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tyrs, fondateurs de la personnalité humaine; qui ne vénère saint Jean-Baptiste, saint Ambroise, saint Thomas de Cantorbéry, sauveurs de la liberté des peuples? qui ne vénère cette multitude d'hommes saints et libres que l'Église catholique a comptés dans tous les siècles? Multitudo magna quam nemo dinumerare poterat.

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- Il y a des abus.

Sans doute il y a des sépulcres blanchis et des prophètes de destruction! Mais d'où viennent-ils? D'où partent l'orgueil et l'égoïsme, de Dieu ou de l'élément païen? Interrogo vos. Il n'y a abus que là où il y a substitution de la volonté de l'homme à la volonté divine; que là, en un mot, où il y a domination humaine!

Concevez-vous l'abus dans la volonté de Dieu?

Non.

Donc, vous êtes de mon avis; donc, vous pensez, comme moi, que l'acte de justice et de raison qui dépouille l'homme de sa souveraineté d'emprunt lui restitue en même temps le véritable titre de sa grandeur, de son indépendance, de son inviolabilité.

Eh! l'homme ne sait-il pas bien qu'il n'est pas souverain? Ne sait-il pas bien qu'il ne doit ce titre qu'au délire de son orgueil et à l'imbécillité de ceux qui le lui ont laissé prendre? Les caractères de sa faiblesse sont trop sensibles pour qu'il puisse croire à une souveraineté qui s'annonce sous les haillons de la misère, sous les chaînes de l'esclavage, que l'on trouve sous les verrous d'une prison et que l'on cherche en vain dans la poussière des tombeaux.

Si l'homme était souverain, endurerait-il la douleur, languirait-il dans les langes de l'enfance, se courberait-il sous le poids de la vieillesse, se laisserait-il aveugler par

l'erreur, s'agenouillerait-il aux pieds de son semblable, et permettrait-il enfin à la mort de l'arracher à sa souverainetė? Mais, par la même raison qu'il n'a pas le droit d'imposer ses lois, il n'a à en recevoir de qui que ce soit, si ce n'est de Dieu. Il n'est pas souverain, mais il est inviolable autant et plus dans la misère que dans l'opulence, autant et plus dans la faiblesse de ses premiers jours que dans la vigueur de l'âge. Plus il est délaissé, plus l'empreinte du divin ouvrier apparaît sur son front comme un talisman protecteur. Cela est si vrai, qu'une impression de terreur indéfinissable, répandue dans toute l'humanité, retient l'homme prêt à frapper le vieillard qui s'éteint ou l'enfant qui n'a encore qu'un souffle de vie. L'aspect du malheur suffit souvent pour désarmer un ennemi et changer son courroux en pitié.

Nul homme ne peut porter atteinte à l'inviolabilité de son semblable sans être aussitôt averti de son crime par le remords. Celui-là seul peut être condamné à mort, dont l'existence est devenue un danger, et dont la disparition est une garantie nécessaire à l'inviolabilité de tous. Car le droit de veiller à sa conservation et à celle des autres est encore écrit dans nos âmes de la main de la nature.

L'homme est inviolable, donc il n'est pas souverain. Le suicide, la simple mutilation même répugnent comme l'idée d'athéisme à la conscience universelle du genre humain. Notre constitution naturelle ne nous est pas donnée seulement pour nous; elle regarde aussi le service de Dieu et des autres hommes. Le droit de l'individu sur lui-même ou sur ses semblables est de contribuer au développement, à la perfection de la nature humaine, en secondant ses lois; il n'irait pas au delà sans crime. Le pouvoir de

l'homme, limité par le crime dans l'ordre moral, est limité par la nécessité dans l'ordre physique: il ne peut pas ajouter une ligne à sa taille, il ne peut pas en retrancher une ligne. Les lois morales qui règlent son intelligence et sa volonté sont tout aussi inviolables que celles d'où dépend sa nature matérielle. En accomplissant ces lois, l'homme grandit et s'élève; en ne les accomplissant pas ou en les violant, il se dégrade et tombe. Chaque mouvement qu'il fait ou qu'il souffre contre elles est une douleur ou un crime, et, pour que sa liberté même ait un frein, il ne trouve son bonheur que dans la perfection, son intérêt que dans la vertu, la vertu que dans la soumission aux lois toutes faites de la nature. Aucun droit de domination ne reste à l'homme ni sur lui-même ni sur ses semblables. Le véritable maître de l'homme, c'est Dieu.

