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vérité..... quiconque ne recueille pas avec moi, disperse. Si je voulais énumérer les noms des hommes qui ont confirmé cette thèse, je nommerais tous les philosophes qui ont eu de la portée. Les uns ont été conduits à cet aveu, non par le zèle de leur foi, mais par l'éclat et l'ascendant irrésistible des faits. J'aurai plus d'une occasion de faire clairement ressortir cette observation dans le cours de cet ouvragé et de démontrer que les penseurs les plus profonds n'ont pu échapper à la rigueur de notre conclusion qu'à l'aide des plus puériles contradictions.

Malebranche lui-même, dont la piêté fut si profonde et dont le génie honore à jamais l'humanité, s'égare dans les déductions abstraites de la philosophie. La volonté qui fait l'ordre de la grâce, dit-il, s'est ajoutée à la volonté qui fait l'ordre de la nature : je n'ai jamais pu comprendre ce langage; je ne considère dans l'harmonieuse variété des ouvrages du Créateur que l'unité d'une volonté qui crée, ou qui relèvè une créature, quand, créée libre, elle s'est, comme l'humanité, éloignée de ses lois. Malebranche reconnaît Dieu dans l'étendue intelligible; témérité humaine, nuancée de spinosisme. Je ne m'étonne pas qu'il ait encouru la censure. L'Église est, elle doit être l'intraitable gardienne de la vérité. Elle ne peut composer ni avec les écarts du génie, ni avec la colère des rois, ni avec la fureur des peuples. Elle ne cède ni à la ruse de Julien, ni à la dévorante volupté d'Henri VIII, ni à l'entraînement de l'Angleterre, ni à l'ambition des nobles ou à l'aveuglement passionné des peuples de l'Allemagne, ni à l'énergie de Tertullien, ni à la subtilité d'Origène, ni à la perfidie d'Arius, ni à l'avidité de Photius, ni à la raison d'Abélard, ni à la fougue de Luther, ni à la sainte douceur de

Fénelon, ni à l'inquiète prudence du grand Bossuet, ni à la gloire populaire de l'abbé de Lamennais. La vérité est une et la même pour tous. Que ne puis-je mêler mon nom obscur à ces noms éclatants? Je formulerais ici un vou, celui d'être frappé si je m'égare. J'aurais au moins le bonheur de me relever et de réparer mon erreur en la déplorant devant tous.

George Sand écrit dans l'histoire de sa vie un mot profond et étincelant de vérité. « J'ai cherché jadis la lumière dans des faits de psychologie. C'était absurde (1). » Poëte illustre, entrez à pleines voiles dans le catholicisme, reposez votre pensée dans ses profondeurs: Duc in altum; ou vous vous égarerez, comme tous vos devanciers, dans le chaos des contradictions humaines (2). Après votre affirmation, il ne vous reste pas d'autre alternative. L'un ou l'autre parti est fatal l'erreur ne se mêle pas à la vérité, comme le sang royal se mêle au sang plébéien, pour former l'unité d'un esprit original et d'un cœur à grandes aspirations. Le célèbre auteur a connu les principaux foyers de la lumière, et cela lui suffit. Non! la solidarité impose le devoir de montrer la vérité à ceux qui l'ignorent, au genre humain qui se trompe (3). « Quand j'ai compris, ajoute George Sand, que cette lumière était dans des principes, et que ces principes étaient en moi sans venir de moi, j'ai pu sans trop d'efforts ni de mérite entrer dans le repos de l'esprit. » Encore un pas, et vous avez le pied sur cette terre promise où l'on trouve aussi le repos du cœur, sans risque

(1) Voir la Presse du 4 octobre 1854.

(2) Inter se invicem cogitationibus accusantibus, aut etiam defendentibus.

(3) Histoire de ma vie.

ni pour la pitié ni pour l'amour : il y a tant de mystères ineffables dans le sein de la divinité! J'étais jeune, je succombais sous le poids de la douleur; de petits oiseaux, doux messagers du ciel, vinrent à moi; je les crus conduits par la main de Dieu je leur dois la vie..... je serais mort de tristesse.

Continuez, ô Dieu bon, de nous envoyer vos muets messagers; ils parlent du moins au cœur, tandis qu'il suffit aux hommes de connaître pour eux-mêmes le foyer de la lumière!

