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vertu; le triomphe, c'est la justice. L'hypocrisie, c'est la prière à Dieu d'un homme qui n'aime pas l'homme; le cynisme, c'est l'hommage public à Dieu d'un homme qui prostitue la dignité humaine. Jamais l'homme n'ira à Dieu sans l'homme. C'est donc au nom de la justice universelle que je vous invite à élever vos désirs vers Dieu, intrépides athlètes de la vérité; en me révélant la générosité de votre âme, votre voix a porté l'espérance dans mon âme. Il n'y a point d'espérance sans la foi. La foi, qui n'est que la victoire de la raison sur l'emportement, prépare de nouveaux prodiges à notre siècle. L'homme de l'univers le plus capable de soutenir l'honneur d'un duel, écrit contre le duel un livre éminemment énergique et chrétien (1). L'idée, qui grandit les âmes, fixe aussi l'amour d'une génération pleine de vie. Je suspens ici, non sans effort, l'expression de mes joies et de mon admiration. Laissons germer dans la sainteté du recueillement l'œuvre des hommes qui guideront le jugement et qui détermineront le sort de la postérité. La reconnaissance publique donnera, en temps opportun, assez d'éclat à leurs noms. Le présent bientôt sera consolé par les espérances de l'avenir. Sans doute il brille dans l'homme un principe naturel de vertu; sans doute l'homme pense naturellement, puisqu'il est l'image de Dieu. Mais l'homme n'est pas éternel, donc il est nécessairement objectif, et sa loi dans ses rapports sociaux, c'est la loi éternelle, en d'autres termes, c'est l'idée divine objectivée dans l'âme humaine. Cette loi-là ne conduira jamais à l'injustice. Les biens temporels ont des avantages, une nécessité que je ne conteste pas; mais ils se multiplieraient

(1) M. Th. A. Mendez publie, en outre, un livre sur la peine de mort, un livre contre le suicide et un livre contre l'usure.

au gré de nos désirs, de nos besoins sous le règne de la Justice.

L'homme est naturellement raisonnable, je l'affirme; mais j'affirme qu'il est nécessairement objectif, et que sa vraie grandeur dépend de l'idée qu'il objective librement en lui. Il devient déraisonnable, petit, s'il objective en lui une idée fausse ou étroite.

Ainsi, l'objectivité humaine est le fondement de ma théorie; la négation de la souveraineté humaine en est la conséquence logique. Sans concevoir l'homme souverain, je pourrais le concevoir heureux ; je ne pourrais même pas le concevoir malheureux, s'il m'apparaissait intègre dans sa nature. Le spectacle de ses maux est pour moi une preuve invincible qu'il est privé de son intégrité. L'intégrité d'un être consiste dans la double harmonie de ses éléments constitutifs entre eux et avec les objets externes. Celui qui oserait affirmer l'existence de cette harmonie complète pourrait me convaincre de l'existence de l'intégrité humaine. L'harmonie de nos éléments matériels entre eux et avec les corps d'où dépend notre existence constitue l'intégrité de notre vie matérielle. L'harmonie de nos rapports avec la loi divine, qui est aussi notre loi de nature, constitue l'intégrité de notre vie morale. Notre âme et notre corps, appartenant à deux substances d'une nature différente, sont formés sur le même type. Chaque faculté de l'âme a sa corrélative dans une faculté physique. Tout ce qui entretient notre vie animale nous vient des corps externes; tout ce qui entretient notre vie morale, tout le bien qu'il y a dans le monde, nous vient d'une lumière externe, de vérités primitivement révélées; l'homme vit de pain et de la parole de Dieu; cette affirmation n'a rien de contraire à la