Si un peuple s'éloigne des lois de la nature, il est flétri par l'histoire, écho vengeur de la conscience humaine, de l'unique souverain, Dieu. Si l'univers entier s'en écarte, la conscience humaine prend encore parti pour l'éternelle loi de la morale contre les tentatives insensées de l'univers, et l'on signale les siècles d'immoralité et de barbarie.

Non! l'homme n'a aucune souveraineté, il n'a aucun droit sur la loi de l'ordre, de la justice, de la vie; car l'homme ne vit que par l'ordre, et c'est en Dieu que se trouve l'essence de l'ordre (1).

Le droit divin n'apparaît véritablement que dans l'ordre. C'est une impiété et un attentat contre Dieu et contre l'humanité que d'invoquer le droit divin dans l'acte de l'homme qui prend possession de l'homme.

(1) Quæ autem sunt, à Deo ordinatæ sunt. (S. PAUL. ad Rom.)

Rendre Dieu complice de cet attentat contre la nature, c'est commettre un blasphème pour lequel la conscience humaine n'a pas d'expression.

Tout, dans le langage des peuples, montre que la conscience humaine voit en Dieu la source de tout bien, même de celui que l'homme fait, et le principe opposé à tout mal, même à la multitude des maux qui jaillissent de notre libre arbitre dépravé. C'est en invoquant Dieu que le pauvre demande du pain; c'est en invoquant Dieu que l'opprimé cherche à désarmer son bourreau.

Les efforts de l'absolutisme et de ses séides n'ont pu égarer la conscience du genre humain sur ce point.

Quoi qu'on puisse faire, dire ou écrire, l'humanité ne verra jamais le droit divin où il n'est pas, et elle ne cessera jamais de le voir là où il est, dans l'essence des êtres et dans l'ordre qui en ressort.

L'essence des choses, c'est le type éternel des êtres, tel qu'il existe dans l'entendement divin.

L'ordre, c'est la conformité des choses à ce type éternel. La manifestation de l'ordre dans l'entendement humain, c'est la révélation des lois ou des conditions de l'existence des êtres. Les lois, comme le type auquel notre raison doit se conformer, sont éternelles.

Toutes les perturbations sociales sont des infractions à ces lois.

Une première, une seconde révélation, une intelligence naturellement douée de force déductive et une volonté droite, doivent suffire pour nous faire connaître la science sociale et nous en faciliter l'application. Mais la volonté reste souvent dépravée en dépit de la science; et la science, dont on néglige les traditions, dont on redoute l'applica

tion, qui est la justice et l'ordre, cette science s'efface de l'esprit des hommes, et alors ce que nous appelons l'ordre, ce n'est plus la conformité avec le type éternel, c'est la conformité avec nos intérêts, avec le type factice que s'est créé le pauvre entendement humain. Ainsi s'explique cette étrange affirmation de Pascal (1): «Justice en deçà des Pyrénées, erreur au delà. »

Par cette double altération de l'intelligence et de la volonté, le sentiment de la dignité s'en va de l'âme du faible; le lien de la fraternité se brise, l'instinct même de l'humanité s'évanouit dans le cœur du fort et du puissant, et l'homme perd son inviolabilité en perdant sa sainteté. La vie n'est qu'une ombre, qu'un simple obstacle qu'on fait disparaître pour peu qu'il embarrasse. L'intérêt prend la place de la morale, et la règle des intérêts, répartis avec l'équité que nous savons, devient le contrat, le pacte des sociétés. C'est là tout ce que le génie de nos philosophes humanitaires a pu trouver de plus raisonnable.

Les peuples, égarés par les inintelligibles systèmes de ces docteurs, ne recueillent que le trouble et l'agitation au lieu de la paix et de la prospérité qu'on leur avait promises. Et, chose étrange! les continuelles déceptions dont ils ont été victimes ne les ont pas guéris de leur crédulité. Il suffit de se poser comme inventeur d'une doctrine bizarre pour paraître entouré d'une auréole de grandeur et

(4) L'honneur de ce mot est à Pascal, le mérite à Montaigne. Quelle vérité, que ces montaignes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au delà? (Essais, t. 11, p. 344.) Montaigne lui-même l'a emprunté au célèbre philosophe d'Elis. Ce n'est point une critique que je fais ici, c'est un jalon que j'échelonne. La suite en fera voir l'utilité. Je conslate que, chez nos plus grands penseurs, l'idée provient d'un nonmoi objectivé dans le moi.

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