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mais parce que la science en constate tous les jours la scrupuleuse exactitude. Le passé, le présent, l'avenir, tous les grands événements du monde se classent, à la voix de Moïse, avec un ordre, une clarté, une précision qu'il est impossible d'expliquer si l'on n'y reconnaît point l'inspiration divine.

L'historien de la création attribue au genre humain six mille ans d'existence; et il est impossible, dit Cuvier, de s'éloigner beaucoup de cette date, si l'on veut trouver dans le monde les conditions qui rendent possible l'existence humaine. Tous les monuments viennent à l'appui de cette vérité (1).

Moïse nous révèle le mode d'existence de l'humanité, ses rapports avec Dieu, la protection dont elle est primitivement l'objet; sa liberté, l'abus qu'elle en fait; sa chute, la cessation de ses rapports intimes avec le Créateur, les disgrâces et les malheurs qui en sont les conséquences; la faiblesse de cette nature déchue, son penchant au mal, son aveuglement, ses crimes, le cataclysme épouvantable qui en est la punition. Il raconte comment l'espèce humaine est conservée malgré ce bouleversement universel; sa corruption nouvelle et sa confusion au pied du monument de son orgueil. Excepté la voix de Moïse, tout se tait dans le monde sur cette partie de notre histoire. Sans lui, nous en serions encore réduits aux conjectures sur les premières années de notre existence. Les historiens et les savants ont fait sur cette période du genre humain des récits qui ne sont remarquables que par leur extravagance. Et si un œil exercé démêle au milieu de tant de folies quelque trait qui satisfasse la raison, c'est que ce trait est éclairé par un re

(1) Sedgwik, Discours sur les études de l'Université de Cambridge.

flet de l'éclatante lumière qui brille dans le récit biblique.

Il n'est pas un siècle qui ne voie s'accomplir les événements annoncés par Moïse, dans l'ordre qu'il a indiqué et par les hommes qu'il a nommés. Il marque avec précision l'origine et le mode de génération des êtres. Le rang qu'il leur assigne, les noms qu'il leur donne, sont leur véritable rang et leur véritable nom.

Nulle part on ne vit une cosmogonie aussi concise et aussi complète en même temps: monde matériel, monde moral; monde antérieur, monde à venir; législation, théologie, tout se trouve dans ce livre admirable. Chaque siècle, à mesure qu'il avance dans les découvertes de la science, porte un nouveau tribut d'admiration à cette œuvre unique, parce qu'à chaque progrès il y trouve une nouvelle preuve de vérité. On peut dire que le monde est enchaîné à la voix de Moïse, et que la voix de Moïse répond seule à tous les âges, à tous les besoins, à toutes les vérités reconnues.

Toutes les vérités reconnues sont liées à la chute de l'homme; sans la chute de l'homme, rien ne s'explique, ni dans l'histoire, ni dans la législation, ni dans la race humaine. Expliquez sans Moïse ce mélange de grandeur et de bassesse dans l'homme, cette intelligence qui ne peut pas atteindre ses propres limites, qui touche à l'infini, et qui cependant est si faible, si incertaine; qui s'égare en tout et qui est impuissante à fixer une seule vérité; expliquez le fait de la Rédemption et la naissance du Christianisme si longtemps annoncés d'avance; expliquez l'affranchissement successif des nations et leur dégradation progressive en dehors de l'élément chrétien; expliquez les aspirations impérieuses des peuples anciens vers l'âge d'or

ou le passé, leur désespoir en face de l'avenir, et cet élan au contraire des peuples modernes vers l'avenir, cette idée de progrès, cette espérance, ce désir, cette certitude de perfectionnement. Or, s'il est vrai quand il parle de Dieu, de la morale, des grands événements que le monde a vus s'accomplir, comment l'historien sacré ne le serait-il pas quand il nous apprend le malheur de notre déchéance?

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Rien n'égale la simplicité du récit qu'il en fait. Dieu dit à l'homme Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre et assujettissez-la; dominez sur les poissons, sur les oiseaux, sur tous les animaux......... Et il le mit dans le Jardin de délices, lui permettant de toucher à tout, hors le fruit d'un seul arbre. Un être que l'orgueil avait déjà perdu, et qui ne contemplait pas sans envie le bonheur de l'homme, essaye, par une insinuation perfide, de l'entraîner dans sa condamnation. « Pourquoi Dieu vous a-t-il défendu de manger de tous les arbres du paradis (1)? » La volonté de la femme est ébranlée, elle n'est plus retenue que par la crainte de mourir. «< Vous ne mourrez point..... Le jour où vous mangerez de ce fruit, vos yeux seront ouverts et VOUS SEREZ COMME DES DIEUX, connaissant le bien et le mal.