théorie des premiers concepts. Nous sommes naturellement aptes à voir; c'est cette aptitude, cette capacité que nous appelons la rue. Nous sommes naturellement intelligents; cette faculté est ce que nous appelons la raison. La raison est la vue intellectuelle, la vue de l'âme. Nous voyons naturellement; mais s'il n'y a pas devant nos yeux un objet externe, nous ne verrons que notre corps; et s'il n'y a pas une lumière externe, nous ne verrons même pas notre corps, nous le sentirons seulement. Il en est de même de notre intelligence: si un objet externe ne lui est pas présenté, elle ne connaîtra rien qu'elle-même; et s'il n'y a pas une lumière externe qui éclaire notre âme, elle ne se connaîtra même pas elle-même; elle n'aura que le sentiment de son existence. Voyez les idiots et les aveugles! L'idiotisme n'est que l'aveuglement intellectuel, l'accident qui prive certains individus de l'exercice de la faculté de concevoir. Le soleil éclaire tous les corps; son correspondant, son corrélatif incréé dans le monde intellectuel illumine toutes les intelligences (1). Eh bien! c'est cette lumière incréée que j'appelle Dieu. Les vérités mathėmatiques, les vérités artistiques, les vérités littéraires nous sont transmises par les corps et sont perçues par notre intelligence. Les vérités morales, les vérités relatives à Dieu et à nos devoirs sont conçues par notre intelligence; mais comment lui sont-elles transmises, puisqu'elles ne dérivent point d'elle, puisque l'intelligence humaine n'est pas le foyer primitif de la vérité et de la lumière? Dans les sciences exactes, la vérité est communiquée par les proportions de la matière même éclairée par le soleil. Dans la science morale, elle est communiquée par la parole, par la lumière

(1) Illuminat omnem hominein venientem in hunc mundum.

:

révélatrice intérieure de Dieu, ou par la tradition qu'éclaire l'esprit ou la lumière de Dieu. L'origine de la tradition, c'est la parole de Dieu. Or, c'est cette communication que j'appelle révélation. Le révélateur, c'est l'esprit de Dieu. L'adhésion de la raison à cette révélation, c'est la foi. Ma thèse, la voici La raison humaine, vive, active, pénétrante, conçoit et embrasse les vérités qui lui sont proposées. Toutes les vérités des sciences exactes et naturelles lui sont présentées par les corps qu'éclaire la lumière externe et matérielle. Les vérités morales lui sont proposées par la révélation qu'éclaire la lumière divine et immatérielle. Cette révélation est faite aux hommes ou par le précepte que Dieu grave intérieurement dans l'âme, ostendunt opus legis scriptum in cordibus suis (1), ou par les commandements que Dieu leur prescrivit dès le commencement: præcepit nobis Deus (2); elle fut renouvelée particulièrement à Moïse, qui reçut les commandements de Dieu; elle fut renouvelée aux prophètes, qui transmettaient au peuple d'Israël les vérités révélées; enfin, Jésus, qui porte au monde le défi divin de le trouver en défaut (3), est venu renouveler les vérités révélées, les compléter, et coordonner un ensemble parfait dans toutes les vérités morales adressées à tous les hommes. De là le catholicisme.

La doctrine du Christ prend ce nom, parce qu'elle contient l'universalité des vérités morales adressées à l'universalité des hommes. J'appelle erreur tout ce qui s'éloigne de ces vérités. J'ai avancé que toute vérité est une affirmation; il s'ensuit que toute erreur est une négation. L'er

(1) Epist. ad Rom., c. 11, v. 15.

(2) Genėse.

(3) Quis ex vobis arguet me de peccato?

reur ne saurait donc avoir un caractère d'universalité et de durée. Elle est une altération dans un sujet individuel. De même que les maladies endémiques, elle s'étend aux individus dans un certain rayon. L'air vicié atteint ceux qui l'aspirent; il en est ainsi au moral. Une doctrine fausse dégrade ceux qui l'acceptent. C'est déjà une preuve que la vérité ne procède pas de la raison humaine. La raison humaine, avant d'être éclairée par la tradition, et après avoir perdu l'éclat de la révélation intérieure, reçoit avec la même facilité un mauvais et un bon enseignement. Le fait du paganisme, l'enseignement philosophique, qui n'est que la formule de toutes les contradictions humaines, et une masse d'autres faits évidents, nous en fournissent l'irrécusable témoignage. Le révélateur divin proclame son infaillibilité; le révélateur humain proclame l'impuissance de la raison. Quel contraste, quel avertissement! Ce contraste et cet avertissement doivent nous frapper d'autant plus, que les faits qui les déterminent sont plus vrais, plus incontestables et plus hautement avoués par ceux mêmes qui auraient le plus grand intérêt à les démentir, si le démenti était encore possible. Strauss déclare nettement que Jésus n'a pu trouver l'élément social que dans son cœur, car la raison humaine, avant Jésus, ne le possédait ni de loin ni de près. Bayle avait expliqué cette négation: La raison est un instrument de destruction et pas d'édification (1). Et Rousseau a assigné à la cause de cette différence son véritable caractère : « Si la >> vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort >> de Jésus sont d'un Dieu.» L'axiome de Socrate était : Je sais que je ne sais rien. L'axiome de Jésus était : Je suis la (1) Pensées diverses. Continuation, v. 3.

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