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sert, doit éclairer ceux qui sont au premier rang, comme dit le Christ; il doit guider leurs pas dans le désert stérile des théories humaines, les affermir contre les tempêtes qui éclatent si souvent au choc des partis, et les rassurer contre la foudre qui gronde dans leur sein. L'idée de fraternité détermine la nature des pouvoirs humains, les moyens et le but des gouvernements. Il n'y a de grandeur humaine que pour l'utilité des faibles. L'éloquence de Donoso Cortès et la vigoureuse logique de M. de Maistre ne feront jamais croire à la noblesse originelle. La noblesse n'est un titre de gloire qu'autant qu'elle est le symbole d'une plus grande vertu, d'une plus pure abnégation (1)! L'usage de la force et de la puissance n'est légitimé que par les services qu'elles rendent à l'humanité.

Si cette théorie effraye l'imagination par l'immensité de la perspective nouvelle qu'elle ouvre à l'esprit, au moins n'offense-t-elle pas la conscience d'un seul honnête homme. Si quelqu'un s'indigne à la voix de celui qui réclame de la société, pour chaque homme, la satisfaction de tous les besoins de création, qu'il me maudisse, j'ai droit à sa colère, car je viens troubler le sommeil de son égoïsme. Mais que la société cesse de vouloir régler les besoins de création: ils ne peuvent être l'objet ni d'un contrat ni d'une législation, à moins que l'on ne veuille substituer le désordre à l'harmonie, le délire de l'homme à la sagesse divine (2), le néant à la majesté de l'univers.

La beauté de la société humaine ressortira, comme celle de l'univers, du cours régulier des lois qui lui sont propres.

(1) Qui voluerit inter vos primus esse erit vester servus.

(2) Videns autem turbas, misertus est eis: quia erant vexati, et acentes sicut oves non habentes pastorem. (MATTH., c. IX, v. 36.)

Etudier ces lois, les mettre en relief, montrer que leur accomplissement est possible, nécessaire, qu'il est la condition du bonheur de tous et de chacun, tel est le programme des études dont cet ouvrage est l'objet.

II

Rudibus populis plana...
Conc. Arqui., xx1, f. v.

L'humanité et l'organisation humaine sont l'œuvre de Dieu. L'être humain le plus complet a une enfance; plus tard, une vicillesse ; à tout àge, il peut avoir des infirmités. Ce triple état de faiblesse réduit l'homme à l'impossibilité de mettre en jeu l'ensemble de son organisation, qui est la vie. Dans l'enfance, il a besoin, pour vivre, d'un secours étranger. Cette nécessité d'un secours constitue le principe de la société première, de la famille.

soin?

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- Par qui est dû à l'enfant le secours dont il a be

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Évidemment, par les auteurs de ses jours.

Ces secours dus à l'enfant obligent-ils la famille ?
Sans nul doute.

Pourquoi?

Parce que l'enfant a droit à la vie.

Où s'arrête l'obligation de la famille ?

Là seulement où cesse le besoin de l'enfant. Dieu, par la nature de notre organisation, a marqué la nature et l'étendue de notre droit.

-Quelle est l'étendue du droit de l'enfant?

- L'étendue des besoins auxquels l'a soumis la nature.

Aussi ai-je défini le droit: la résultante des besoins de la .

nature.

Quelle est l'étendue des devoirs de la famille?

Les devoirs de la famille sont corrélatifs aux droits de l'enfant. Les uns et les autres ont la même étendue. C'est le droit de l'enfant d'exiger la satisfaction de tous les besoins de la nature; c'est le devoir de la famille de les satisfaire. Besoins de l'enfant, obligations de la famille, ces deux termes sont réciproques et ont la même limite; ils commencent et finissent en même temps. Cette réciprocité d'obligations et de besoins trace rigoureusement les devoirs et les droits. Partout où il y a un besoin, il y a un droit, il y a un devoir correspondant. Cette mutualité, étendue à toute la famille humaine, établit le droit social, forme la vraie science de l'économie politique, elle constitue le seul titre incontestable de propriété.

