muzd, leur créateur. Ahrimane les voit; jaloux de >> leur bonheur, il les aborde sous la forme d'une couleuvre, » leur présente du fruit et leur fait de trompeuses pro» messes; ils le croient. Ahrimane devient leur maître; » leur nature est corrompue, et cette corruption infecte >> toute leur postérité. » Ainsi, dit Zoroastre (1), le péché ne vient point d'Ormuzd, mais il vient de l'être caché dans le crime (2).

Tout est renfermé dans ce passage: origine du mal, idée d'intelligences antérieures et supérieures à l'homme, idée de la chute de plusieurs de ces sublimes intelligences, tentation, chute, altération de l'homme et transmission de cette altération. Ahrimane, comme Satan, emprunte les traits du serpent. Cette figure de serpent, emblème ou réalité qui a tant égayé les beaux-esprits du dernier siècle, se retrouve partout, elle est de tous les temps, de tous les lieux, et l'on dit encore de nos jours, pour exprimer le suprême degré de la perfidie dans le langage, une langue de vipère.

Le fruit, l'arbre, le serpent, les bons et les mauvais anges, la rébellion de l'ange, source du mal, se reproduisent dans toutes les traditions avec des analogies surprenantes. Ainsi, les Caraïbes se croient sortis des vers qu'engendre le cadavre du serpent immolé par le fils de Dieu (3); les Moluquois se disent issus du crocodile; les Perses (4)

(1) « Le seul homme, dit saint Augustin (Cité de Dieu), qui soit venu au monde en riant. » Il y apparut, en effet, comme une ironie; il est l'inventeur de la magie.

(2) Vendidad Sadé, p. 305, 428.

(3) Ipsa conteret caput tuum, et le mot ipsa se traduit bien ici par le Fils de Dieu.

(4) Mythologie des Hindous, par M. Polier.

enseignent que, longtemps avant la création de l'homme, eurent lieu les révoltes des Daints (mauvais génies) contre les Déiotas (bons génies). Les Izeds d'Ormuzd livrent bataille aux Dews d'Ahrimane (1). Les divinités inférieures de l'Asgard combattent les Daints, issus d'Ymir (2). Chez les Égyptiens, les premiers instituteurs de l'univers, c'est la lutte de Typhon et d'Osiris (3). «Typhon, ajoute Plutarque, remplit de maux le ciel et la terre; il en fut puni; » et ailleurs : <«< La partie de l'âme passionnée, violente, déraisonnable, folle, est Typhon, ou vient de Typhon, comme l'interprétation du mot égyptien l'indique; car ils appellent Typhon Seth, qui veut dire supplantant, dominant, forçant (4). » Typhon est représenté, tantôt sous la forme du crocodile, tantôt sous la forme du serpent (5). Chez les Scandinaves, c'est la lutte des Ases et des Loki, des bons et des mauvais génies (6), et les hommes sont alternativement objets de leurs soins et victimes de leur envie (7). Sauf la magnificence naturelle du langage, sublime privilége de l'historien sacré, le récit de Moïse se retrouve au fond de toutes les théogonies connues. Dans les Indes, les Brahmanes enseignent que l'homme est déchu et dégénéré. Pour se purifier, outre les ablutions et les lustrations dans le Gange, ils recourent à des superstitions révoltantes, brûlent les femmes sur les cadavres de leurs époux et font écraser une foule de victimes sous les roues pesantes du char qui porte le dieu Djaggernat, ou (1) Zend-Avesta de Zeretochtro (Zoroastre.) — (Traduction d'ANQUETILDUPERRON.)

(2) L'Edda.

(3) Hérodote, Plutarque.

(4) Plutarque, Isis et Osiris.

(5) Idem, ibid.

(6) Manilius.

(7) Sæmund-Sigfusson, Edda.

les livrent, dans les pagodes, à des tortures sanglantes. Ces usages, qui indiquent la dégradation actuelle des Hindous, perpétuent chez eux le souvenir du péché originel. La chute du premier homme est racontée dans leurs livres liturgiques comme dans nos livres sacrés. Kali a fait tant de mal à la création, qu'il faut l'incarnation de Wishnou pour le réparer. Wishnou tue l'horrible serpent Kalyva. Son ennemi le blesse au talon, mais Wishnou lui écrase la tête avec le pied. Qui ne se rappelle ici les mots de la Bible: « Elle te brisera la tête et tu tàcheras de la mordre >> au talon. >>

<< Au commencement, » enseigne la tradition chinoise, << rien ne nuisait à l'homme, et l'homme ne nuisait à rien. » Une harmonie universelle régnait dans la nature... Mais >> l'homme s'étant révolté contre le ciel, le système dé >> l'univers fut dérangé, les maux et les crimes inondèrent >> la terre. >>

Ce n'est pas sans admiration que l'on voit la vérité des détails bibliques percer sous le voile de la tradition chinoise: « Et dans le Krita-Youga, ou troisième âge, la jus» tice, sous la forme d'un taureau, se maintient ferme sur >> les quatre pieds. La vérité règne, et aucun bien obtenu >> par les mortels ne dérive de l'iniquité.

>> Mais, dans les autres âges, par l'acquisition illicite de » la richesse et de la science, la justice perd successivement >> un pied (1). >>

<< Au commencement, l'homme, obéissant au ciel, était tout esprit; mais ensuite, ne veillant pas sur lui-même, la passion prit le dessus, et il perdit l'intelligence (2). »

(1) Lois de Manou, 1. 1, art. 81 et 82.

(2) Lopi.

On y retrouve également la lutte entre les anges rebelles et les anges restés fidèles, l'apparition de Dieu dans le paradis terrestre après la chute d'Adam, la faiblesse et l'impuissance de l'homme consterné sous l'œil de son créateur.

« Brahma, ayant défait les mauvais génies, les bons gé>> nies restèrent vainqueurs; alors ils se dirent entre eux : « C'est nous qui avons vaincu, c'est de nous qu'est venue » la victoire, c'est à nous qu'en revient l'honneur; » progrès rapide, délire de l'orgueil comme dans le livre sacré.

« L'Être suprême, ayant su toute leur vanité, leur ap>> parut (1), et ils ne connurent pas quelle était cette ado>> rable apparition.

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» O Agni, dieu du feu, disent-ils, origine du rig-veda, >> peux-tu savoir quelle est cette adorable apparition? ->> Oui, dit-il; et il se dirigea vers l'adorable apparition, qui >> lui demanda : - Qui es-tu? Je suis Agni, le dieu du » feu. — Quelle puissance extraordinaire y a-t-il dans ta >> personne? Je puis réduire en cendres tout ce qui est » sur ce globe de terre. Alors l'Etre suprême, ayant >> déposé un brin de paille devant lui: Brûle cela!

>> S'étant approché de cette paille, le dieu du feu, mal>> gré tous ses efforts, ne put la brûler. Aussitôt il se re>> tourna vers les autres dieux : Je n'ai pu connaître cette >> adorable apparition; voilà.

>> Alors les dieux s'adressèrent à Vayou, le dieu du vent: >> — Dieu du vent, peux-tu savoir quelle est cette adorable >> apparition? - Oui, dit-il. - Il se dirigea vers l'adora» ble apparition, qui lui demanda: — Qui es-tu? Je >> suis Vayou, le dieu du vent; je suis celui qui pénètre

(1) Et cum audissent vocem Domini Dei deambulantis in paradiso ad horam post meridiem. (GEN., C. IV, v. 8.)

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