Si j'avais le droit d'avoir de la confiance comme de l'admiration, je dirais à l'auteur de l'Histoire de ma vie : Pourquoi laisser à votre œuvre la stérile personnalité que vous blâmez dans les Confessions de Jean-Jacques Rousseau? Pourquoi ne pas l'élever à la hauteur du motif sublime que vous découvrez et que vous admirez dans les Confessions de saint Augustin? Il eut le repos de l'esprit et les joies du cœur, dès qu'il eut le courage de consoler ses semblables, de les édifier par le récit même de ses égarements. Dieu donne tant de grâces aux humbles! N'auronsnous donc, dans notre siècle d'égoïsme, que les petits oiseaux pour porter, sur leurs ailes légères, notre pensée au ciel?

Un philosophe, M. Auguste Guyard, veut savoir si je suis jeune ou vieux. Comme si le cœur d'un catholique vieillissait; comme si je n'appartenais pas au Dieu qui rend la jeunesse éternelle (1)! M. Guyard veut que nous nous embrassions dans nos conclusions; et je le trouve à moi sur le seuil de sa porte. La première pensée de son ouvrage le plus important me prouve qu'il est catholique. « Le vrai, (1) Ad Deum qui lætificat juventutem meam.

le bon d'un livre sont de Dieu, et appartiennent à tous, comme le soleil (1). » C'est donc dans le sein de Dieu qu'il faut s'embrasser. C'est là le vrai soleil qui réchauffe et rajeunit les âmes. Tout ce qui est hors de là est froid et mortel (2). Vous l'affirmez vous-même. Le faux et le mauvais sont de l'homme et n'appartiennent qu'à lui (3). C'est en vain que vous voulez vous arracher à la rigueur logique de vos propres principes en disant : « La philosophie du progrès et de la liberté concluent-elles autrement? » Qu'est-ce que la philosophie du progrès et de la liberté? Quelle est la date de sa naissance? Quelle vérité a-t-elle introduite dans le monde? Vous ne pouvez lui reconnaître aucune initiative; je trouve chez vous mon grand principe de l'objectivité, c'est-à-dire de la dépendance humaine. Affirmer que l'esprit s'assimile les pensées d'autrui (4), c'est affirmer, comme George Sand, « que la lumière vient en nous, mais ne vient pas de nous (5). » L'homme n'est qu'un témoin de la lumière (6), et le témoin n'est ni le créateur de la vérité, quoi qu'en dise M, Eugène Pelletan (7), dont le monde admire l'esprit et que je voudrais voir dans une meilleure voie, ni le souverain de la raison, quoi qu'en dise M. Limayrac (8), toujours si judicieux pourtant. L'esprit s'assimile, en effet, tellement les pensées d'autrui, que, s'il arrive à nos philosophes de dire bien ou vrai, on retrouve

(1) Quintessences, p. 12.

(2) Quod autem his abundantius est a malo est. (Saint Matthieu, ch, V, v. 37.)

(3) Quintessences, p. 13.

(4) Guyard, Quintessences, 12.

(5) Non erat ille lux. (Saint Jean.)

(6) Sed ut testimonium perhiberet de lumine. (Id., ibid.)

(7) Voir le Siècle du 26 juillet 1854.

(8) Voir la Presse du 6 juillet 1854.

toujours leur pensée formulée dans nos livres saints. Le vrai, le beau, le moral n'ont jamais eu de plus intrépides et surtout de plus sincères défenseurs que nos pères, antérieurs de plusieurs siècles, je crois, aux philosophes. Connaissez-vous des âmes plus fières et plus libres que celles, par exemple, des Machabées en présence du danger? Et respondit Mathatias, et dixit, magnâ voce: Etsi omnes regi Antiocho obediant, ut discedat unusquisque a servitute legis patrum suorum, el consentiat mandatis ejus; ego et filii mei, et fratres mei, obediemus legi patrum nostrorum. Propitius sit nobis Deus non est nobis utile relinquere legem et justitias Dei, non audiemus verba regis Antiochi, nec sacrificabimus, transgredientes legis nostræ mandata, ut eamus alterâ viâ. Nourri par ma mère du lait des Machabées, et, comme eux, aspirant tous les jours de ma vie à la liberté universelle, sans laquelle il n'est pas de morale, c'est avec toute la franchise de mon âme que je vous tends la main. Vous êtes à nous, catholique dans le cœur : osez l'être dans le langage. Machabæus similis factus est leoni. J'affirme que nos erreurs ont trois sources: la raison, la tradition, les sens.

1o La raison, toujours disposée à préférer la parole qui la flatte, se fait illusion pour se convaincre que la vérité est dans cette parole, et elle devient un foyer d'erreurs ;

2o La tradition nous propose le vrai; elle peut aussi nous proposer le faux. Elle nous propose le faux chaque fois qu'elle substitue à la parole de Dieu la parole d'un autre être;

3o Les sens, facilement entraînés par l'attrait contre le droit, nous égarent aussi.

L'erreur de la raison commence dans le désir de

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