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partie vraie et utile de cette philosophie; mais ce n'est pas la partie qu'ont adoptée les impudents copistes qui ont usurpé parmi nous le nom de philosophes.

Le Mimansa se partage en deux grands systèmes : le premier s'appelle Pourva, on l'attribue à Djaïmini, et il donne les règles du raisonnement pour l'interprétation des Védas, ou de la révélation; le second s'appelle Védanta, il est attribué à Vyasa; il nie la matière et même toute existence individuelle. Les sens ne saisissent que ce qui passe, ils sont donc insuffisants pour servir de base à la science fondée sur la notion de l'absolu. Le raisonnement part d'un esprit limité, il ne peut donc pas servir de mesure à l'absolu ni par conséquent de fondement à l'affirmation.

Le jugement est essentiellement relatif, il ne peut jamais être adéquat à l'absolu. Il est singulier de trouver l'idée de relation dans la théorie du panthéisme le plus rigoureux qui fut jamais; il ne l'est pas de voir cette contradiction répétée par l'innombrable troupeau des plagiaires. Ils reproduisent jusqu'aux fautes de sens d'une manière si imperturbable, qu'on serait tenté de croire leur cerveau absolument étranger au mouvement de leur plume. Unité absolue et relation! O puissance vengeresse de l'erreur et de l'abus des mots qui l'enfantent! Il n'est point de philosophie qui ne contienne des contradictions radicales ni de philosophe qui ne brave la honte de les répéter.

Brahma est l'être un, éternel, infini; s'il existait hors de lui des réalités limitées, il faudrait qu'elles eussent été produites par lui. Mais cette production n'est pas possible, parce que Brahma, parfait par essence, ne peut rien produire d'imparfait. Lorsque l'homme considère le monde,

les autres hommes, ou se considère lui-même, il est en état de rêve; lorsqu'il reconnaît que Brahma est tout, il est dans l'état de science. On est saisi d'un douloureux étonnement quand on voit les efforts de la philosophie pour déplacer la nature de l'homme. Ici l'homme n'est rien du tout, ailleurs il sera un dieu, dans un troisième système il deviendra le générateur même de Dieu. Ainsi, dans le système du Védanta, la réalité humaine n'est pas possible, parce que rien d'imparfait ne peut être produit par Brahma, et cependant ce système laisse ses imperfections à l'humanité lorsqu'il en fait une partie de Brahma lui-même.

Brahma est tout le feu est sa tête, le soleil et la lune sont ses yeux, il a pour oreilles les plaines sonores du ciel, pour voix la révélation, ou les Védas; les vents sont sa respiration, la vie universelle son cœur et la terre ses pieds. Ces ornements sont assez bien assortis à la nature immense, infinie de Brahma; mais lorsque Kant, Fichte, Hegel, MM. Cousin et Proudhon se les attribuent, je ne m'en indigne plus, je ris.

L'homme croit à son existence par illusion; les illu-. sions s'évanouissent, il ne reste plus que la substance, sans nom, sans forme, l'unité pure; le sujet et l'objet sont identiques (1), expression la plus complète qui se puisse

(1) Combien de jeunes gens, qui n'ont jamais rien compris à ces mots Le sujet et l'objet sont identiques, parce qu'il n'y a rien à y comprendre, étaient loin de leur soupçonner une origine aussi ancienne! Objet et sujet, deux; identiques, un: une unité pure qui fait deux! Cela est mathématique et doit bien satisfaire les souverains de la raison. Dans le dogme catholique, on justifie l'idée de relation par la pluralité des personnes. Métaphysiquement, Dieu ne pourrait pas plus être conçu sans la pluralité des personnes, qu'il ne pourrait l'être sans l'unité de substance.

imaginer du panthéisme. Tous les êtres perdent le sentiment de leur existence en se fondant dans l'unité sans nom, sans forme; c'est le néant. Mais avant cette identité absurde, comment explique-t-on tant d'illusions et d'erreurs dans l'être infini, dans la raison absolue? C'est là le secret de nos panthéistes, et ils y tiennent à ce qu'il paraît, car ils ne s'empressent pas de le jeter aux vents.

IV

Les ouvrages philosophiques hindous du second rang sont le Sankhya, le Nyaya, le Vaïsêchika.