En effet, l'obligation de satisfaire le besoin de création donne aux sociétés comme aux familles le droit d'en préparer les moyens; elle leur donne par conséquent le droit de posséder et de transmettre ce que l'on possède, la possession étant le moyen le plus efficace de satisfaire les besoins de création.

Je sais que, par ce temps de déception et de doute, tout le monde cherche et propose, pour sauver la société qui se meurt, des mécanismes de son invention, qu'on appelle des solutions! Faut-il s'en plaindre? Non! il faut au contraire voir là une impulsion providentielle. Car il est impossible qu'une discussion lente, mais continue, qui pénètre peu à peu les masses (1), n'entraîne pas enfin les peuples vers la vérité du droit, terme méconnu, mais der(1) Fides ex auditu.

nier terme de nos destinées sociales. Les révolutions ellesmêmes qui s'opèrent sont de suprêmes efforts du genre humain pour découvrir les vraies conditions de sa vie, pour les définir exactement et s'y soumettre.

Il en est des peuples comme des corps élastiques: violemment comprimés, ils sont sans énergie; un peu détendus, ils commencent leurs mouvements, et continuent sans interruption leur travail jusqu'à ce qu'ils se brisent ou qu'ils occupent tout l'espace que comporte leur nature. Depuis l'origine du monde jusqu'à nos jours, les révolutions sociales n'ont jamais été tentées que chez les nations et par les classes dont le principe de vie avait conservé une partie de sa vigueur; car je n'appelle pas révolution sociale le bruit que fait un trône qui s'écroule. Il y a loin de la convulsive agonie d'un peuple qui se meurt à l'impėtueux élan d'une nation qui se précipite dans l'avenir.

L'antiquité païenne ne connut jamais une révolution de principes; les deux tiers du genre humain, réduits par l'esclavage à l'état de bêtes de somme, maudissaient, mais ne raisonnaient pas leur sort (1). L'autre tiers raisonnait le sien, mais non d'après les lois de la justice. Pour conserver ce qu'il avait, il s'assimilait à tout prix ce qu'il n'avait pas, en marchant dans le sang, à travers les décombres et les solitudes que faisaient le glaive et le feu. Il y eut des partis, des projets d'agrandissement, mais point de but moral. Le système des conservateurs modernes est une idée essentiellement païenne; leur morale ne dépasse pas la matière; s'ils recherchent l'alliance de l'idée chrétienne, c'est comme les matelots qui, dans la tempête, in

(1) Non sunt tàm viles quàm nulli. (Aristote.)

voquent la Madone, sauf à oublier bientôt dans l'orgie et leurs prières et leurs engagements.

Le malheur des peuples est partout venu de ce que le parti qui a eu la force et l'intelligence a toujours été une force absorbante, et s'est fait la part du lion. Les excès de la démocratie elle-même ne sont pas effacés par ceux des plus mauvais jours de l'aristocratie ou de la monarchie. Le simple citoyen de Sparte, se jouant de la vie des esclaves, ne me paraît pas moins cruel qu'Héliogabale ou Jean de Leyde. Qu'importe le nombre des victimes, quand on trouve dans les acteurs des tragédies humaines le même goût du sang? Le nombre n'est plus qu'un accident qui dépend des circonstances. C'est moins aux faits que je m'arrête qu'aux principes qui les engendrent, quoique les faits irrévocablement accomplis pour les générations qui en ont été victimes ou témoins doivent servir à instruire et à préserver les générations futures. L'avenir est moins menacé par le souvenir des monstruosités de Néron que par la contagion des détestables maximes de Malthus. Si la barbarie doit se perpétuer sous toutes les formes de gouvernement, qu'importe que nous nous entr'égorgions pour fixer la forme politique du nôtre? Qu'importe que nous vivions dans l'état de nature, ou plutôt de contre-nature, au milieu des bois, si nous sommes encore assez insensés et assez pervers pour nous y dévorer mutuellement? Sı vous avez du goût pour la vie sauvage, pourquoi combattez-vous la barbarie?

Le gouvernement direct par le peuple pourrait être excellent, s'il était praticable. Mais un gouvernement ne peut pas être conçu sans une direction et un pouvoir. La négation de tout pouvoir ou l'an-archie générale cou

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