« La femme en mangea, et elle en donna à Adam, qui en mangea aussi (2). » Le précepte est transgressé. Les yeux de nos infortunés aïeux s'ouvrent en effet; mais, loin de faire un pas au delà des limites tracées par la main divine, ils ne voient que leur nudité (3). J'ai craint, parce

(1) Genèse, c. III, v. 1.

(2) Mulier.... tulit de fructu et comedit, deditque viro suo qui comedit.

(3) Cùmque cognovissent se esse nudos.

que j'étais nu. L'homme est déchu et le serpent, son séducteur, frappé de malédiction. Il deviendra l'horreur de la nature, l'éternel symbole de la fourberie! Quel homme voit aujourd'hui une vipère sans éprouver un frisson de terreur, sans demander à ses membres glacés s'ils ne sont pas pénétrés du venin de l'animal perfide (1)?.....

La victoire pourtant est promise à la victime du serpent; mais que de combats à livrer, de pièges à éviter (2)! Les joies pures de l'homme se changeront en angoisses, sa domination en servitude; sa puissance créatrice ne lui sera pas entièrement enlevée, mais elle sera-enchaînée par la douleur : « Femme, je multiplierai tes misères et tes conceptions; tu enfanteras des fils dans la douleur, tu seras sous la puissance de l'homme et lui-même te dominera... » L'homme aussi n'entend que des paroles terribles : « Maudite soit la terre dans ton œuvre! Tu tireras d'elle ta nourriture, dans les labeurs, tous les jours de ta vie. Elle te produira des chardons et des épines....... Tu vivras de pain à la sueur de ton visage jusqu'à ce que tu sois retourné dans la terre d'où tu as été tiré, car tu es poussière et tu retourneras en poussière (3). » Quel langage! et quel autre qu'un Dieu peut ainsi parler?

Les facultés diverses qui avaient été données à l'homme ne sont pas seulement affaiblies, il y a malédiction sur elles. Ses œuvres ne seront plus un jeu de sa volonté et de ses mains (4), elles deviendront laborieuses et pénibles, même celles qui émaneront des plus nobles prérogatives

(1) Maledictus es inter omnia animantia.

(2) Ipsa conteret caput tuum, et tu insidiaberis calcaneo ejus, c. III, v. 15.

(3) C. III, v. 16, 17, 18, 19.
(4) Ludens in orbe terrarum.

de sa nature. Il a voulu dominer, il sera dominé. Châtiment terrible qu'il prendra soin de s'infliger lui-même, ajoutant à son malheur une affreuse iniquité contre laquelle nous entendrons le Christ protester dans le prétoire de Pilate Si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous?

Après le malheur du premier homme, le crime de la domination humaine authentiquement attestée par les gémissements, les cris de douleur et les monuments de tous les peuples de l'univers, est-il nécessaire de chercher un appui au témoignage de l'historien inspiré? Mais je me suis proposé de ne laisser aucun doute sur le fait capital et fondamental de la déchéance humaine.

III

Durant la période d'enfance des sociétés, avant la découverte des arts, qui permettent aujourd'hui de conserver et de transmettre les connaissances humaines, dans ces temps reculés où l'intérêt des castes privait les masses de toute lumière, ou, ce qui était pis, ne leur donnait qu'une fausse instruction, on comprend que les vérités les moins frappantes aient dû entièrement disparaître, et les vérités les plus générales subir les altérations de l'ignorance et des préjugés. On comprend aussi que l'erreur aux mille origines ait varié selon les nations et les climats et changé comme les modes, au gré des goûts, des superstitions et des intérêts. Lors donc qu'un fait répandu dans tout l'univers se perpétue, survit aux révolutions, à la chute des empires et à la dispersion des peuples, ce fait, resté seul debout au milieu des ruines et des catastrophes, ne peut pas ne pas être vrai. Tel est le fait de la chute du premier

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