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pénétré en Occident. L'introduction en Grèce de la philosophie et des idées orientales se rattache aux noms d'Orphée, Thrace d'origine; de Phoronée; de Cadmus; de Cécrops, fondateur d'Athènes et originaire de Saïs, en Égypte. Nous lisons dans Mégasthènes (1), historien grec sous Séleucus Nicanor, cet aveu remarquable: «Tout ce que les anciens ont >> dit de la nature se retrouve dans les ouvrages des philo>>sophes étrangers: chez les Indiens, dans les écrits des >> Brahmanes; en Syrie, dans ceux des Juifs (2).» Aristobule, de l'école d'Aristote, affirme que Platon avait connu la législation juive, et qu'il en avait étudié toutes les dispositions, ainsi que Pythagore, qui leur a emprunté plusieurs points de sa doctrine. Numénius, disciple de Pythagore, s'explique encore plus clairement : « Qu'est-ce que Platon (3), si ce n'est Moïse parlant en grec?» Je prie celui de mes lecteurs qui douterait de ce fait de confronter le chapitre deux du premier livre de la République de Platon avec le cinquante-sixième chapitre d'Isaïe. Rousseau ne s'y est point trompé; il a clairement vu dans le philosophe grec ce que la Bible a écrit sur la doctrine, la vie et la mort de Jésus-Christ. Celse en avait été si vivement frappé, que, ne pouvant nier ni la ressemblance des idées ni leur unité d'origine, il accusa Moïse d'avoir copié Platon, aimant mieux franchir toutes les dates que de braver l'évidence des faits. Moïse était né 1725 et Platon 430 ans avant Jésus-Christ. C'est à cette audace souvent répétée qu'est due la fortune de la philosophie : je le démontrerai jusqu'à l'évidence quand j'aurai à établir que l'idée de justice uni

(1) Cité par Clément d'Alexandrie et par Eusèbe.

(2) Le péripatéticien Cléarque prétendait avoir vu un Juif en rapport avec Socrate. (JOSÈPHE, CLÉMENT D'Alexandrie, Eusèbe.) (3) Origène, Eusèbe.

verselle, que le progrès social conséquemment n'est pas d'origine philosophique. Je fais ici abstraction des hommes, je ne poursuis que l'idée, mais avec cette invincible énergie que donne le sentiment de la justice. Porphyre accuse les Grecs d'avoir corrompu les doctrines qu'ils avaient puisées chez les Égyptiens, les Chaldéens, les Phéniciens, les Lydiens et les Hébreux. Josèphe (1) démontre que Bérose de Chaldée, Jérôme d'Égypte, Nicolaus de Damas, se sont accordés en parlant de Moïse. Il faudrait donc détruire tous les monuments historiques pour faire disparaître l'idée des communications des divers peuples entre eux; il faudrait, en outre, détruire toutes les idées de l'expérience des siècles, et, ces idées disparues, il resterait encore les traits ineffaçables de famille que portent tous les systèmes philosophiques, et qui indiquent leur unité d'origine Præcepit nobis Deus; dii eritis; l'homme soumis à Dieu, ou l'homme souverain et Dieu. Il est impossible de sortir de là.

Hésiode et Homère sont les créateurs de la théogonie des Grecs (2). Leurs écrits renferment les traits épars qui furent ensuite réunis en corps de doctrine dans les ouvrages de philosophie. Il n'est pas une seule question philosophique agitée en Grèce qui ne soit indiquée par Homère. Hésiode et Homère avaient connu la Bible, comme l'indiquent plusieurs passages de leurs œuvres. Hésiode parle du chaos dans les mêmes termes que Moïse; il dit que le chaos d'où sont sorties toutes choses est le néant (3);

(1) Antiquités, liv. 1er.

(2) Hérodote.

(3) Voir Aristote, dans son livre sur Xénophane, sur Zénon et sur Gorgias.

Moïse, que les ténèbres furent antérieures au jour; Hésiode le dit aussi. Moïse affirme que Dieu se reposa le septième jour; Hésiode, que le septième jour est un jour sacré; et Homère, que tout fut achevé alors. Cette idée de sanctification et de repos du septième jour se retrouve d'un pôle à l'autre du globe. D'où vient-elle, si elle n'a pas une origine. commune et révélée? Até, selon Homère; Pandore, selon Hésiode; Ève, selon Moïse, fut la mère du genre humain. Changez les noms, quelle différence trouvez-vous dans l'idée? Les philologues ont remarqué beaucoup d'hébraïsmes dans Homère; Strabon prétend que ce père des poëtes avait été disciple d'Aristée (1), et il ne manque pas de savants auteurs qui confondent Aristée et Moïse (2). Mais à quoi bon rappeler ici que des noms divers ont été donnés par différents peuples aux mêmes hommes, et le même nom à des hommes différents? La présence des hommes sur tous les points du globe serait inexplicable sans les migrations successives qu'atteste d'ailleurs l'histoire; la circulation des mêmes idées partout ne le serait pas moins. Si ces idées, que l'on regarde comme naturelles, étaient trouvées identiques aux divers antipodes, peut-être quelques esprits singuliers pourraient-ils soutenir la spontanéité de leur naissance: mais lorsqu'elles se rattachent à des faits contingents, leur identité serait inexplicable; je dis plus, elle serait inimaginable sans l'affirmation d'une origine commune.

