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ticulation du langage est ici on ne peut plus clairement indiquée. C'est en société que se forme le langage. « La >> parole paraît avoir été fort nécessaire pour établir l'usage » de la parole (1). » Mais c'est aussi en société que se forment les notions de rapports; et comme l'homme n'est raisonnable qu'autant qu'il a la science des rapports, cela prouve que l'homme est objectif, et que l'homme n'est raisonnable qu'autant qu'il est sociable. Cela ne prouve nullement que l'homme n'est pas né pour la société, comme le concluait J.-J. Rousseau. Il aurait tout aussi bien fait de conclure que l'homme n'est pas né pour être raisonnable : paradoxe que sembla favoriser l'Académie de Dijon en couronnant son auteur. Nouvelle preuve, soit dit en passant, de l'influence qu'exercent les savants constitués sur la morale, et conséquemment sur les destinées des peuples.

La raison est la science des rapports; le langage est l'expression de cette science; la parole est donc naturelle à l'homme au même titre que la raison. Mais si la parole est naturelle, comment est-il nécessaire d'apprendre à parler? Je vous résoudrai cette difficulté par la solution de celle-ci : Si la raison est naturelle, comment est-il nécessaire d'apprendre à raisonner? car celui qui n'a rien appris, que sait-il? Qui non fuerit tentatus, quid scit?

Lorsque l'homme avait une vue intérieure complète, il dut parler naturellement, comme il voyait naturellement. Son langage était une harmonie naturelle, harmonie avec la pensée humaine, harmonie avec l'objet de la pensée. La parole le peignait pour ainsi dire; elle était une peinture phonique: La poésie est une peinture, a dit Horace. Poésie! (1) Rousseau, Politique, t. 1, p. 89,

vrai, unique langage, divine harmonie, parole primitive. Et le nom qu'Adam donna aux animaux était leur véritable nom, dit la Bible, avec une profondeur qui me ravit et me consterne d'admiration. La parole de l'homme, parfaite créature de Dieu, était une harmonie, une vraie peinture qui montrait à l'esprit l'objet exprimé. Il peint par le son même, dit M. de Latouche (1). Dans certains mots des lan gues primitives, on retrouve encore des traces de cette harmonie imitative qui rend, pour ainsi dire, aux yeux de l'esprit la nature des objets. Le radical de presque toutes les langues primitives exprime l'état ou l'action du sujet parlant. C'est ce qui leur donne une si grande fécondité, ce qui les rend et si utiles et si imagées. Elles sont d'une application universelle à tous les objets des connaissances humaines; elles portent l'empreinte de la clairvoyance primitive de l'humanité. Si l'homme, aujourd'hui, parle si mal, ou s'il ne parvient que par des efforts permanents à bien parler nos langues si imparfaites, c'est qu'il n'est plus dans son état parfait de clairvoyance. Sa nature altérée n'a plus le même rapport, la même harmonie avec cette lumière divine qui lui faisait voir toutes choses si clairement, si sûrement, et qui les lui faisait peindre comme il les voyait.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement.

a dit l'Horace français. « L'homme primitif, génie et poëte >> parfait, dirigeait son attention sans peine, et ses connais>> sances naissaient naturellement et clairement, et, en in>> fluant sur l'organisation, elles faisaient sentir leurs >> expressions naturelles et parfaites,» a dit M. Rambosson, jeune savant du plus grand avenir. Plus nous creu

(1) Philosophie des langues et introduction par l'hébreu, p. 7.

sons profondément dans les entrailles de l'humanité, plus nous découvrons de grandeur dans l'homme. Mais plus nous contemplons, ravis, sa grandeur, plus aussi nous sommes frappés d'étonnement et de douleur en voyant des ruines, en voyant des pans de muraille abattus de ce monument magnifique élevé sur le globe terrestre par la main puissante du Créateur. La foudre a atteint l'image même de Dieu! et son empreinte est indélébile sur notre front!