Kapila, l'auteur du Sankhya, était émané de Brahma; d'autres prétendent qu'il était une incarnation de Vishnou, origine également céleste, car les partisans de l'unité pure se sont toujours fort bien entendus à multiplier les dieux; sans compter ceux du ciel, ils en avaient un assez grand nombre sur la terre : les législateurs, les chefs des nations; les philosophes eux-mêmes, dispensateurs des honneurs divins, ont eu leur part, et c'était juste; un peu de divinité dévolue aux philosophes était pour eux un encouragement nécessaire à la philosophie.

Il y a dans le Sankhya vingt-cinq principes des choses; Dieu nous garde d'en faire l'énumération!

La nature ou prackriti est la racine des choses. L'intelligence, premier produit de la nature, est le grand principe. La conscience ou le sentiment du moi est l'intelligence s'individualisant. Ce moi s'individualisant ou se posant est heureusement trouvé, il est destiné à jouer un rôle plus qu'important, il jouera un rôle exclusif dans l'orgueil philosophique. Puis nous voyons apparaître les atomes, éma

nations du moi individualisé. C'est Kapila qui a dit le premier; «< Hors du moi, il n'y a rien. » Au moins il a montré plus de bon sens que nos écoles modernes; il a fait l'âme éternelle, immatérielle, inaltérable, ce qui ne l'empêche pas d'être sensible et de subir des illusions; elle est individuelle et multiple; elle est créatrice des atomes, et conséquemment de l'univers. Nous allons bientôt voir des philosophes assez insolents pour nous dire que hors de leur moi il n'y a rien, et s'attribuer l'invention de toutes ces rêveries dignes de pitié.

L'obscurité considérée dans le monde matériel prévaut dans l'eau et la terre; considérée dans le monde des esprits, elle produit l'idiotisme. L'obscurité, par exception, dans les écrits philosophiques, est le symbole de la profondeur, et l'un des traits de cette profondeur est de nous affirmer que l'esprit est inaltérable, bien qu'il puisse s'altérer jusqu'à la stupidité.

L'âme, après avoir subi trois transformations, s'affranchit en se perdant dans l'unité du grand tout, où elle ne conserve plus conscience d'elle-même. Quand cette troisième transformation est opérée pour toutes les âmes, il est évident qu'alors il y a unité sans variété.

Kapila, dans le Sankhya, établit que la matière et l'âme sont réelles et substantielles. Cette théorie, dans laquelle on rencontre l'unité absolue et deux substances, le panthéisme et le dualisme, n'est qu'un composé d'hypothèses contradictoires. La matière est active, l'âme est passive; l'âme est semblable à Dieu; en s'individualisant, elle devient dieu. C'est dans l'âme humaine que Dieu parvient à se connaître et à dire moi. Mais l'âme, en s'individualisant, prend l'activité, attribut de la matière; elle devient

matière, et la consommation des choses est la rentrée de l'âme dans l'unité matérielle. L'affranchissement est le développement de la multiplicité spirituelle. L'idée de Dieu disparaît, ce qui n'empêche pas Kapila d'admettre la révélation comme fondement des déductions de la vérité lorsqu'elle n'est pas directement perçue. La science conduit l'âme de l'état d'abstraction au repos absolu, bonheur suprême de l'Hindhou, tandis que les dieux périssent aux époques des dissolutions périodiques de l'univers.

L'induction philosophique consiste à transformer ce qui se passe dans les actions de la vie en lois générales de l'univers. Le moi humain est l'origine et la mesure des êtres, et la traduction de ce principe extravagant fera exalter jusque dans notre siècle le génie des plagiaires.

Le système de Kapila a été rectifié par Patandjali, qui reconnaît un Dieu infini, éternel, créateur ou au moins ordonnateur de tout ce qui existe, et le premier instituteur des êtres créés. Malheureusement, Patandjali partage sur plusieurs points les erreurs de Kapila; l'affranchissement définitif est pour lui l'abstraction de tous les liens de la nature, l'absorption absolue en Dieu, la négation de l'existence individuelle, la mort sous l'apparence de la vie (1).

V

Dans le système du Nyaya (2), dont Gotama est l'auteur, l'âme suprême est une, elle est le sujet de la vérité éternelle, elle est créatrice, ou au moins ordonnatrice de l'univers. Les âmes individuelles sont multiples; la preuve de

(1) Joga-Sastra est le nom du système de Patandjali.

(2) Nyaya signifie raisonnement.

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