Les traces de la vérité première se retrouvent au fond de toutes les bizarreries humaines, comme celles de la vérité historique dans les plus graves altérations qu'ait pu lui

(1) Liv. XIII.
(2) Voyez Huet.

faire subir le roman. La philosophie n'est pas autre chose que la première forme du roman, et les philosophes qu'une chaîne de romanciers, dont Thalès, fondateur de l'école ionienne, fut le premier anneau en Occident.

XVI

Les colonies grecques de l'Asie Mineure et de l'Italie, voisines, les unes de la Phénicie et de la Chaldée, les autres de l'Égypte et de la Judée, furent les intermédiaires qui transmirent à la Grèce les idées de l'Orient, où tant de philosophes, d'ailleurs, allèrent les étudier.

On distingue deux époques principales dans la philosophie grecque l'une qui commence à Thalès (1) et finit à Socrate; l'autre qui s'étend de Socrate à Sextus Empiricus.

Selon Thalès, l'eau est l'origine des choses; Dieu est l'intelligence qui, avec l'eau, forma tous les êtres. Moïse avait dit: Spiritus Dei ferebatur super aquas. Le lien de parenté entre ces deux idées est évident; mais Thalès, pour qui l'eau et l'esprit sont deux éléments égaux, reste bien au-dessous de Moïse. Son idée bizarre le ramène au dualisme des Orientaux du Zend-Avesta (2), des théories chal

(1) Thalès, originaire de Phénicie, et qui n'avait pas pu ne pas connaître le livre de Sanchoniathon, s'établit à Milet en 587. Il vécut quatre-vingt-dix ans selon les uns, cent ans selon les autres, et, selon tous, il voyagea en Égypte.

(2) De tous les ouvrages qui composent la collection du ZendAvesta, le Vendidad est celui qui porte le caractère le plus antique ; il est attribué à Zoroastre. Pythagore, disciple de Zoroastre et contemporain de Thalès, fonda l'école italique dans la Grande-Grèce, à peu près pendant que Thalès fondait l'école ionique à Milet. Est-il possible, en présence de ces faits, de douter de l'origine commune des idées?

déennes, des Djaïnas (1), de Kapila (2) et de la philosophie Sankhya (3). Anaximandre, disciple de Thalès, ne s'accommode pas de l'égalité des deux principes: il en sacrifie un. D'autres philosophes nieront la matière avec Vyasa; Anaximandre nie l'intelligence avec Kapila. Anaximandre, ayant nié l'intelligence, reste dans une cosmologie toute matérialiste. A l'eau, principe du monde, il substitue, sous le nom d'infini, quelque chose de vague que personne n'a jamais pu déterminer, et que probablement il n'a jamais compris lui-même. Anaximène, disciple d'Anaximandre, croit faire merveille en attribuant à l'air la puissance créatrice de l'univers. Puis, ne concevant pas que l'eau ou l'air puissent donner une forme solide aux corps, il revient à l'idée de Thalès, et admet avec lui une intelligence pour venir en aide à la matière.

Dans cette philosophie si renommée des Hellènes, nous ne verrons rien de nouveau; partout des affirmations contradictoires dans le même ordre d'idées, une bizarre interversion d'attributs, une force créatrice arbitrairement octroyée à l'air ou à l'eau, en sorte que, semblable à l'architecte qui se serait ruiné à creuser le roc, et qui, au lieu de trouver dans la couche inférieure du sol un point d'appui pour y jeter les fondements de son édifice, ne rencontrerait qu'un sable mouvant, le disciple le plus laborieux de la philosophie grecque n'y retrouve que les idées de

(1) Secte hindoue dont la doctrine a des analogies frappantes avec celle des Bouddhistes.

(2) Kapila a précédé Aristote et Bacon dans la méthode d'observation.

(3) Cette philosophie, dont Thalès est regardé comme le incline au matérialisme; elle nie, comme Thalès, la p sive et infinie de Dieu.

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