Dans son état de pureté primitive, l'homme, on le conçoit, était environné des rayons du soleil incréé, inondé du torrent des lumières divines. L'homme, dans le délire de son enivrement, s'éloigne de Dieu; il brise lui-même le lien qui l'attache à son créateur. Privé de ses communications intimes avec le Verbe, privé en partie de ses lumières, l'homme ne voit plus aussi clairement les vérités à la connaissance desquelles Dieu l'avait destiné. L'ignorance est donc la peine fatale de son éloignement de la source des lumières. L'homme est devenu ignorant, mais il n'est pas devenu inintelligent. Voyez! à la moindre lueur de lumière comme il comprend; et, quand il a compris, voyez les prodiges qu'il opère! Homme! ô fils d'Adam, je t'en supplie avec amour, ne te laisse pas une seconde fois enivrer par l'orgueil. Privé de la plus grande partie de la lumière dont le Verbe divin t'illuminait intérieurement, tu sens le besoin que tu as de la lumière externe, tu la cherches avec des efforts inouïs; et ton intelligence, comme ton corps, ne vit que de son travail in laboribus comedes.

Tout te prouve ton objectivité, et conséquemment ta dėpendance les récits bibliques, l'histoire tout entière du genre humain, les lettres, les arts, la tradition, toutes les

sciences; es sciences elles-mêmes ne sont qu'une objectivité pour toi; elles ne sont que l'histoire des faits permanents (1). La géologie n'est que l'histoire ou la description de la terre; la physique n'est que l'histoire ou la description du globe; la chimie n'est que l'histoire des éléments qui le constituent; l'astronomie n'est que l'histoire des corps célestes; les mathématiques ne sont que l'histoire des grandeurs; la physiologie n'est que l'histoire de l'organisme vivant; la métaphysique n'est que l'histoire des vérités éternelles et indépendantes de la matière; la psychologie n'est que l'histoire des faits qui se passent au dedans de toi-même : toutes les sciences donc, la vue intérieure qu'éclaire le flambeau divin, la voix de ta conscience, tout coïncide vers le même but et nous montre la vie de l'homme comme un fait arrivé dans le temps, mais comme un fait indestructible et magnifique. L'avenir s'ouvre radieux à nos regards; nos aspirations ne sont plus enchaînées à la matière; nous sentons en nous la puissance de la vérité; nous la voyons autour de nous. Nous ne sommes que d'hier; nous sommes le plus obscur des soldats de la plus sainte des causes; mais le mot inscrit sur notre bannière s'est trouvé gravé au fond des cœurs de tous les hommes généreux : Affranchissement universel par le triomphe du vrai dans les rapports sociaux : et le souffle de leur poitrine a dissipé la poussière des écoles de l'égoïsme et du pharisaïsme.

(1) On ne voit dans l'histoire que le récit d'un fait, que le témoignage rendu à un fait; et on voit dans la science surtout l'enchaînement des rapports des êtres, les déductions tirées des vérités premières. Mais ces déductions, ces rapports n'existent-ils pas dans l'essence des êtres; et leur exposition par conséquent est-elle autre chose qu'une description de ce qui est, qu'un témoignage rendu au fait de l'existence du vrai?

J'ai entendu le frémissement étouffé des sensualistes et

des Pharisiens!

L'éclectisme, cette chaîne de boue qui les unissait, a été brisé. Sa chute se cache dans le silence; je le dis bien haut, parce que dans Paris, cette ville de l'audace et de l'énergie, cette capitale de la générosité humaine, j'ai vu la phalange serrée des hommes de l'avenir; et j'ai vu, nouveau labarum sacré, planer sur nos têtes les âmes des grands citoyens, séparés de nous par la tombe; ils vivent immortels au milieu de nous, leur vie est notre vie; les barrières qui divisent les générations disparaissent; les limites qui fractionnent les peuples s'effacent; l'univers entier, voilà notre république! Il n'y a plus d'accès que pour les doctrines généreuses. On est las de subir le joug de doctrines étroites, bizarres, sans nom, et sorties des vieux décombres du paganisme; une électrique sympathie entre les âmes que séparait un stupide antagonisme fait déjà pressentir le règne futur de l'universelle justice. Que nous importe à nous l'orgueil égoïste d'une école? que nous importe un homme imposant ou un homme qui se pose? La raison la plus vraisemblable que l'on puisse donner de l'établissement du paganisme, c'est l'aspiration de l'homme à la divinité. Et cette aspiration, je la retrouve partout où je vois une infraction à la loi de la justice universelle. Nous ne voulons plus de ces divinités-là; nous rejetons avec mépris la devise païenne: Paucis vivit humanum genus. Nous ne légitimons d'autre passion que celle du bien de tous. Loin de nous les dieux faux et trompeurs! La liberté de l'homme ne vivra jamais dans l'ignominie de l'apothéoso d'un homme! Et nous prenons notre essor vers la liberté. Pour nous, la victoire, c'est la vérité; la dignité, c'est la

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